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Guerre Israël-Palestine : quatre voix qui plaident pour la nuance dans les médias français

De Bertrand Badie à Dominique de Villepin, de rares voix soulignent que la violence du Hamas ne peut être déconnectée de la violence dont sont victimes les Palestiniens depuis des années de la part d’Israël, et que l’Occident a sa part de responsabilité
« On paye le fait qu’on n’arrive pas à concevoir qu’un homme vaut un homme, qu’un humain vaut un humain, et que la peine, la douleur, d’une famille palestinienne est identique à la peine et à la douleur d’une famille israélienne » - Betrand Badie (AFP/Mohammed Abed)
Par MEE

Dans le concert de voix qui, dans les médias français, condamnent de manière unanime et sans appel les combattants palestiniens pour les violences commises à l’égard des Israéliens dans la grande offensive menée par le Hamas le 7 octobre, rares sont celles qui rappellent le contexte dans lequel cette flambée de violences survient.

Tout en reconnaissant que leur analyse est « indicible » alors que l’émoi est à son paroxysme, ou en bornant leurs explications de rappels prudents pour condamner toute forme de violence quel que soit le camp, des universitaires et personnalités politiques tentent d’équilibrer le débat.

Ainsi, sur la chaîne LCI, Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales et professeur émérite à Science Po, donne à l’attaque du Hamas plusieurs explications. Il y voit notamment une nouvelle « séquence » d’un conflit qui ne s’est pas éteint.

« Les États dans le monde arabe ont considéré qu’investir comme ils le faisaient autrefois dans une guerre ou dans plusieurs guerres les opposant à Israël ne rapportait rien, n’aboutissait à aucun résultat et les plaçait en situation de précarité perpétuelle. On a cru que cet abandon de facto de la question palestinienne allait peu à peu aboutir à une neutralisation de la question. »

Selon lui, la communauté internationale « toute entière, à Moscou comme à Washington, à Pékin comme à Paris, a parié sur l’extinction progressive de ce  conflit, sous l’effet du désespoir ». Cependant, dans le siècle dans lequel nous vivons, « où la conscience sociale l’emporte sur le jeu politique », ça ne marche pas, estime le professeur.

Ce dernier rappelle que depuis janvier 2023, 250 Palestiniens ont été tués, en relevant qu’il n’étaient pas tous des « terroristes », comme sont appelés les combattants qui résistent à l’occupation par la violence, mais qu’il y avait parmi eux des femmes et des enfants, et que la communauté internationale est restée « muette ».

« On paye le fait qu’on n’arrive pas à concevoir qu’un homme vaut un homme, qu’un humain vaut un humain, et que la peine, la douleur, d’une famille palestinienne est identique à la peine et à la douleur d’une famille israélienne », insiste-t-il. « Le sentiment que l’on a dans la région, c’est qu’il y a une inégalité de traitement, une certaine indifférence par rapport aux causes du mal. »

Bertrand Badie souligne aussi que la guerre en Ukraine inspire deux réflexions aux Palestiniens : « Ils [les Ukrainiens] défendent leur terre et nous, on défend la nôtre. Ils sont aidés de manière totale et absolue par bon nombre de puissances et nous, qui nous aide ? »

« Amnésie »

Sur la même ligne, l’ex-ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin évoque « l’amnésie » qui a été celle de l’Occident, « l’oubli qui a considéré à imaginer que cette question palestinienne allait pouvoir s’effacer devant un accord économique, stratégique et diplomatique qui serait en quelque sorte le substitut à cette tragédie ».

Sur France Inter jeudi 12 octobre, le diplomate a reconnu ne pas être « surpris » par « cette haine qui s’est exprimée ». « Quand on se souvient de la guerre à Gaza depuis 2006, la guerre de 2008, 2012, 2014, encore 2021, quand on se souvient de ce que nous avons tous dit comme témoins sur place, de cette prison à ciel ouvert, de cette cocotte minute », il n’y a pas de quoi être surpris « qu’une telle situation puisse inventer l’enfer sur Terre ».

Dans cette tragédie où s’affrontent « deux regards, deux points de vue, deux expériences de l’histoire », « la légitime défense n’est pas un droit à une vengeance indiscriminée ».

« Il n’y a pas de responsabilité collective pour un peuple pour les crimes commis par quelques uns », affirme-t-il en évoquant le blocus contre la bande de Gaza. « Il y a crime contre l’humanité dès lors qu’a été ciblée de façon systématique et générale une catégorie de population mais il faut évidemment éviter que la riposte indiscriminée ne conduise à enflammer un peu plus la région et le monde. »

« Enfermement physique et mental »

Sur le plateau de l’émission « C dans l’air », sur France 5, Agnès Levallois, vice-présidente de l’iReMMO (Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient), s’appuie aussi sur son expérience dans la bande de Gaza pour étayer son analyse.

« Il faut rentrer dans Gaza pour se rendre compte de ce qu’est la vie à Gaza et de l’enfermement dans lequel se trouvent les Gazaouis, pas seulement l’enfermement physique mais l’enfermement mental. Vous avez des Gazaouis qui ont 40-50 ans, qui ne sont jamais sortis de la bande de Gaza […], sans aucune perspective en raison de cet enfermement », rapporte-t-elle.

En précisant qu’elle ne cherche « en rien à justifier ce qui est en train de se passer [les meurtres d’Israéliens] », l’analyste, qui souligne aussi que le gouvernement aux affaires en Israël a mis beaucoup de moyens auprès des colons en Cisjordanie occupée « pour les protéger et leur permettre de continuer à mener des exactions contre les Palestiniens », appelle « à réaliser à quel point cet enfermement peut conduire à des réactions [telles que celle du Hamas]. »

« Un acte de guerre »

Alors que la réhabilitation de l’Autorité palestinienne (AP) est envisagée comme une des solutions, Vincent Lemire, historien, géographe, directeur du Centre de recherche français à Jérusalem, suggère une autre option : « considérer le Hamas comme un mouvement militaire et terroriste mais aussi comme un mouvement politique ».

« Les Occidentaux ont fait une très lourde erreur, au moment des élections législatives palestiniennes de 2006 gagnées par le Hamas, de ne pas accepter cette offre politique. Le Hamas en 2017 a intégré dans sa charte qu’il fallait un État palestinien à l’intérieur des frontières de 1967 [avant qu’Israël n’occupe la Cisjordanie, Jérusalem-Est, la bande de Gaza, le Golan syrien et le Sinaï égyptien] », explique-t-il. Cela signifie qu’il a d’une certaine manière reconnu l’existence d’Israël.

« C’est presque indicible ce que je dis aujourd’hui », reconnaît-il. « Mais le débat actuel sur la question du mot ‘’terroriste’’ me gêne un peu. C’est un acte terroriste qui vise à terroriser la population civile mais ça n’est pas assez de dire ça. ‘’Terroriste’’ n’est pas le point d’arrivée de la réflexion. C’est un acte de guerre. »

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