Aller au contenu principal

Lettre ouverte aux médias français : arrêtez d’occulter la réalité en Palestine

Je ne vous demande pas d’être propalestiniens mais au moins d’être objectifs et de cesser de cautionner les crimes de l’occupation israélienne
Un Palestinien pleure la mort de l’une des neuf victimes tuées lors d’un raid israélien sur le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie le 26 janvier 2023 (AFP/Jaafar Ashtiyeh)
Un Palestinien pleure la mort de l’une des neuf victimes tuées lors d’un raid israélien sur le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie le 26 janvier 2023 (AFP/Jaafar Ashtiyeh)

Je vous adresse cette lettre en tant que professeur de français à l’université de Gaza, moi qui enseigne à mes étudiants les principes de la démocratie et de la liberté d’expression, moi le simple citoyen palestinien qui vis le blocus, la souffrance et l’horreur dans cette prison à ciel ouvert qu’est Gaza.

J’ai suivi votre couverture et votre analyse des derniers événements tragiques dans les territoires palestiniens et, comme d’habitude, vous avez recouru avec insistance à des termes qui montrent votre partialité : attaque palestinienne terroriste dans une synagogue à Jérusalem, escalade des violences dans la région, violence sans précédent, missiles palestiniens, réponse de l’armée israélienne, partie annexée de Jérusalem, représailles, etc., autant d’expressions qui montrent que vous êtes globalement alignés sur le récit israélien.

Sans prononcer un seul mot sur le massacre israélien à Jénine la veille qui a fait neuf morts palestiniens dont deux enfants et une femme âgée ainsi que des dizaines de blessés, sans oublier la destruction de cinq maisons et un club social et sportif dans cette ville de Cisjordanie occupée souvent attaquée par les soldats israéliens, ni sur les quinze raids israéliens sur la bande de Gaza le même jour avec des bombardements intensifs qui ont horrifié la population civile vers 3 heures du matin, ni des mesures atroces de l’occupation israélienne contre les civils palestiniens au quotidien.

Une réalité que personne ne pourra cacher

De plus, pendant ces événements, vous n’avez pas donné l’occasion aux Palestiniens ou aux sympathisants français de la cause palestinienne de s’exprimer sur cette situation, au contraire, vous avez donné la parole aux proches de la partie israélienne, et parfois au porte-parole officiel de l’armée israélienne ou du gouvernement israélien.

Vous avez oublié que l’attentat s’est déroulé dans une colonie israélienne illégale au regard du droit international.

En vous enfermant dans cette politique de soutien inconditionnel à une occupation illégale, vous participez au maintien d’une situation aussi injuste qu’explosive

Permettez-moi de vous dire qu’en vous enfermant dans cette politique de soutien inconditionnel à une occupation illégale, vous participez au maintien d’une situation aussi injuste qu’explosive. Car, vous le savez, le nouveau gouvernement israélien d’extrême droite a un projet : annexer les terres de Cisjordanie qu’il n’a pas encore colonisées, chasser un maximum de Palestiniens, y compris en les tuant.

Dans les territoires palestiniens occupés, il y a une réalité que personne ne pourra cacher, il y a une occupation qui opprime et assassine les civils palestiniens, il y a des colonies illégales installées dans des territoires reconnus occupés par les Nations unies, il y a la démolition des maisons palestiniennes à Jérusalem et en Cisjordanie occupées, des colons israéliens qui détruisent des tentes de bédouins dans la vallée du Jourdain, des soldats israéliens qui détruisent des villages construits avec l’argent de la France et de l’Europe, des incursions militaires dans des villes palestiniennes autonomes, des colons qui déracinent des oliviers appartenant aux Palestiniens.

Il y a des exactions de l’armée d’occupation et des colons israéliens tous les jours dans tous les territoires palestiniens sans aucune réaction de vos antennes.

Depuis le début de cette année, 35 Palestiniens ont été assassinés en Cisjordanie occupée par des colons et soldats israéliens. Et en 2022, ce sont au moins 220 Palestiniens qui ont été assassinés par des soldats ou civils israéliens.

Arrestations arbitraires de jeunes et d’enfants, barrages et check-points qui rendent la vie de tout un peuple très compliquée.

Un harcèlement systématique.

Les provocations incessantes sur l’esplanade de la mosquée al-Aqsa par des ministres israéliens et des colons avec la protection de l’armée israélienne, sans réactions de votre part.

Une couverture médiatique biaisée

En tant que professeur de français à l’université de Gaza, comment puis-je justifier cela devant mes étudiants qui me disent toujours que les médias français ont pris le parti des Israéliens ?

Vous négligez l’existence d’un large mouvement de solidarité avec le peuple palestinien et sa juste cause en France, notamment le peuple français et ses diverses associations.

Israël-Palestine : glossaire des termes problématiques utilisés par les médias
Lire

Vous n’utilisez jamais le mot « apartheid » ; or des organisations internationales comme Amnesty International ont qualifié le gouvernement israélien de régime d’apartheid et les crimes commis par l’occupation de crimes de guerre.

Les prisonniers palestiniens, vous n’en parlez jamais, ce sont 5 000 prisonniers politiques toujours détenus dans les geôles israéliennes dans des conditions très difficiles, parmi eux des personnes âgées et malades qui sont derrière les barreaux depuis plus de 30 ans, parmi eux des enfants et des femmes.

Même l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, qui a passé des années en détention administrative illégale dans différentes prisons israéliennes, et qui a été expulsé fin 2022 de sa ville natale de Jérusalem vers la France, vous n’osez pas l’inviter pour parler de sa souffrance et de celle de ces prisonniers.

Le blocus de Gaza dure depuis plus de seize ans, mais vous parlez de la bande de Gaza uniquement quand il y a des roquettes lancées par la résistance.

Tout cela, vous ne pouvez pas l’ignorer.

Le temps n’est-il pas venu d’évoquer la réalité telle qu’elle est ?

Il y a des exactions de l’armée d’occupation et des colons israéliens tous les jours dans tous les territoires palestiniens sans aucune réaction de vos antennes

Heureusement qu’il existe des médias alternatifs, les réseaux sociaux qui informent les citoyens sur la situation actuelle dans les territoires palestiniens occupés en toute objectivité.

Je ne vous demande pas d’être propalestiniens mais au moins d’être objectifs.

Nous sommes pour une paix juste et durable, une paix qui passera avant tout par l’application des décisions internationales et par la création d’un État palestinien libre et indépendant.

Je terminerai ma lettre par ces mots :

Tous les citoyens du monde, de toutes origines, attachés au respect des droits de l’homme, du droit international et de la justice dénoncent sans relâche l’occupation des territoires palestiniens qui perdure depuis des décennies et qui menace gravement la paix dans le monde.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Ziad Medoukh est un professeur de français, écrivain et poète palestinien d’expression française. Titulaire d’un doctorat en sciences du langage de l’Université de Paris VIII, il est responsable du département de français de l’Université al-Aqsa de Gaza et coordinateur du Centre de la paix de cette université. Il est l’auteur de nombreuses publications concernant la Palestine, et la bande de Gaza en particulier, ainsi que la non-violence comme forme de résistance. Il a notamment publié en 2012 Gaza, Terre des oubliés, Terre des vivants, un recueil de poésies sur sa ville natale et son amour de la patrie. Ziad Medoukh a été fait chevalier de l’ordre des Palmes académiques de la République française en 2011. Il est le premier citoyen palestinien à obtenir cette distinction. En 2014, Ziad Medoukh a été nommé ambassadeur par le Cercle universel des ambassadeurs de la paix. Il a remporté le premier prix du concours Europoésie en 2014 et le prix de la poésie francophone pour ses œuvres poétiques en 2015.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].