Réfugiés syriens : le Liban veut organiser leur retour sans attendre l’ONU
Le Liban accueille un peu moins d’un million de réfugiés syriens inscrits au Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), soit près d’un cinquième de sa population. Il enregistre la plus haute densité de réfugiés par habitant au monde.
Lors d’une rencontre avec le président de la République, il y a quelques semaines, Michel Aoun m’a avancé un chiffre beaucoup plus important. Le chef de l’État a estimé à 1,8 million le nombre de Syriens qui vivent au Liban, entre les réfugiés inscrits auprès des agences de l’ONU, les familles présentes en situation légale et les clandestins. Dans certaines localités, il y a autant de réfugiés que d’habitants.
Le Liban enregistre la plus haute densité de réfugiés par habitant au monde. […] Dans certaines localités, il y a autant de réfugiés que d’habitants
Le Liban n’était pas préparé pour accueillir un si grand nombre de nouveaux venus. Ni son économie, fragilisée par la guerre en Syrie, ni son infrastructure, déjà vétuste, ne sont capables d’absorber en si peu de temps un flux aussi dense.
Selon la Banque mondiale, le Liban a perdu depuis le début de la guerre en Syrie 1,1 milliard de dollars par an pour un PIB estimé à 50 milliards de dollars. Des experts économiques libanais parlent de 20 milliards de dollars répartis entre pertes directes et manque à gagner.
Pendant des années, Beyrouth a compté sur l’aide internationale pour supporter le poids de la présence des réfugiés. Certes, les besoins élémentaires, comme l’alimentation, la santé et l’éducation, sont fournis par l’ONU ou des États tiers.
C’est ainsi que la Grande-Bretagne finance en grande partie la scolarisation de plusieurs centaines de milliers de jeunes syriens, pour lesquels des classes spéciales sont ouvertes les après-midis dans les écoles publiques libanaises. Mais l’apport de la communauté internationale reste bien en deçà des besoins réels et des promesses faites au Liban.
Un « danger existentiel »
Dans un discours prononcé le 25 avril à la conférence internationale sur les réfugiés syriens (Bruxelles II), le Premier ministre Saad Hariri a regretté que la communauté internationale n’ait versé que 11 % de l’aide promise pour soutenir le Liban dans l’accueil des réfugiés. « Les tensions entre réfugiés syriens et communautés hôtes se sont accrues, notamment en raison d’une compétition pour les ressources et les emplois », a-t-il déploré.
Au-delà du fardeau économique et des possibles tensions sociales que peut générer la présence d’un si grand nombre de réfugiés, des dirigeants libanais n’hésitent plus à évoquer un « danger existentiel » pour le Liban. Ils craignent l’implantation définitive d’une partie d’entre eux, ce qui risque d’avoir des répercussions fatales sur la stabilité du pays.
Au-delà du fardeau économique et des possibles tensions sociales que peut générer la présence d’un si grand nombre de réfugiés, des dirigeants libanais n’hésitent plus à évoquer un « danger existentiel » pour le Liban
En effet, le système libanais, très particulier, repose sur un délicat équilibre communautaire basé sur une répartition des hautes fonctions politiques et administratives entre les communautés religieuses, chrétiennes et musulmanes. L’intégration de plusieurs centaines de milliers de réfugiés syriens, sunnites dans leur écrasante majorité, transformerait radicalement la réalité démographique du Liban.
Ces appréhensions ne sont pas fantaisistes. Une étude exhaustive préparée par l’École supérieure des affaires (ESA) à Beyrouth indique que la durée moyenne d’un exil est de dix-sept ans et que près de 35 % des réfugiés s’installent définitivement dans le pays. Le Liban serait ainsi appelé à absorber 450 000 réfugiés syriens. L’étude de l’ESA propose de les naturaliser en prélude de leur intégration à la vie sociale, économique et politique du pays.
Avec le retour du calme dans une partie de la Syrie, notamment les zones frontalières et les provinces de Damas et de Homs, les dirigeants libanais ont commencé à envisager le retour des réfugiés.
Le président Aoun, le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil et une partie de la classe politique ont évoqué avec des dirigeants de pays occidentaux et des représentants d’organisations internationales la possible organisation du retour des réfugiés chez eux. Mais les réponses qu’ils ont entendues n’étaient pas encourageantes. Leurs interlocuteurs ont lié le processus du retour à la solution politique en Syrie, une échéance que le Liban ne peut pas attendre.
En plus de la réticence de la communauté internationale, l’organisation du retour avant la fin de la guerre en Syrie ne fait pas l’unanimité au Liban car elle implique une coordination avec le régime syrien
En plus de la réticence de la communauté internationale, l’organisation du retour avant la fin de la guerre en Syrie ne fait pas l’unanimité au Liban car elle implique une coordination avec le régime syrien. Or une partie de la classe politique, notamment Saad Hariri et les personnalités proches de l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe, refusent tout contact avec les autorités syriennes.
Cependant, devant l’ampleur du problème des réfugiés et l’inflexibilité de la communauté internationale, les positions internes semblent avoir évolué ces dernières semaines.
Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui est sorti renforcé des récentes élections législatives, n’est plus très loin des idées prônées par le président Aoun. « Le nouveau gouvernement aura pour première tâche d’établir un plan clair pour le retour des réfugiés syriens dans les territoires de leur pays qui ne sont plus le théâtre de conflits armés », a déclaré cette personnalité proche de l’Arabie saoudite. « Le Liban n’est pas un territoire sans peuple. Nous refusons de réfléchir à un plan visant à l’installation, même temporaire, des réfugiés syriens au Liban », a-t-il ajouté.
Un retour « digne et sûr »
Le Liban défend l’idée d’un retour « digne et sûr » des réfugiés syriens, alors que l’ONU et l’Union européenne évoquent un retour « digne, sûr et volontaire ». Le mot « volontaire » cache de profondes divergences, qui se sont manifestées en avril lorsque le Liban a organisé, en coordination avec les autorités syriennes, le retour de 500 réfugiés.
Le Liban défend l’idée d’un retour « digne et sûr » des réfugiés syriens, alors que l’ONU et l’Union européenne évoquent un retour « digne, sûr et volontaire ». Le mot « volontaire » cache de profondes divergences
Rentrés clandestinement dans le pays, ces déplacés s’étaient installés dans la localité de Chebaa, au sud-est du Liban. Leur retour dans le village de Beit Jin, repris par l’armée syrienne en début d’année, a été organisé le 18 avril par le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, à qui le président Aoun a confié la tâche de coordonner ce dossier avec les autorités syriennes.
Dans un communiqué, l’UNHCR a indiqué qu’il n’était pas « impliqué dans l’organisation de ce retour ou d’autres retours pour le moment, vu l’état de la situation humanitaire et sécuritaire en Syrie ».
« Le HCR respecte cependant les décisions individuelles des réfugiés de retourner dans leur pays d’origine, lorsqu’elle n’est pas prise sous la pression », a poursuivi l’agence de l’ONU, précisant que ses équipes « sur place ont discuté avec les réfugiés et les autorités concernées pour connaître les intentions des déplacés et les conditions dans lesquelles ces retours seront opérés ».
La position de l’agence onusienne a été sévèrement critiquée par la diplomatie libanaise, qui a « regretté » le contenu du communiqué. « L’UNHCR n’encourage même pas un exemple à petite échelle d’un retour sûr et digne qui respecte tous les principes humanitaires et les usages internationaux », a estimé le ministère des Affaires étrangères, qui accuse l’agence de « faire peur aux réfugiés pour les dissuader de rentrer en cette période en affirmant que la situation n’est pas sûre ».
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L’opération Beit Jin a fait office de test organisé par les autorités libanaises quelques jours avant la conférence internationale sur les réfugiés syriens tenue à Bruxelles le 25 avril. Dans ses conclusions, cette rencontre, qui a groupé les Nations unies, les pays européens ainsi que d’autres pays et organisations internationales, appelle les pays hôtes à accorder aux réfugiés syriens un statut juridique, une résidence légale et un permis de travail au sein des pays d’accueil.
Il n’en fallait pas plus pour provoquer la colère de Michel Aoun. Dans un communiqué, le président a dénoncé les résultats de cette conférence qui mettent « en danger le Liban en proposant une naturalisation voilée des réfugiés syriens ». Le chef de l’État a haussé le ton dans une série de tweets et de prises de positions, rappelant que de par son serment constitutionnel, il refusait les « diktats » venus de la communauté internationale et ne ferait que ce qui sert les intérêts du Liban.
Le Liban est déterminé à aller jusqu’au bout, en faisant fi de la position des Nations unies et de l’Union européenne
Selon Michel Aoun, ces intérêts passent par le retour des réfugiés, et le Liban est déterminé à aller jusqu’au bout, en faisant fi de la position des Nations unies et de l’Union européenne.
Pour bien montrer sa détermination, Beyrouth pourrait prochainement réclamer le remplacement de la Coordonnatrice spéciale par intérim des Nations unies pour le Liban, Mme Pernille Dahler Kardel. La diplomate est accusée par les autorités libanaises d’œuvrer au maintien des réfugiés syriens au Liban, ce qui va à l’encontre des intérêts supérieurs du pays.
Le retour prochain de 5 000 réfugiés serait en préparation avec les autorités syriennes, et Beyrouth espère organiser, d’ici la fin de l’année, le rapatriement de plusieurs dizaines de milliers de déplacés.
- Paul Khalifeh est un journaliste libanais, correspondant de la presse étrangère et enseignant dans les universités de Beyrouth.
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Photo : réfugiés syriens au Liban (AFP).
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