Sotchi : l’envie n’y est pas
J’espérais que la récente décision de l’Arabie saoudite d’écarter du coude le leader civil inflexible du principal groupe d’opposition, Riad Hijab, présageait un passage à une évaluation plus réaliste par l’Arabie saoudite et l’opposition de l’accord proposé sous l’égide de la Russie. À savoir un règlement interne plus ou moins conforme aux termes du président syrien Bachar al-Assad compensé par le retrait de Syrie des Iraniens, du Hezbollah et de toutes les autres forces étrangères.
Sotchi devrait faire la lumière sur une troisième force émergente dans le conflit syrien : les Kurdes et l’opposition non islamiste
Peu de changements
Jusqu’à présent, cependant, peu de changements sont à constater dans les paroles et le comportement de l’opposition. Bien que cela puisse relever d’une tactique visant à augmenter le prix de la participation au congrès des peuples syriens parrainé par la Russie, prévu le 29 janvier à Sotchi, il semble plus probable que l’opposition, encouragée notamment par le gouvernement britannique, finisse par boycotter Sotchi.
Les Russes ont probablement tenu compte de cela dans leurs calculs et sont prêts à se contenter d’une réunion à Sotchi qui aura deux effets. À savoir préparer le terrain à la réconciliation du gouvernement syrien avec les Kurdes, et démontrer que l’opposition soutenue par l’Occident n’est pas la seule opposition qui existe, mais qu’elle se dispute la place avec un large éventail d’éléments non islamistes qui ne comprennent pas seulement les groupes d’opposition prétendument apprivoisés basés à Moscou et au Caire.
Ces derniers n’y participeront pas en tant que membres de l’organisation officielle des Unités de protection du peuple kurde (YPG), que la Turquie a qualifiée de groupe terroriste en raison de ses liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), mais en tant que groupe de 150 dirigeants kurdes locaux, afin de contourner les objections turques.
Cela pourrait être le prochain grand tournant dans le conflit, un changement qui couperait l’herbe sous le pied des Forces démocratiques syriennes (SDF) soutenues par les États-Unis en échange de promesses du gouvernement syrien en matière d’autonomie, qui seraient garanties par la Russie (l’indice se trouve dans le nom : « congrès des peuples syriens »).
Cela ne se produira pas de façon spectaculaire le 29 janvier, mais un processus sera probablement engagé.
Un arrangement raisonnable
L’objectif d’un règlement par la négociation avec l’opposition non kurde est moins important sur le plan stratégique. En effet, alors que la loi du gouvernement syrien est en passe d’être rétablie sur les 25 % du territoire national contrôlés par les Kurdes où se trouvent ses gisements pétroliers et gaziers importants, l’opposition officielle sera encore plus susceptible d’être ignorée qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Même ainsi, les Russes voudront les affaiblir davantage en démontrant que des éléments de l’opposition – des sunnites tribaux et non islamistes – sont prêts à conclure un arrangement raisonnable avec le gouvernement.
Si le processus de Sotchi vient à s’épuiser, ou plus probablement en parallèle à ce premier plan, le plan B est tout simplement une victoire militaire d’Assad
On pourrait dire en réalité que Sotchi devrait faire la lumière sur une troisième force émergente dans le conflit syrien : les Kurdes et l’opposition non islamiste qui partagent une réticence à combattre le gouvernement ou à revenir au statu quo ante bellum.
L’autonomie pour les Kurdes et l’établissement d’une nouvelle Constitution, avec des élections surveillées par l’ONU pour l’opposition, devraient constituer un règlement.
On peut supposer que la réunion de Sotchi mettra en place une certaine forme de mécanisme de suivi. On peut également supposer qu’un lien sera créé avec le processus de Genève, dans la mesure où les Russes souhaitent une approbation internationale de l’issue de Sotchi, qui ouvrirait la voie à un accord sur le retrait de toutes les forces étrangères et sur une levée des sanctions contre la Syrie, dont le blocage de l’assistance fournie par la Banque mondiale et le FMI.
Le plan A contrecarré
Il s’agit quoi qu’il en soit du plan A. Ce plan pourrait cependant être contrecarré par les trouble-fêtes, en l’occurrence l’opposition officielle et leurs soutiens internationaux. Cela semble être la tournure privilégiée par le gouvernement britannique, qui martèle que seuls les pourparlers de Genève permettront de progresser, et qui joue le rôle d’empêcheur de tourner en rond face aux efforts de paix déployés par la Russie via les zones de désescalade, les rencontres d’Astana avec l’Iran et Turquie et bientôt Sotchi.
Le Pentagone semble être d’un avis similaire : le secrétaire à la Défense a ainsi affirmé que les forces américaines en Syrie (qui s’élèvent actuellement à environ 3 000 militaires basés principalement dans la région sous contrôle kurde) allaient rester aussi longtemps qu’elles seraient nécessaires pour prévenir toute réapparition de l’État islamique.
Étant donné que cette prophétie pourrait s’autoréaliser et que les États-Unis semblent créer sans cesse de nouvelles milices, le général Valéri Guérassimov, chef d’état-major de l’armée russe et vice-ministre de la Défense, a récemment affirmé lors d’une interview que certaines de ces milices soutenues par les États-Unis comprenaient des recrues provenant de l’État islamique.
C’est là une recette propice à une déstabilisation sans fin de la Syrie, ce à quoi semblent aspirer de nombreux néoconservateurs occidentaux et du Golfe s’ils ne parviennent pas à un changement de régime, en attendant les jours meilleurs qu’ils envisagent lorsqu’Assad aura pu être évincé.
Le plan B : une victoire d’Assad
Vient alors le plan B. Si le processus de Sotchi vient à s’épuiser, ou plus probablement en parallèle à ce premier plan, le plan B est tout simplement une victoire militaire d’Assad.
Ceci n’est peut-être pas à l’ordre du jour pour les principales régions kurdes, même si, compte-tenu de ce qui s’est passé récemment à Kirkouk (une victoire haut la main des forces gouvernementales irakiennes qui n’ont pas rencontré d’opposition des peshmergas), l’armée syrienne pourrait reprendre sans trop de difficultés les régions tribales arabes et les gisements de pétrole actuellement contrôlés par les Kurdes.
Cependant, pour le reste du pays, une solution militaire est parfaitement réalisable, compte tenu du temps. Le général Guérassimov a peut-être vendu la mèche en déclarant récemment que l’événement phare de 2018 allait être la défaite du Front al-Nosra (alias Hayat Tahrir al-Cham, lié à al-Qaïda) dans son refuge à Idleb.
Les forces gouvernementales syriennes ont déjà commencé à effectuer des incursions dans la province d’Idleb.
Si les Turcs continuent de jouer le jeu, comme ils l’ont fait récemment en coupant les routes d’approvisionnement vers Idleb, une campagne d’un an lancée dans le but de récupérer Idleb aura probablement le même succès que la campagne qui visait à expulser le Front al-Nosra d’Alep-Est.
Une fois Idleb tombée, les poches éparses restantes tomberont comme des dominos, comme cela vient de se produire pour la poche située près du Golan.
Le plan B peut être évité et des gains peuvent être réalisés de tous les côtés, notamment pour les Syriens qui souffrent depuis longtemps, si les puissances occidentales et l’Arabie saoudite ont la sagesse d’apprécier la proposition du plan A.
Ils affirment que le départ de l’Iran est selon eux une priorité, alors pourquoi ne pas franchir le pas ? Il semblerait néanmoins que priver la Russie d’un succès figure bien plus haut dans le classement des priorités des États-Unis et du Royaume-Uni que l’idée d’abréger la guerre tout du moins, voire celle d’assurer la sortie de Syrie des Iraniens.
- Peter Ford est un expert du Moyen-Orient. Cet arabiste a officié en tant qu’ambassadeur britannique en Syrie et à Bahreïn avant de rejoindre l’ONU pour travailler sur les questions liées aux réfugiés. Il commente fréquemment la situation syrienne dans les médias.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Un Syrien brandit des portraits du président Bachar al-Assad et de son homologue russe Vladimir Poutine (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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