Soudan : Omar el-Béchir et le droit international
Le Président du Soudan, Omar el-Béchir, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt émanant de la Cour pénale internationale (CPI) pour génocide et crimes de guerre, s’est échappé lundi d’un sommet de l’Union africaine avant la fin de la conférence. La Haute Cour sud-africaine était sur le point d’ordonner qu’il soit arrêté et remis à la CPI, mais le gouvernement sud-africain l’a laissé s’envoler depuis un aéroport militaire près de Pretoria.
On s’indigne en Afrique du Sud de cette violation de la loi, mais on croit également sur le reste du continent (et en particulier parmi les dirigeants nationaux) que la CPI a des préjugés contre les pays africains. La CPI est-elle hors de contrôle ou bien essaie-t-elle seulement de faire son travail ?
Le gouvernement du Président Jacob Zuma a eu un sérieux problème de relations publiques. Au cours du dernier mois, l’Afrique du Sud a été témoin d’un grand nombre de violences à caractère xénophobe à l’encontre d’immigrants clandestins et de leurs biens. Cela est embarrassant pour Zuma, et tout à fait contraire à l’esprit de solidarité africain, c’est pourquoi il a eu le sentiment qu’il ne pouvait pas laisser un chef d’Etat africain se faire arrêter en train d’assister à un sommet de l’UA dans son pays.
La rancœur des pauvres Sud-Africains vis-à-vis de la présence de tant d’immigrants clandestins en provenance d’autres pays d’Afrique — probablement entre 5 et 10 % de la population — est compréhensible, mais inexcusable. La bonne solution pour l’Afrique du Sud est de prendre le contrôle de ses frontières, mais Zuma se voit dans le même temps obligé d’apaiser ses partenaires de l’Union africaine.
Zuma a dû organiser l’évasion d’Omar el-Béchir en dehors du pays car la Haute Cour d’Afrique du Sud est toujours indépendante, et elle était sur le point d’ordonner qu’Omar el-Béchir soit remis à la CPI pour être jugé. En effet, le juge Dunstan Mlambo a précisément pris une telle position (« Le fait que le gouvernement ne soit pas parvenu à arrêter Omar el-Béchir va à l’encontre de la Constitution ») quelques heures seulement après la fuite d’Omar el-Béchir.
On pouvait s’y attendre. Comme l’Afrique du Sud est l’un des 123 pays membres de la CPI, elle a l’obligation légale d’appliquer les mandats d’arrêts qui en émanent. Certains autres pays africains prennent également la CPI au sérieux. En 2012, un sommet de l’Union africaine a dû se tenir ailleurs qu’au Malawi car son gouvernement refusait qu’Omar el-Béchir y participe, et, en 2013, le Président soudanais a été contraint de quitter le Nigéria plus tôt que prévu, après qu’un groupe de militants pour les droits de l’homme se soit rendu au tribunal afin de forcer les autorités à procéder à son arrestation.
Mais la plupart des gouvernements africains ignorent désormais délibérément les décisions de la CPI car, d’après eux, ce tribunal ne s’attaque qu’à des criminels africains, et il est vrai que l’ensemble des mandats d’arrêts aujourd’hui en vigueur concerne des Africains. On peut comprendre que cela mène à de sérieux soupçons sur le continent africain.
D’après ces mêmes lois internationales, l’ancien Président américain George W. Bush ne devrait-il pas être inculpé de crimes de guerre pour avoir illégalement envahi un pays souverain, l’Irak ? Non, en vérité, car la CPI ne peut arrêter que les citoyens de pays membres de la CPI, et les Etats-Unis n’en font pas partie. Le Soudan non plus, mais il existe une exception pour les criminels qui ont été spécifiquement désignés comme tel par le Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui est le cas d’Omar el-Béchir.
Les blessures de la colonisation ne sont pas encore refermées, et tout cela semble injuste. Mais qui, parmi ces gens, voudriez-vous retirer de la liste ?
Joseph Kony, le prophète auto-proclamé, dont l’Armée de résistance du Seigneur a assassiné des dizaines de milliers d’innocents au nord de l’Ouganda et dans les pays voisins ?
Jean-Pierre Bemba, ancien chef des rebelles congolais, qui est jugé pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre après des accusations de meurtre, viol et pillage en République centrafricaine en 2002 et 2003 ?
Ou bien l’ancien Président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, qui est poursuivi pour quatre chefs d’accusation —meurtre, viol et autres formes de violence sexuelle, persécution, et « autres actions inhumaines » — lors des violences qui ont fait suite aux élections controversées de 2010 ?
Aucun de ces hommes n’est victime de lynchage. On les a juste convoqués pour affronter un procès, dans lequel ils jouissent de tous les droits légaux qu’on les accuse de refuser à d’autres. Et, dans la plupart des cas, les poursuites ont été engagées avec le soutien du pays africain compétent.
Il y a deux raisons pour lesquelles les pays africains sont largement représentés dans cette liste. La première est que la moitié des guerres au niveau mondial se jouent en Afrique. La seconde est que les pays africains, si vulnérables à la violence, ont grand intérêt à faire régner la loi, ce que comprennent la plupart des avocats et fonctionnaires d’Afrique.
Leurs présidents et premiers ministres, qui appartiennent à un cercle très fermé, se mettent souvent en travers de leur route. Les dirigeants africains ont tendance, comme tout autre groupe d’intérêt, à tenter de se placer au-dessus des lois qui les rendent juridiquement responsables de leurs actes. La CPI a également commis des erreurs, en s’attaquant par exemple à de hauts responsables politiques dans des cas où il n’y avait aucune chance réaliste d’obtenir les preuves nécessaires pour les condamner —notamment le Président du Kenya, Uhuru Kenyatta.
Mais même si elle échoue la plupart du temps, la CPI est une entreprise qui mérite d’être menée. Elle fait partie d’un effort à long terme visant à construire un monde gouverné par la loi, et non par la force, même si ce but ne sera pas atteint avant un siècle encore ; et, en attendant, la CPI rend de temps en temps justice aux victimes en ce moment même, dans le présent.
- Gwynne Dyer est un journaliste indépendant dont les articles sont publiés dans 45 pays.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Le Président soudanais Omar el-Béchir arrivant à Khartoum en provenance de Johannesburg le 15 juin 2015 après que le tribunal lui a interdit de quitter le territoire sud-africain (AFP)
Traduction de l'anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].