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Trente-six ans plus tard, les Etats-Unis peinent toujours à comprendre l’Iran

Des dossiers récemment déclassifiés révèlent les difficultés américaines à comprendre la révolution iranienne ; une réalité qui continue à affecter la politique de Washington vis-à-vis de l’Iran

La semaine dernière, la République islamique d’Iran a commémoré le 36e anniversaire de la révolution islamique qui a renversé le Chah et donné le pouvoir à certaines sections du clergé chiite. En trente-six ans, le visage de l’Iran, ainsi que de nombreux aspects de la politique intérieure et étrangère du pays, se sont transformés jusqu’à devenir méconnaissables.

Des dossiers américains récemment déclassifiés concernant la dénommée « mission Huyser » (en référence au général Robert E. Huyser, aujourd’hui décédé) révèlent l’impuissance américaine face à la révolution iranienne. Au moment où le général Huyser arrivait à Téhéran, début janvier 1979, les Etats-Unis avaient abandonné le Chah à contrecœur, et ils firent preuve d’un manque profond de perspicacité quant à ce qui pouvait et devait faire suite à son renversement.

Les dirigeants et stratèges américains adoptèrent une ligne politique extrêmement large et générale, invoquant par exemple le besoin pour les Etats-Unis et l’Iran « d’entretenir des liens gouvernementaux forts et stables ». En fait, c’est le contraire qui s’est produit, les relations entre les deux pays plongeant dans une guerre froide qui perdure à ce jour.

Ces documents déclassifiés sont importants non seulement parce qu’ils aident à démêler les incertitudes et disputes historiques, mais aussi, et de manière plus significative, parce qu’ils soulignent la profonde confusion et incompréhension américaines quant à la nature de la société iranienne et à l’équilibre des pouvoirs dans le pays.

Les Etats-Unis ont toujours la possibilité de tirer des leçons utiles de cette mission vouée à l’échec afin de gérer la révolution iranienne. Ceci est d’autant plus important que sont apparus des signes hésitants mais crédibles d’une éventuelle détente dans les relations bilatérales.

Clarté historique

La publication des documents déclassifiés relatifs à la « mission Huyser » sont loin de faire la lumière absolue sur le rôle des puissances étrangères dans la révolution iranienne de 1978-79.

Les enjeux ne sont pas seulement académiques, dans la mesure où pendant les trente-six dernières années un débat animé et parfois acrimonieux a fait rage au sein de certaines communautés iraniennes – particulièrement celles en exile – sur la complicité présumée du gouvernement américain dans la chute du Chah.

Les théories du complot proviennent principalement des cercles royalistes et de ces groupes qui ont considérablement perdu lors du spectaculaire basculement du pouvoir qui a suivi l’apogée de la révolution le 11 février 1979.

Les descendants du régime du Chah ont longtemps fait valoir que la révolution n’aurait pas pu aboutir sans le soutien clandestin des Etats-Unis. La mission tardive du général Huyser visant à surveiller et gérer la phase finale de la révolution semble cadrer parfaitement avec cette théorie du complot.

Or, ce que les dossiers déclassifiés nous indiquent est que les Etats-Unis n’ont pas su prédire – et encore moins manipuler – le moment et l’intensité de la révolution iranienne. De plus, les dirigeants, stratèges et législateurs américains semblent avoir été profondément déconcertés et divisés sur la manière d’y répondre.

Il apparaît que la vaste majorité des décideurs américains – y compris le Président Jimmy Carter – souhaitaient soutenir une administration civile dirigée par feu Shapour Bakhtiar. Cependant, une minorité significative, menée par Zbigniew Brzezinski, le conseiller en matière de sécurité nationale et stratège principal de la politique étrangère des Etats-Unis à l’époque, n’était pas opposée à un coup militaire mené par l’armée du Chah.

Les fichiers déclassifiés – et d’autres sources crédibles– ne présentent aucune preuve du fait que le gouvernement des Etats-Unis ait, partiellement ou totalement, conspiré contre le Chah.

Au contraire, le gouvernement américain semble avoir été déterminé à ne céder aucun avantage aux révolutionnaires. La préoccupation principale des Etats-Unis était de préserver les relations irano-américaines ; et la meilleure façon de le faire était, selon les dirigeants américains, de conserver le régime du Chah autant que possible.

D’où l’important soutien des Etats-Unis à Shapour Bakhtiar (en vain, il fut Premier ministre pour un mois seulement) et à l’armée du Chah. Cette stratégie américaine malavisée s’est poursuivie pendant des semaines alors que Bakhtiar fuyait son poste et que l’armée proclamait sa propre neutralité face à l’inévitable.

Les leçons du passé    

Les documents de la mission Huyser nous apprennent beaucoup sur l’étendue de l’incompréhension américaine vis-à-vis de la politique et de la société iraniennes. En particulier, certains stratèges américains (en particulier Brzezinski) semblaient penser à tort que le coup militaire pourrait enrayer la vague révolutionnaire.

Un coup d’Etat n’aurait pas seulement provoqué un bain de sang, il aurait très probablement conduit à la désintégration rapide des forces armées iraniennes. La révolution iranienne avait engagé et énergisé chaque section de la société et elle était conduite par un leader éminemment charismatique. En bref, la révolution était une force inarrêtable.   

Plus tard, les révolutionnaires ont récompensé la neutralité adoptée par les forces armées en permettant aux militaires de conserver la majeure partie de leurs structures, de leurs doctrines et de leur culture. Cependant, les révolutionnaires étaient suffisamment prévoyants pour créer une force armée parallèle, le corps des Gardiens de la Révolution islamique.

Les Gardiens de la Révolution islamique ont immédiatement neutralisé toute menace potentielle en provenance de l’armée, puis, à la longue, sont devenus le vecteur à travers lequel l’Iran révolutionnaire a projeté un vaste éventail de soft et hard power à travers la région.

L’un des principaux facteurs de l’intensité et de la longévité du conflit politique, idéologique et stratégique opposant l’Iran et les Etats-Unis est l’apparente incapacité du gouvernement américain à tourner la page de la révolution iranienne.

Les maîtres de la sécurité nationale postrévolutionnaire en Iran se sont souvent plaints du fait que les Etats-Unis aspirent à orchestrer un « changement de régime » en Iran afin de rétablir le statu quo ante bellum. Ce seul élément, selon les Iraniens, rend pratiquement impossible tout dialogue honnête avec les Etats-Unis.

Si les Etats-Unis cherchent sérieusement à établir une entente limitée avec la République islamique dans le but, à long terme, de restaurer les relations entre les deux pays, alors les dirigeants et législateurs américains doivent répondre à cette préoccupation iranienne centrale. C’est seulement en reconnaissant officiellement les changements inspirés par la révolution iranienne que les Etats-Unis pourront commencer à restaurer un dialogue crédible avec l’Iran.
 

Mahan Abedin, spécialiste en politique iranienne, dirige le groupe de recherche Dysart Consulting.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : les Iraniens célèbrent le 36e anniversaire de la révolution islamique sur la place Azadi de Téhéran, le 11 février 2015 (AA). 

Traduction de l’anglais (original).

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