Aller au contenu principal

Un an après avoir vaincu l’EI, l'Irak a besoin d'une vision nationale

L’Irak est parvenu à une certaine stabilité dans l’année qui a suivi la défaite de l’EI, mais des problèmes politiques et sécuritaires persistent
En juillet 2014, il y a tout juste quatre ans, Abou Bakr al-Baghdadi, se tenant dans la mosquée al-Nouri de Mossoul, déclarait un califat et la création d’un État islamique. 

En juillet 2017, cette mosquée a été reprise par les forces militaires irakiennes, et le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a célébré ce moment comme le point culminant de la victoire sur le groupe État islamique (EI) en Irak et au Levant.

À ce moment-là, de nombreux défis attendaient l’État irakien en termes de reconstruction et de réconciliation après trois années sous la domination de l’État islamique. Comment s’en tire l’État irakien un an après la libération de Mossoul ?

Un défi de taille

Le plus grand défi semble être la réconciliation, en particulier entre les communautés ethniques et confessionnelles d’Irak, et leur relation avec l’État. Les résultats de l’élection de mai autorisent un optimisme prudent à cet égard.

La reconstruction est un défi physique : il s’agit de rebâtir les centres urbains que contrôlait l’EI pour que les déplacés internes puissent rentrer chez eux, libérés des menaces et de l’intimidation, en particulier les meurtres en représailles d’une collaboration présumée des personnes déplacées avec l’EI.

La réconciliation implique de faire évoluer les sentiments au sein des populations locales, notamment en s’occupant des personnes accusées d’avoir travaillé avec l’EI

Alors que la reconstruction par le gouvernement central, en particulier de Mossoul, a été ponctuelle et léthargique, les communautés locales se sont montrées plus résistantes face à la reconstruction de leurs villes dévastées. À Mossoul, le nettoyage a été pris en charge par des volontaires ou autofinancé par des habitants à court d’argent.

La réconciliation implique de faire évoluer les sentiments au sein des populations locales, notamment en s’occupant des personnes accusées d’avoir travaillé avec l’EI. À cet égard, les institutions tribales ont utilisé leurs propres mécanismes d’honneur, de réconciliation et de réintégration lorsque le système judiciaire irakien a failli.  

En termes de réconciliation au niveau national, les institutions étatiques doivent promouvoir la confiance avec le public irakien. Les Kurdes irakiens et les Arabes sunnites isolés semblaient manifester leur « adhésion » au gouvernement central à Bagdad, faisant confiance au sort de leurs groupes communaux avec leurs représentants élus au Parlement.

Des hommes se rassemblent autour de chichas à Mossoul (MEE/Tom Westcott)

Les Kurdes, qui ont déclaré leur indépendance en septembre 2017, et les Arabes sunnites, qui avaient formulé des revendications pour obtenir leur propre entité fédérée comme les Kurdes pendant l’occupation de l’EI, semblent avoir modéré leurs revendications avant les élections de mai et cherchent une plus grande décentralisation et autonomie via le consensus et le compromis au Parlement.

Problèmes structurels

Au moment où l’EI a été vaincu, les milices chiites étaient souvent perçues par les Kurdes et les Arabes sunnites comme une institution sectaire coercitive, alors que certains chiites les considéraient comme des libérateurs. Aujourd’hui, les dirigeants des milices chiites opèrent non pas en tant que commandants militaires, mais en tant que politiques après que leur coalition a remporté la deuxième place lors des élections irakiennes.

Sur le champ de bataille, ces commandants exigeaient la discipline et l’obéissance de leurs combattants. Au Parlement, ils devront pratiquer le compromis et la persuasion sans recourir aux armes. De plus, les commandants des milices qui sont désormais des politiques chercheront probablement à contrôler leurs milices et à encourager leur intégration au sein des forces de sécurité nationales afin de préserver leur cote de popularité.

Le nouveau gouvernement irakien devra s’attaquer à des problèmes qui vont au-delà de la reconstruction et de la réconciliation, et résoudre les problèmes structurels endémiques de la politique irakienne

Tous ces défis qui ont émergé la première année après la libération de Mossoul soulèvent la question de savoir comment le gouvernement irakien s’en tirera dans les temps à venir.

Alors que passe le premier anniversaire de la chute de Mossoul, les vainqueurs des élections irakiennes doivent encore se mettre d’accord sur un nouveau Premier ministre et un nouveau gouvernement. Le nouveau gouvernement irakien devra s’attaquer à des problèmes qui vont au-delà de la reconstruction et de la réconciliation et résoudre les problèmes structurels endémiques de la politique irakienne.

D’abord et avant tout, la corruption. La coalition du chef religieux chiite, Moqtada al-Sadr, al-Sairoun (En marche) a remporté les élections, avec un programme de non-sectarisme et d’éradication de la corruption.

Pendant les trois années de guerre contre l’EI, le public a suivi les informations concernant le front, suivant les batailles pour des villes comme Tikrit, Ramadi, Falloujah et Mossoul, tandis que les forces militaires irakiennes les conquéraient quartier par quartier, rue par rue.

Désormais, les Irakiens exigeront des informations concernant une nouvelle bataille : l’éradication de la corruption, ministère par ministère, politique par politique.  

Assurer la sécurité

Ensuite, le nouveau gouvernement irakien sera jugé sur sa capacité à assurer la sécurité. L’année suivant la chute de Mossoul a connu relativement peu d’attaques de l’EI, à l’exception d’une en janvier 2018 qui a fait 38 morts à Bagdad et une récente vague d’enlèvements en juin sur l’autoroute Bagdad-Kirkouk

Les forces de sécurité irakiennes devront rester vigilantes pour empêcher la résurgence de l’EI. De plus, les réformes et la restructuration des forces de sécurité irakiennes devront continuer pour qu’elles puissent devenir des forces capables de protéger les frontières poreuses de l’Irak avec la Syrie et mener des opérations antiterroristes au sein de la nation.

Le Premier ministre irakien Haïder al-Abadi prononce un discours lors d’une cérémonie dans la ville sainte de Nadjaf (AFP)

Le troisième défi pour le nouveau gouvernement quel qu’il soit sera de gérer le rôle des puissances étrangères qui chercheront à influencer la politique intérieure irakienne.

Ce défi pourrait s’avérer particulièrement difficile puisque les États-Unis et l’Iran ont fait monter les tensions après le retrait de Trump de l’accord sur le nucléaire, qui menace de transformer l’Irak en une arène intermédiaire entre Washington et Téhéran.  

Un discours stratégique

D’abord et avant tout, au niveau national, le nouveau gouvernement irakien devra élaborer un discours stratégique convaincant sur la manière dont un processus politique peut traiter les conditions sous-jacentes qui ont mené à l’émergence de l’EI, il y a quatre ans.

Ces problèmes comprennent le renforcement de la cohésion nationale entre les élites chiites et les partis kurdes et les éléments du spectre politique sunnite arabe qui se disputent et contestent tous le pouvoir à mesure qu’un nouveau gouvernement prend forme.

Un discours convaincant se construirait sur le traumatisme de la domination de l’EI et de la guerre contre le groupe, en établissant un terrain d’entente entre tous les Irakiens pour que ce groupe ne puisse plus jamais établir de contrôle territorial dans aucune partie de la nation et pour que toute tentative de sa part de recourir à la violence en tant que groupe d’insurgés soit empêchée.  

À LIRE ► Incendie, fraude et recomptage : la sombre réalité de la douteuse politique irakienne

Ensuite, le nouveau gouvernement irakien doit tenir compte du désir du public d’avoir une gouvernance fiable, de sa lassitude envers les divisions ethnosectaires qui minent la gouvernance et, surtout, une gouvernance stable aux niveaux national, provincial et municipal.

Enfin, l’État irakien doit démontrer que sa richesse pétrolière ne sera pas gaspillée, mais utilisée pour un processus de reconstruction durable et pour stimuler les opportunités d’emploi.

Il y a quatre ans, quand l’EI a pris le contrôle de Mossoul et a déclaré un État islamique, de nombreux pronostics prévoyaient l’effondrement et la désintégration de l’État-nation irakien. Non seulement ces nécrologies étaient prématurées, mais les Irakiens, dont beaucoup prennent eux-mêmes en charge la reconstruction et la réconciliation au niveau local, cherchent à assurer la survie de leur nation.

- Ibrahim Al-Marashi est professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’Université d’État de Californie à San Marcos. Parmi ses publications figurent Iraq’s Armed Forces: An Analytical History » (2008), « The Modern History of Iraq » (2017), et« A Concise History of the Middle East » (à paraître).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : une Irakienne, portant un nouveau-né, passe à côté des ruines de la mosquée al-Nouri alors qu’elle fuit la vieille ville de Mossoul, le 5 juillet 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (originalpar VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].