Voici comment Daech a survécu à une année de bombardements et de guerre terrestre
Une année s’est pratiquement écoulée depuis l’avènement du groupe État islamique (EI) en juin dernier. Depuis lors, une coalition internationale a été formée pour le vaincre. Cette coalition placée sous commandement américain possède tous les atouts matériels nécessaires à sa réussite. Elle maîtrise totalement les airs : l’ennemi n’a ni force aérienne, ni défense aérienne significative. La coalition dispose également de différents acteurs sur le terrain.
En Irak, la coalition bénéficie du soutien de l’armée irakienne (formée et équipée par les États-Unis), de diverses milices chiites soutenues par l’Iran et des peshmergas. En Syrie, elle compte sur divers groupes syriens, le PKK kurde (Parti des travailleurs du Kurdistan) et les YPG (Unités de protection du peuple). La coalition bénéficie indirectement des activités de l’armée syrienne, tels que les raids aériens contre les cibles du groupe EI, en particulier à Deir Ezzor et ses alentours. Pourtant, bien que toutes ces forces soient réunies, la coalition ne peut se vanter que de petites victoires, comme la prise encore controversée de Tikrit, et les progrès kurdes dans les zones adjacentes à Sinjar. Même l’exemple le plus symbolique des victoires de la coalition, la reprise de Kobani, fut chèrement payé. L’ampleur des destructions dans la ville parle d’elle-même.
Ironiquement, la plus grande réussite de la coalition ne réside pas dans le nombre de villes et villages qu’elle a contribué à libérer, mais plutôt dans le nombre de villes qu’elle a empêché de tomber aux mains du groupe EI. L’été dernier, la chute de Bagdad ne semblait pas inconcevable et Erbil était sur le point d’être encerclée. Pour l’instant, les deux villes semblent sûres. L’intervention rapide des États-Unis en est effectivement la raison.
Toutefois, même ces réalisations demeurent réversibles et les récents combats dans la province d’Anbar et à la raffinerie de pétrole de Baïji sont des rappels de la fragilité de l’armée irakienne et de la ténacité de l’EI. Ces faits démontrent également la nature optimiste, voire illusoire, des cartes diffusées récemment par le ministère américain de la Défense, affirmant que le groupe EI perd régulièrement du terrain.
Bien qu’il ait effectivement perdu une partie du territoire et des centaines, sinon des milliers, de soldats, sa capacité et son envie d’ouvrir de nouveaux fronts et d’infliger de lourdes pertes à ses ennemis n’en ont pas été réfrénées. L’objectif premier consistant à vaincre le groupe EI demeure incertain et, désormais, plus personne ne mentionne son effondrement rapide.
Compte tenu de toutes les difficultés auxquelles est confronté cet « État » naissant, il est intéressant de se demander comment le groupe EI a réussi à survivre et pourquoi les bombardements aériens combinés aux forces terrestres qui œuvrent contre lui avec la coalition n’ont pas porté leurs fruits.
Pour répondre à cette question, il faut évaluer les tactiques, le moral et l’implication des deux parties.
En temps de guerre, deux éléments sont absolument essentiels : les renseignements et la surprise. Ces deux composants sont étroitement liés. Plus une partie connaît son adversaire, plus celle-ci est en mesure de déterminer quel type de ressources déployer et comment. Cette connaissance est également vitale pour déterminer quand et où surprendre l’ennemi.
Depuis le début de la guerre, il est évident que le groupe EI dispose de ces deux éléments. En revanche, ses adversaires – en dépit de leur supériorité aérienne et de leur avantage numérique sur le terrain – semblent manquer des deux. Avant même que la guerre ne débute, le groupe avait non seulement prévu l’intervention américaine mais également fait en sorte de la précipiter.
La défaillance du groupe EI en matière de renseignements concernait la date du début des frappes aériennes et leur portée géographique, non le fait de savoir s’il y en aurait. Par conséquent, son objectif était de réduire le délai et l’étendue géographique des frappes américaines.
Les attaques du groupe dans les régions kurdes en Irak et en Syrie ont précipité ces frappes et, dans une certaine mesure, les ont limitées. Après la reprise de Kobani par les Kurdes, le porte-parole de l’EI, Muhammad al-Adnani, a estimé que la bataille de Kobani avait absorbé 70 % des frappes quotidiennes de la coalition. Que ce chiffre soit exact ou non importe moins que le fait que Kobani a réellement concentré l’essentiel des raids aériens malgré sa petite taille et sa localisation marginale. Le bon sens militaire voulait que le groupe EI s’autodétruise en s’investissant trop dans la ville.
Néanmoins, la capacité de l’EI à continuer de lutter efficacement après la reprise de Kobani suggère que sa mission dans la ville était plus qu’un simple mouvement autodestructeur de la part de fous drogués.
L’automne dernier, alors que les combats faisaient rage autour de Kobani, le groupe EI consolidait ses gains ailleurs et, plus important encore, s’assurait le temps nécessaire pour développer ses institutions à Mossoul et à Raqqa – les perturbations étant réduites au minimum puisque la guerre faisait rage au loin sur les frontières. Les vidéos du groupe EI continuaient à montrer d’importantes réunions entre des agents de liaison du groupe et des chefs tribaux en Syrie et en Irak, dans lesquelles ces derniers prêtaient serment d’allégeance à al-Baghdadi.
Alors que cette stratégie de formation d’alliance et de gain de convertis battait son plein, l’avancée vers Erbil concentrait l’attention de la coalition sur les régions kurdes. Les attaques du groupe EI sur les postes de contrôle irakiens ont été menées avec une relative facilité et une opposition aérienne minimale.
L’évolution de la guerre démontre clairement que le groupe EI s’était préparé à une guerre prolongée pas uniquement avec ses voisins, mais également avec les États-Unis. Cette préparation est évidente dans la tactique qu’il a adoptée depuis. Pour minimiser l’impact des bombardements aériens et utiliser à bon escient ses munitions, le groupe EI a misé sur de petites unités mobiles qui attirent peu l’attention vues du ciel et semblent gaspiller la coûteuse surveillance et les munitions aériennes déployées par la coalition.
Cependant, pour compenser cette pénurie sur le champ de bataille, l’EI a fait en sorte que ces petites unités soient destructrices. Elles attaquent uniquement des cibles qui ont été soigneusement étudiées au sol par des collaborateurs ou dans les airs par les drones bon marché du groupe, et parfois par les deux. Cela donne une vue claire du théâtre des opérations aux combattants du groupe EI et minimise les mauvaises surprises. En revanche, pour les soldats irakiens et les combattants kurdes, les attaques du groupe EI se caractérisent par leur vitesse, leur gravité et leur effet de surprise. Pour assurer l’élément de surprise et réduire la visibilité de la reconnaissance aérienne, le groupe profite souvent du mauvais temps.
Le groupe EI sélectionne également ses cibles avec soin. Pour soutenir ses grandes offensives sur les principaux centres urbains, ce qui nécessite énormément de temps et de ressources et qui expose ses moyens militaires aux raids aériens, le groupe EI attaque souvent les postes éloignés, qui, bien exposés et vulnérables, ont tendance à disposer de stocks considérables d’armes afin, en théorie, d’aider leurs défenseurs à tenir bon jusqu’à l’arrivée des renforts des centres urbains. Cela permet au groupe non seulement d’obtenir plus d’armes, mais aussi de couper les routes d’approvisionnement et les passages frontaliers sécurisés afin de générer des liquidités en imposant des amendes et des taxes sur la circulation des personnes et des marchandises.
En outre, ces attaques constituent une source constante de matériaux de propagande, qui permettent au groupe EI de défendre son image d’adversaire mortel qui pourrait se trouver n’importe où à n’importe quel moment. Les effets de ces attaques sur le moral de ses ennemis sont – à en juger par la désertion massive du champ de bataille par les soldats irakiens et syriens – assez néfastes. La détermination de ceux qui défendent les grands centres urbains fléchit lorsqu’ils voient ou entendent l’impact mortel de la guerre hybride menée par le groupe EI : kamikazes conduisant des voitures bourrées d’explosifs, combattants de première ligne courant à une mort certaine, et bombardements consciencieux à l’aide de pickups lancés à pleine vitesse, de mortiers et parfois d’artillerie lourde – le tout se mêlant en une sorte d’unisson démoniaque.
Récemment, le ministère de la Défense des États-Unis a noté que le groupe EI se contente désormais de mener généralement de petites attaques de « harcèlement », un fait qu’il interprète comme un signe de son affaiblissement. Il est exact que l’EI se repose sur des attaques de petite envergure, mais l’évaluation des raisons et des objectifs faite par la Défense américaine est tout à fait erronée. Le groupe EI n’est pas incapable de mener des attaques à grande échelle : il sait qu’elles sont de peu d’importance et très risquées compte tenu de la domination totale de l’espace aérien par les Américains. Les petites attaques, qui n’ont qu’une valeur de propagande selon la Défense, ont à force des effets psychologiques et militaires destructeurs. Non seulement ces attaques sur les postes de contrôle frontaliers et les check points isolés des routes principales créent un sentiment d’insécurité à travers tout le pays, mais ces postes se trouvent également dans un état d’alerte constant. Cela oblige les gouvernements à disperser les ressources sur une échelle plus large, limitant ainsi la capacité de concentrer les ressources dans une zone afin de gagner une bataille importante contre le groupe EI.
Ces attaques forcent également ces acteurs à rester sur la défensive. Le groupe EI a jusqu’ici eu peu à craindre d’une attaque surprise des peshmergas et encore moins de l’armée irakienne. La nature léthargique et publique des efforts militaires fournis par ces parties donnent amplement le temps au groupe EI de décider des tactiques nécessaires pour défendre une zone déterminée d’une attaque imminente, notamment en se reposant sur des tactiques asymétriques : déploiement de petites unités cherchant à entraver et à prolonger plutôt qu’à repousser l’assaut. Cela contribue à la stratégie globale de guerre d’usure et psychologique dont ces attaques rapides et mortelles constituent un élément clé.
La chute récente de Ramadi et de Palmyre aux mains du groupe EI est le fruit de cette tactique des petites attaques. Lorsque les routes d’approvisionnement sont coupées, lorsque les soldats des centres urbains sont engagés dans une guerre asymétrique prolongée, depuis longtemps sur la défensive et forcés de livrer des batailles secondaires qui ne relèvent pas de leur propre chef et diffèrent en tout point de ce pour quoi ils ont été formés, une dernière poussée un peu plus importante est suffisante pour écraser le peu de détermination dont ils pouvaient encore disposer. Si le groupe EI continue à jouir de la liberté de choisir son champ de bataille, en employant les tactiques qu’il connaît le mieux, sans être obligé d’engager un important contingent de ses soldats ou de son matériel sur une localisation spécifique, alors non seulement le groupe EI survivra, mais la prise par ce dernier d’autres centres urbains, tels que Bagdad et Damas, sera envisageable, sinon inévitable.
- Ahmed Meiloud est doctorant à la School of Middle Eastern and North African Studies de l’université d’Arizona. Ses recherches portent sur l’étude des divers mouvements de l’islam politique dans le monde arabe, plus particulièrement sur les œuvres des penseurs, des juristes et des intellectuels éminents qui façonnent les courants modérés de l’islamisme.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un combattant se tient debout devant un drapeau du groupe EI dans la vidéo de propagande « Flames of War » (YouTube).
Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.
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