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Ce qui se passe en Algérie s’inscrit dans la continuité d’un processus engagé il y a 65 ans

Si la sortie des Algériens dans la rue a pris le monde de court, ces évènements vont pourtant dans le sens de la marche. Le processus de la transition politique, aussi lent qu’il puisse paraître, a débuté en 1954
Le vendredi 1er mars, lors de l’imposante manifestation à Alger contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika (MEE/Mohamed Kaouche)

Les Algériens sont donc sortis dans les rues d’Alger et d’autres villes à travers l’Algérie le 22 février dernier. Ils en ont, depuis, investi les lieux. Ils sont aussi sortis au moment où on les attendait le moins. Car force est de reconnaître que personne n’avait vu venir cette vague humaine.

Nous avons en effet tous été surpris par l’ampleur du mouvement, pensant à tort que les Algériens s’étaient définitivement détournés de la politique de leur pays. Qu’ils étaient endormis, anesthésiés. Prétendre le contraire serait bien trop facile aujourd’hui.

Mais tel un volcan en sommeil qui soudainement se met à cracher sa magnifique lave, les Algériens sont apparus unis, tout aussi soudainement, à travers les rues des différentes villes du pays. En chantant, dansant et scandant haut et fort qu’ils veulent du changement dans leur vie. Dans et pour leur pays.

Après les annonces du président Bouteflika, lundi 12 mars, des Algériens ont défilé dans les rues de la capitale (AFP)

Saluons au passage ce mouvement pacifique et organisé. Rendons aussi hommage aux Algériens et à leur capacité de résilience unique et inimaginable. Des Algériens si souvent décriés, catalogués et caricaturés, particulièrement en France.

À cet égard, et à y regarder de plus prêt, ce peuple algérien demeure, malgré les apparences, bel et bien à l’avant-garde des luttes pour la liberté et la dignité de toute la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA).

Si la sortie des Algériens dans la rue a pris le monde de court, il est important de souligner que ces évènements vont pourtant dans le sens de la marche. Le sens des choses.

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Les historiens qui ne sont pas sujets à l’immédiateté de l’analyse et qui étudieront cette période, noteront sans nul doute que le 22 février 2019 s’inscrit bien dans la continuité d’une libération politique entamée le 1er novembre 1954. Et ce mouvement auquel nous assistons en Algérie ne peut être dissocié de cette date et des nombreuses autres qui ont suivi depuis.

En effet, cette nouvelle amorce de transition politique se doit d’être analysée à l’aune d’autres luttes et combats portés par les Algériens. L’indépendance du pays en juillet 1962 en fut une première étape mais aussi une première victoire.

Pour ce, il y eut aussi avant cela, le congrès de la Soummam du 20 août 1956, que l’on peut qualifier d’acte majeur structurant et organisant la révolution algérienne. Suivirent alors d’autres luttes et déchirements dans le processus de construction de l’État algérien.

Le 22 février 2019 s’inscrit bien dans la continuité d’une libération politique entamée le 1er novembre 1954

Le coup d’État de 1965 qui porta le colonel Houari Boumédiène à la tête du pays représenta  un tournant dans le paysage politique de l’Algérie contemporaine.

Sa mort soudaine en décembre 1978 obligea ses pairs à revoir leur logiciel de gouvernance dans la précipitation, au moment même où Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, se voyait lui, comme le digne et naturel successeur de Boumédiène.

L’histoire en décida autrement et contre toute attente, c’est Chadli Bendjedid qui fut désigné pour diriger le pays. Une nouvelle transition prenait place.

Très vite, de nouvelles revendications émanant du peuple ont émergé avec comme point culminant, le Printemps berbère de 1980 et les manifestations réclamant l’officialisation de la langue tamazight et la reconnaissance de l’identité amazighe en Algérie.

Fin d’une ère 

Près de dix ans après son arrivée au pouvoir, Chadli Bendjedid ouvrait ensuite le champ politique qui allait couronner le multipartisme en 1989. Un pas supplémentaire était franchi dans le développement de la cité algérienne.

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Cette ouverture politique précipitée déboucha toutefois sur cette dramatique expérience qui faillit porter le Front islamique du salut (FIS) au pouvoir en 1992, la décennie noire, une gouvernance collégiale puis une nouvelle ère entamé à partir de 1999 sous la présidence du président actuel, Bouteflika. C’est donc sous cet angle que nous devons analyser ce qui se passe en Algérie aujourd’hui.

Au regard de l’ampleur des manifestations et autres démissions en cascade, il va de soi que les dirigeants actuels en Algérie ont bien compris que la fin d’un cycle était arrivé. La fin de l’ère Bouteflika et de sa camarilla.

Ceci dit, les dirigeants algériens et le peuple se doivent de faire preuve de beaucoup de sagesse pour la suite des évènements. Car si cahin-caha, les choses avancent et le processus politique poursuit son évolution, il n’en demeure pas moins que les obstacles demeureront nombreux avant d’arriver à un système politique mature.

Et la jeunesse algérienne qui est profondément attachée à son pays et réclame aujourd’hui et à juste titre, un changement, ne doit toutefois pas se laisser griser par les scènes d’allégresse actuelles.

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En effet, si les voix de cette jeunesse hyper connectée doivent être portées, entendues et surtout (enfin) prises en compte, il n’en demeure pas moins que l’euphorie du moment ne doit pas balayer d’un revers de main toute l’expérience, positive comme négative, construite depuis des décennies.

Et ce, afin de non seulement ne pas commettre les mêmes erreurs, mais aussi, construire et avancer tous ensemble. Cette euphorie ne doit pas non plus se transformer en arrogance afin d’humilier ceux qui sont honnis depuis des années.

Ni plus encore, mélanger les genres et tomber dans ce piège qui consisterait à crier haut et fort « Tous pourris ! ». Ce serait là, commettre une bien grave erreur que tous les Algériens dans leur ensemble finiraient par payer tôt ou tard.

Ils sont sans nul doute nombreux ces ministres, diplomates et autres technocrates en postes – ou qui le furent–, intègres et hautement compétents. Plus que jamais, l’Algérie et les algériens ont besoin de ces hommes et de ces femmes d’expérience afin d’accompagner en toute sérénité cette nouvelle transition politique à laquelle nous assistons.   

Accepter des compromis

Rappelons aussi que, quoi que l’on puisse en dire, ce régime et l’armée populaire algérienne (ANP) ont toujours su préserver leur pays des dangers internes et externes qui l’entourent dans cette région chaotique où l’Algérie apparaît bien esseulée et comme seul havre de paix et de stabilité.

Stabilité pour elle et son peuple, mais aussi pour ses voisins immédiats et lointains. Malgré toutes les autres et nombreuses incuries, force est de reconnaître cela.

Il va donc falloir savoir avancer sans se précipiter. Réfléchir et accepter des compromis, aussi douloureux qu’ils puissent être, puisse paraître.

Il faudra aussi éviter les récupérations internes (les salafistes sont aux aguets) mais aussi émanant de l’extérieur (la photo d’Erdoğan circule déjà parmi les manifestants). Les Algériens devront surtout trouver seuls leur propre voie. Comme ils ont toujours su le faire.

Ce régime et l’armée populaire algérienne ont toujours su préserver leur pays des dangers internes et externes

Pour rappel, une transition politique est un processus long et complexe. Les démocraties occidentales bien ancrées ne se sont pas construites en un jour. Ni même une année.

Elles sont d’ailleurs constamment mises à l’épreuve, leur système (imparfait) étant d’ailleurs de plus en plus remis en cause aujourd’hui, par d’autres mouvements émanant des sociétés civiles.

En Algérie, ce processus, aussi lent qu’il puisse paraître, a débuté en 1954.

Personne ne sait encore comment réagira la rue aux annonces du président Bouteflika. Une chose demeure cependant certaine, les Algériens surprendront toujours leur monde !

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abdelkader Abderrahmane est chercheur en géopolitique et consultant international sur les questions de paix et de sécurité en Afrique
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