Aller au contenu principal

Le Palais royal continue de mener un train de vie fastueux pendant que la pauvreté touche presque un quart des Marocains

Malgré une crise socioéconomique asphyxiante, le budget du Palais royal ne subira aucune baisse en 2020. Voilà qui en dit long sur l’immobilisme du régime
Selon le projet de loi de finances, la cour maintiendra son train de dépenses grâce à un budget d’un peu plus de 230 millions d’euros (AFP)

Au Palais royal de Rabat, le roi a présidé, mercredi 16 octobre, un conseil des ministres consacré à la présentation des orientations générales du projet de loi de finances au titre de l’année 2020.

Comme attendu, le budget du Palais royal n’a pas baissé malgré la crise économique et les inégalités sociales qui déchirent le royaume. La cour maintient en effet son train de dépenses grâce à un budget, à peine imaginable, d’environ 2,5 milliards de dirhams (un peu plus de 230 millions d’euros). 

Ce projet de loi de finances présente le budget du Palais royal qui comprend les différentes dépenses de fonctionnement de la cour et toutes ses sections : gestion des listes civiles, attributions de souveraineté, personnel, matériel et dépenses diverses.

De quoi faire grincer les dents de quelque 9 millions de Marocains, soit 24 % de la population, « considérés comme pauvres ou menacés de pauvreté » selon le dernier rapport de la Banque mondiale

Un budget colossal qui va à l’encontre d’un discours gouvernemental ambiant sur l’austérité et le manque de ressources financières et contredit le discours du souverain : « Où sont passées les richesses du Maroc ? » ou « Dieu sait à quel point je suis peiné de voir que des citoyens marocains, ne représenteraient-ils que 1 % de la population, continuent à vivre dans la précarité et le dénuement matériel » (dernier discours du Trône)

De quoi faire grincer les dents de quelque 9 millions de Marocains, soit 24 % de la population, « considérés comme pauvres ou menacés de pauvreté » selon le dernier rapport de la Banque mondiale. 

Comme à l’accoutumée, la nouvelle équipe gouvernementale, fraîchement installée, va certainement voter à l’unanimité le budget royal. Une tradition dans la vie politique marocaine où les élus de la nation se trouvent souvent acculés à approuver les dépenses de la cour sans jamais se poser de questions sur l’augmentation presque systématique de quelques lignes du budget royal. 

Maroc : étalage de luxe royal en mer pendant que les Marocains émigrent en masse
Lire

Il aura fallu attendre l’année 2013 pour voir cette tradition remise en question par un député du Parti de la justice et du développement (PJD, islamistes), Abdelaziz Aftati, qui a réclamé que des administrateurs viennent s’expliquer sur le montant de l’enveloppe astronomique que le palais allait s’adjuger suite au vote de la loi de finances. 

Quelques années plus tard, en 2018, ce fut au tour de Omar Balafrej, un élu du Front de la gauche démocratique (FGD), de franchir le pas en votant contre une partie du budget du Palais royal, celle attribuée au personnel, lors d’une réunion de la commission des finances consacrée au projet de loi de finances. 

Malgré ces coups d’éclat, il n’en demeure pas moins que la majorité écrasante des députés semble réduite au silence lors du vote du budget royal, de peur de subir les foudres du makhzen. 

À une époque où les responsables politiques matraquent, à longueur de journée, que les ressources financières manquent, il est troublant de constater que l’État marocain n’est pas prêt à diminuer son train de dépenses, notamment celles consacrées aux ministères de souveraineté. 

Financement sécuritaire à la hausse 

Le projet de loi de finances comprend environ 26 milliards d’euros de dépenses réparties ainsi : les dépenses de fonctionnement, qui atteignent un peu plus de 20 milliards d’euros, et les dépenses d’investissement, qui représentent seulement 6 milliards d’euros.

Dans un souci sécuritaire, semble-t-il, la plupart des ministères de souveraineté ont leurs budgets revus à la hausse. C’est le cas tout particulièrement du ministère de l’Intérieur : 2,6 milliards d’euros contre 2,3 en 2018, soit une hausse de 11,9 %. 

Un message politique adressé aux activistes du hirak du Rif par Mohammed VI qui, au passage, a tenu à garder au gouvernement son ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, originaire du Rif, gravement malade il y a encore quelques mois. 

Le pouvoir a fini par lâcher Ilyas El Omari, un homme du sérail considéré comme l’un des protégés du conseiller royal

Pendant ce temps-là, le pouvoir a fini par lâcher Ilyas El Omari, un homme du sérail considéré comme l’un des protégés du conseiller royal, Fouad Ali el-Himma. Tout récemment, l’ex-président du PAM a été poussé à démissionner de son poste de président de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima. 

Dans la même veine, l’administration de la défense nationale a vu son budget augmenter de 3,1 à 3,2 milliards d’euros en un an, soit une hausse de 2,58 %. 

Le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale fait exception puisque son budget a légèrement baissé de 8,11 %, passant de 410 millions à 373 millions d’euros. 

Maroc : deux décennies d’ambition réformatrice
Lire

À la lecture du projet de loi de finances, on peut constater que les sécuritaires ont su renforcer, d’une manière notoire, leurs attributions budgétaires. 

Ce qui n’a pas été le cas de certains ministères stratégiques, à l’instar de la Santé dont le budget a été revu légèrement à la hausse (de 1,3 à 1,5 milliard), tout comme celui du ministère de l’Éducation nationale dont le budget n’a augmenté que de 4,63 % par rapport à 2018. 

Par ailleurs, il faudra noter que certains ministères qui chapeautent des secteurs névralgiques n’ont pas été réhabilités dans la nouvelle loi de finances. C’est le cas notamment du ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, qui voit, une fois de plus, son budget dérisoire stagner à 289 millions d’euros.

De là, on ne peut que relever un paradoxe dans le choix politique du souverain. Alors qu’il a fait de l’éducation la base pour réduire les disparités et promouvoir la formation professionnelle et le développement de l’entrepreneuriat, le projet de loi de finances n’a pas alloué un budget conséquent à la hauteur des déclarations dithyrambiques du régime. 

Celui-ci n’a de cesse d’ailleurs d’appeler de ses vœux à la mise en œuvre effective de la loi-cadre relative à la réforme du système d’éducation et de formation. La clé de voûte de la réforme, selon le monarque. 

Financiarisation des politiques publiques  

En sollicitant l’implication effective des banques dans le financement du « nouveau projet de développement », lors de l’ouverture de la session parlementaire d’octobre, le souverain tente de marquer davantage le retrait de l’État dans la gestion des domaines régaliens, à commencer par l’éducation et la santé. 

Suite à une technocratisation de la vie politique, le roi semble décidé à franchir un nouveau cap en impliquant, de facto, le secteur banquier dans le financement de la crise politique. 

Maroc : les politiques sont morts, vive les technocrates !
Lire

Certains pourraient y voir un stratagème du régime visant à favoriser l’ascendant du secteur privé et, notamment, le rôle central des banques dans l’opérationnalisation d’un modèle de développement éminemment libéral. 

D’autres pourraient y voir dans la manœuvre royale une tentative politique visant à fragiliser un secteur bancaire, dynamique, en l’impliquant, indirectement, dans la gestion des affaires publiques. Ce projet tend à mobiliser l’épargne privée afin de desserrer les contraintes financières des pouvoirs publics.

Sauf que cette entreprise comprend un double risque : pour la monarchie, la financiarisation des politiques publiques pourrait saper la volonté populaire des citoyens qui se trouveraient, le cas échéant, dans l’engrenage de l’endettement auprès du secteur privé. 

La crise de confiance des populations dans les institutions sera aggravée par une désaffection politique, notamment lors des scrutins électoraux

La crise de confiance des populations dans les institutions sera aggravée par une désaffection politique, notamment lors des scrutins électoraux. 

Pour les technocrates et les banques, tout particulièrement, la confiance royale serait plutôt un cadeau empoisonné. Et pour cause, ces derniers pourraient se trouver largement affaiblis et leurs ambitions compromises par l’urgence des demandes et la gravité de la crise socioéconomique. En tout cas, nul ne peut se prononcer sur l’avenir des banques et organismes financiers qui vont s’engager, sans la moindre visibilité, dans une entreprise politique de développement.  

Renforcer l’appareil sécuritaire au détriment des secteurs sociaux

Cependant, une chose est sûre : le projet de loi de finances tel qu’il sera voté, ne pourra, en aucun cas, assurer la réalisation des promesses politiques du pouvoir, qui interpelle, cette fois-ci, explicitement, les banques pour assurer l’opérationnalisation du « nouveau modèle de développement ». 

De quoi nous inciter à réfléchir sur la manière dont les deniers publics seront gérés par les nouveaux responsables et, surtout, sur les considérations supra étatiques qui prédétermineraient les choix de financement de certains secteurs prioritaires par rapport à d’autres. 

Au Maroc, le pouvoir a entériné son orientation idéologique de renforcer l’appareil sécuritaire et celui de la défense nationale au détriment des secteurs sociaux, tels que la santé, l’éducation et la justice.

Le Maroc, le faux bon élève du développement
Lire

Un choix arrêté par le monarque qui ne semble pas concerné, outre mesure, par les contraintes budgétaires qui pèsent sur le royaume, à en juger notamment par le budget gracieux attribué à la cour royale.  

Pour le régime en place, en l’absence de toute responsabilité du monarque, ce dernier pourrait ainsi évincer un ministre, même s’il est issu d’un grand parti, comme il pourrait propulser un technocrate au sommet d’un département stratégique. 

Il pourrait aussi prêcher la réforme de l’éducation publique tout en œuvrant à la libéralisation économique du secteur de l’enseignement. 

Il pourrait également défendre les principes des droits de l’homme et des libertés et, en même temps, pourchasser les opposants au régime, souvent à l’aide d’une justice dépendante et des médias aux ordres.

Bref, à l’heure actuelle, le pouvoir continue de mener son train de vie fastueux dans l’esprit d’une tradition ancestrale, alors que de plus en plus de Marocains vivent, eux, sous le seuil de pauvreté. Ces mêmes personnes qui ont cru, ne serait-ce qu’un moment, que le changement allait être éminent grâce au « roi des pauvres ».     

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Aziz Chahir is an associate researcher at the Jacques-Berque Center in Rabat, and the secretary general of the Moroccan Center for Refugee Studies (CMER). He is the author of Who governs Morocco: a sociological study on political leadership (L'Harmattan, 2015). Aziz Chahir est docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc. Il travaille notamment sur les questions relatives au leadership, à la formation des élites politiques et à la gouvernabilité. Il s’intéresse aussi aux processus de démocratisation et de sécularisation dans les sociétés arabo-islamiques, aux conflits identitaires (le mouvement culturel amazigh) et aux questions liées aux migrations forcées. Consultant international et chercheur associé au Centre Jacques-Berque à Rabat, et secrétaire général du Centre marocain des études sur les réfugiés (CMER), il est l’auteur de Qui gouverne le Maroc : étude sociologique sur le leadership politique (L’Harmattan, 2015).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].