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Our Boys : une autre histoire sur la supériorité morale d’Israël

La série de HBO ne se lasse pas de nous rappeler que l’âme morale d’Israël est menacée par les Palestiniens qui résistent, et non par les conquêtes coloniales israéliennes
Hagai Levi, Tawfik Abu Wael et Joseph Cedar, les cocréateurs de la série de HBO, posent pour une photo lors de leur entretien avec Reuters à Tel Aviv (Israël), le 11 août (Reuters)

Les efforts des sionistes américains au cinéma pour représenter la colonisation de la Palestine comme une « lutte juive pour la libération nationale » avaient remporté un énorme succès avec le film Exodus en 1960.  

Ce film a popularisé la cause sioniste et reste une source d’inspiration pour les jeunes sionistes américains et européens.

Exodus ne mentionne pas la conquête de la terre des Palestiniens et l’expulsion de la majorité de la population autochtone, car les Palestiniens autochtones ne sont présentés que comme un obstacle détestable pour les juifs qui veulent créer une patrie exclusivement juive.

Le film Munich de Steven Spielberg, sorti en 2005, est un projet cinématographique plus récent, qui, bien que réussi, n’a pas eu le même effet qu’Exodus

Le film s’intéresse à l’« âme » des juifs en Israël dans le contexte de la campagne de Golda Meir dans les années 1970 visant à assassiner des intellectuels palestiniens à travers l’Europe, en représailles de l’attaque perpétrée contre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de 1972 à Munich.

Comme je l’ai expliqué dans ma critique du film, en se concentrant sur la supériorité morale des juifs, Munich ne dévie pas beaucoup de la propagande israélienne, qui prétend que les soldats juifs « tirent et pleurent ». 

Le fait que la violence palestinienne ait toujours été en réponse à la conquête sioniste et aux assassinats est sans importance pour le raisonnement de Munich

Le fait que la violence palestinienne ait toujours été en réponse à la conquête sioniste et aux assassinats est sans importance pour le raisonnement de Munich.

Le bombardement par les forces aériennes israéliennes des camps de réfugiés palestiniens au Liban et en Syrie, qui ont tué des centaines de réfugiés palestiniens tout de suite après le meurtre des athlètes israéliens, n’apparaissent pas dans le film et ne semblent pas menacer l’âme des juifs israéliens. 

Munich se demande si la politique de terrorisme que Meir a déclenchée contre des Palestiniens a pu être malavisée, mais insiste sur le fait que ce sont les Palestiniens qui ont imposé le choix du terrorisme à Israël. Le but de Munich est qu’étant donné que les juifs ont un code moralement supérieur, Israël n’aurait pas dû répondre de la sorte aux Palestiniens.

Des Palestiniens sans nom

C’est précisément le postulat qui sous-tend la nouvelle coproduction d’une chaîne israélienne et de HBO, Our Boys, récemment diffusée sur HBO et sur Channel 12 en Israël.

La série débute avec l’enlèvement et le meurtre, en juin 2014, de trois colons adolescents juifs israéliens en Cisjordanie par deux Palestiniens qui, bien que membres du Hamas, ont agi seuls.

Mais nous ne savons rien des raisons pour lesquelles ces deux Palestiniens ont enlevé les trois colons adolescents, sans parler de leur histoire, de leurs familles qui vivent à Al-Khalil (Hébron), de leurs luttes sous l’occupation israélienne et de la violence des colons juifs.

On n’apprend pas grand-chose sur l’enlèvement de ces adolescents, dont le statut de colons est à peine mentionné, tandis que leurs ravisseurs sont simplement identifiés comme des Palestiniens. Ces derniers ne sont pas nommés avant le dernier épisode, lorsque nous apprenons que l’armée israélienne les a abattus et a rasé au bulldozer les maisons de leurs familles.

La campagne israélienne qui a suivi l’enlèvement a conduit à des raids de l’armée israélienne sur 1 300 maisons. Mais tout cela n’a aucun intérêt pour Our Boys, qui se concentre sur l’angoisse du public juif israélien

La campagne israélienne qui a suivi l’enlèvement a conduit à des raids de l’armée israélienne sur 1 300 maisons et commerces palestiniens, à l’arrestation de plus de 800 Palestiniens et à la mort de neuf d’entre eux. Mais tout cela n’a aucun intérêt pour Our Boys, qui se concentre sur l’angoisse du public juif israélien.

C’est suite à la découverte de la mort des trois adolescents et de la violence populaire juive qui s’en est suivie dans les rues de Jérusalem et ailleurs contre des civils palestiniens, que se déroule l’histoire de la « vengeance », qui a abouti à ce que le jeune Palestinien Mohammad Abou Khdeir, un adolescent de 16 ans, soit tué et brûlé vif par trois colons juifs (deux cousins adolescents et leur oncle). 

L’histoire des trois adolescents assassinés plane sur la série comme la principale cause de tout ce qui se passe. La série retourne dans tous les sens l’enlèvement par vengeance du garçon palestinien qui se trouvait devant son domicile lorsqu’il a été kidnappé et étranglé par les deux garçons juifs, puis battu à coups de pied par leur oncle qui l’a immolé alors qu’il était encore en vie.

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L’angoisse de la série et celle du public israélien tient au fait que cela ne pouvait pas être un crime commis par des juifs, car si des juifs l’avaient commis, l’âme et la moralité des juifs israéliens seraient compromises.

Nous ne voyons pas la vie de famille des Abou Khdeir, sauf dans le contexte du deuil avec des Palestiniens sans nom venant présenter leurs condoléances

On nous gratifie de chaque détail humanisant les terroristes juifs. Nous voyons l’oncle jouer de la guitare et chanter pour sa fille, se soucier de ses neveux, combattre des sentiments d’inadéquation avec son père (un rabbin mizrahi qui a sa propre yeshiva, centre d’étude de la Torah et du Talmud), prendre soin de sa mère malade, prendre un dîner de sabbat, fumer avec ses neveux dans la cour de sa maison, construite sur une terre palestinienne volée dans une colonie juive en Cisjordanie.

Nous découvrons même qu’il s’est installé là-bas, non pas par idéologie sioniste – qui motive les colons coloniaux ashkénazes de droite –, mais en raison des faibles coûts de logement. 

Nous voyons aussi ses neveux adolescents dans leur famille. Le plus jeune bégaie et est émotionnellement accablé par les attentes de ses parents orthodoxes qui souhaitent qu’il fréquente une yeshiva. Nous le voyons se débattre avec des sentiments de culpabilité et de désespoir qu’il exprime lors de séances de thérapie avec un thérapeute ashkénaze qui s’occupe de la communauté orthodoxe.

Une foule violente perturbant la paix

Ce sont des préoccupations et des problèmes qui sont partagés avec le détective orthodoxe du Shabak (la police secrète israélienne) qui résout l’affaire. Il est également d’origine orthodoxe juive marocaine et se sent coupable par rapport à la façon de prendre soin de sa mère vieillissante et de ses attentes, ainsi qu’à propos de son frère orthodoxe et de ses attentes. 

Aucune de ces scènes d’humanisation n’est réservée aux Palestiniens qui ont assassiné les colons juifs. En effet, les seuls Palestiniens qui méritent une fraction de ces scènes d’humanisation sont les parents d’Abou Khdeir, mais pas ses frères et sœurs, à l’exception de la faible attention accordée à son frère aîné.

Nous ne voyons pas la vie de famille des Abou Khdeir, sauf dans le contexte du deuil avec des Palestiniens sans nom venant présenter leurs condoléances.

La sympathie manifestée aux Abou Khdeir est bien moindre que celle manifestée aux trois terroristes juifs et à leurs familles

Nous ne les voyons jamais chanter, dîner ou acheter des cadeaux les uns pour les autres. Nous les voyons cependant travailler pour des clients et des patrons juifs, et nous voyons la lutte entre le père et le jeune Mohammad Abou Khdeir, qui était épris d’une réfugiée syrienne à Istanbul à qui il envoyait de nombreux textos en se dérobant à son travail.

Nous apprenons que Mohammad aimait la danse en ligne, ou dabkeh. Mais peu de temps est consacré à Mohammad à part cela. Les autres Palestiniens autorisés à parler n’ont pas d’histoires personnelles, à l’exception d’Abu Zuhdi, dont le fils a été tué par l’armée israélienne et dont le domicile a été démoli en guise de punition pour sa résistance à l’occupation.

Abu Zuhdi raconte brièvement son histoire, mais sans scènes qui l’humanisent, lui ou sa famille. En dehors de cela, les Palestiniens sont souvent présentés comme une foule violente perturbant la paix dans leur ville sous occupation israélienne, déclarée capitale d’Israël. 

La série est triomphaliste dans sa façon de prétendre être objective en montrant certains aspects de la souffrance palestinienne et de la situation kafkaïenne dans laquelle se trouvent les Abou Khdeir et les interrogatoires auxquels ils sont soumis.

Suha Abou Khdeir – la série Our Boys de la chaîne HBO traite le meurtre de son fils – regarde les deux premiers épisodes de la série dans leur maison de Jérusalem-Est, le 18 août (Reuters)

Pourtant, la compassion manifestée aux Abou Khdeir est bien inférieure à celle des trois terroristes juifs et de leurs familles, à la souffrance et à la douleur auxquelles Our Boys dédie la plupart des scènes.

Protestations contre le programme

Néanmoins, la discrimination que subissent les Palestiniens de la part de la police israélienne, de l’appareil de sécurité, de la loi et des tribunaux, est amplement dévoilée.

En conséquence, la série a été condamnée par les Israéliens, qui ont écrit des centaines de lettres pour protester contre le programme, et par le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, qui l’a qualifiée d’« antisémite » et a appelé à un boycott de la chaîne israélienne le diffusant. 

Our Boys montre comment le bombardement de Gaza a été couvert à la télévision israélienne, sans détails. En effet, la veille du meurtre de Mohammad, la députée israélienne Ayelet Shaked avait appelé à un génocide contre le peuple palestinien sur Facebook, une déclaration qui a recueilli des milliers de « J’aime ».

Benyamin Netanyahou a qualifié la série d’« antisémite » et a appelé à un boycott de la chaîne israélienne le diffusant

L’assassinat de ces adolescents israéliens a incité Israël à attaquer Gaza à l’été 2014, entraînant l’assassinat de 2 251 Palestiniens, dont au moins 551 enfants, et blessant 11 231 Palestiniens, dont 3 336 enfants.  

Elle est devenue ministre de la Justice d’Israël moins d’un an plus tard. Ces événements ne semblent pas saper la moralité israélienne en ce qui concerne la série.

Mais la morale de l’histoire selon Our Boys est que les Palestiniens qui ne résistent pas au racisme et au colonialisme israéliens et qui travaillent avec des juifs ou pour eux (Mohammad lui-même a travaillé dans un restaurant appartenant à des juifs) ne méritent pas que leur fils soit brûlé vif, car cela compromet la supériorité morale des juifs et met en danger l’âme des juifs israéliens.

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Les Palestiniens qui résistent à Israël semblent toutefois mériter d’être brûlés avec des bombes israéliennes sans menacer la supériorité morale d’Israël. En effet, la série intitulée Ha-Ne’arim en hébreu, qui signifie « jeunes hommes », et traduite maladroitement en arabe par Fityan, est traduite en anglais Our Boys (« nos garçons »), avec le pronom possessif qui renvoie à Israël.

À la fin du programme, la supériorité des principes moraux d’Israël et ses âmes juives sont victorieux, en raison de l’inculpation par la cour des trois terroristes juifs, même si la cour a refusé d’accéder à la demande des Abou Khdeir de démolir leurs maisons comme le fait Israël pour les « terroristes » palestiniens.

Ceci mis à part, Our boys, comme le film Munich, ne se lassent pas de nous rappeler que la menace pour la supériorité morale d’Israël et son âme juive vient des Palestiniens résistants et violents, et non des conquêtes coloniales israéliennes, de l’occupation militaire et du racisme institutionnalisé.

Ce faisant, Our Boys suit les traces de la déclaration raciste de Golda Meir qui résume parfaitement l’essentiel de la série : « Nous pouvons vous pardonner d’avoir tué nos fils. Mais nous ne vous pardonnerons jamais de nous avoir fait tuer les vôtres. »

- Joseph Massad est professeur d’histoire politique et intellectuelle arabe moderne à l’Université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles, tant universitaires que journalistiques. Ses ouvrages incluent Colonial Effects: The Making of National Identity in JordanDesiring Arabs et, publié en français, La Persistance de la question palestinienne (La Fabrique, 2009). Plus récemment, il a sorti Islam in Liberalism. Ses livres et articles ont été traduits dans une douzaine de langues.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Joseph Massad is professor of modern Arab politics and intellectual history at Columbia University, New York. He is the author of many books and academic and journalistic articles. His books include Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan; Desiring Arabs; The Persistence of the Palestinian Question: Essays on Zionism and the Palestinians, and most recently Islam in Liberalism. His books and articles have been translated into a dozen languages.
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