Espion, traître ou héros ? L’incroyable destin d’Ashraf Marwan revisité par Netflix
Une mise en scène nerveuse, des ambiances vintage des seventies très à la mode depuis le Zodiac de David Ficherou, plus proche en thématique, ou le Munich de Steven Spielberg, le tout rythmé par une intrigue de thriller avec des personnages torturés, L’Ange du Mossad (The Angel dans la version en anglais) est une des dernières productions de Netflix, disponible sur la plate-forme depuis mi-septembre.
Le pitch ? « Alors que son pays se prépare à la guerre, Ashraf Marwan, un membre haut placé de l’État égyptien, contacte Israël et s’engage dans les eaux troubles de l’espionnage », selon la présentation succincte de Netflix.
« L’Ange », dans cette série réalisée par l’Israélien Ariel Vromen (d’après une adaptation du roman d’Uri Bar-Joseph, The Egyptian Spy Who Saved Israel), est le nom de code d’Ashraf Marwan, gendre du président égyptien Gamal Abdel Nasser et conseiller spécial de Anouar al-Sadate… devenu espion pour le compte d’Israël.
D’après le scénario, Ashraf, en désaccord avec la ligne dure de Nasser face à Israël et aux États-Unis, réagit en contactant l’ambassade israélienne à Londres, où il fait ses études, pour collaborer. En vain.
Après le décès du raïs égyptien en 1970, le jeune homme se place au plus près du nouveau président, Anouar al-Sadate, et devient un de ses plus proches conseillers. C’est là où le Mossad, les services secrets israéliens, renouent le contact avec lui. De l’argent est échangé avec ce haut responsable égyptien en contrepartie d’informations top-secrètes.
Toujours selon la trame du réalisateur, cette recrue de choix pour le Mossad jouera un rôle déterminant durant la guerre d’octobre 1973 (ou guerre du Kippour), en donnant l’horaire exact de l’offensive surprise des troupes égyptiennes dans le Sinaï occupé par Israël 24 heures avant le début de l’attaque. Limiter les pertes humaines des deux côtés aurait motivé Ashraf Marwan pour livrer aux Israéliens les précieuses informations.
Réactions égyptiennes
Le film se dénoue sur cette conclusion : Ashraf Marwan est l’unique héros célébré aussi bien en Égypte qu’en Israël.
À l’annonce du film par la plate-forme de diffusion en ligne Netflix, plusieurs médias égyptiens ont crié à la manipulation de l’histoire alors que le pays fêtait justement les 45 ans de la guerre d’Octobre, connue également dans le monde arabe sous le nom de guerre du Ramadan.
L’hebdomadaire cairote Youm7 cite un officier israélien à la retraite, Shimon Mendes, qui a écrit un article évoquant la « ruse égyptienne » lors de la guerre de 1973. L’idée est que Sadate aurait intoxiqué les Israéliens à la veille de l’attaque en utilisant le canal d’Ashraf Marwan pour mieux préparer cette guerre éclair.
Sadate aurait intoxiqué les Israéliens à la veille de l’attaque en utilisant le canal d’Ashraf Marwan pour mieux préparer cette guerre éclair
Cette thèse est défendue par l’ex-ministre égyptien et ancien officier du renseignement, le général Abdessalam Mahdjoub, qui précise que Ashraf Marwan avait donné aux Israéliens des documents importants afin de les piéger et s’assurer de leur confiance.
Elle est également corroboré par l’historienne française Frédérique Schillo, auteure de l’essai La Guerre du Kippour n’aura pas lieu, qui analyse les parallèles entre la fiction de Netflix et la réalité historique. « The Angel tait un fait essentiel : le 4 octobre 1973, soit 48 heures avant l’attaque surprise égypto-syrienne contre Israël, Marwan a averti le Mossad d’une guerre mais sans utiliser le code pour guerre ‘’imminente’’, ce qui renforce la thèse de l’agent double », a-t-elle écrit sur Twitter.
La seule réaction officielle est venue du Service des informations de l’État égyptien. Sur sa page Facebook, cette entité gouvernementale chargée de la communication officielle a clairement défendu la thèse de la « ruse stratégique » de Anouar al-Sadate et a décrit Ashraf Marwan comme le « dernier des martyrs » de la guerre d’octobre 1973.
Traduction : « Comme à son habitude, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a tweeté, à l’occasion du Yom Kippour et des 40 ans de l’accord de Camp David, que les services de renseignement israéliens ont échoué à anticiper la guerre d’Octobre, il a aussi reconnu qu’Israël a subi beaucoup de pertes. Ces tweets démentent sans aucun doute les allégations contre le patriotisme de certains de nos symboles nationaux, comme le regretté Ashraf Marwan, que nous considérons comme le dernier des martyrs de la guerre d’Octobre. Le Mossad a tenté, à travers le film L’Ange, de remettre en question sa loyauté envers son pays. Ces tweets sont aussi une reconnaissance du succès de la ruse stratégique du martyr Anouar al-Sadate. »
Agent double ? Espion israélien ? Héros égyptien ? Avait-il été recruté par la CIA dès 1971 ? Était-il l’un des principaux marchands d’armes au Moyen-Orient ? Les mystères se multiplient autour d’Ashraf Marwan, qui quitta ses fonctions officielles dès 1976 avant de se reconvertir dans les affaires, où il prospère... jusqu’à cette matinée du 27 juin 2007 : le milliardaire égyptien de 63 ans « tombe » du balcon de son luxueux appartement londonien, rue Carlton House Terrace.
Une mort et des interrogations
Le jour-même, il avait des rendez-vous avec ses associés et devait voyager aux États-Unis : une enquête d’une rare précision du site Ulyces laisse perplexe quant aux circonstances de sa mort. Sa femme, Mona, la fille de Gamal Abdel Nasser, crie l’assassinat et affirme à la justice britannique qu’il lui avait dit avant son décès : « Je suis en danger, je pourrais être tué par mes ennemis ».
Une des nombreuses pistes évoque le dévoilement partiel, en 2002, de son rôle dans la guerre de 1973 par un chercheur israélien, Ahron Bregman, dans un article du Yediot Aharonot puis dans son ouvrage History of Israel. « Je ne sais pas si Marwan est mort à cause de moi mais ce que je sais, c’est que ce n’était pas une bonne idée de démasquer un espion vivant. C’était une grosse erreur », reconnaît l’historien israélien à l’enquêteur de Ulyces.
Mais le sort d’Ashraf Marwan va se jouer ailleurs, dans un tribunal israélien : « Marwan était devenu le sujet d’une affaire judiciaire très médiatisée entre deux anciens officiers israéliens : le général Zeira [dont l’éditeur avait aidé Bregman à identifier Marwan] et Zvi Zamir, l’ancien dirigeant du Mossad. Zamir accusait Zeira d’avoir divulgué l’identité de Marwan à la presse. Zeira a attaqué Zamir en justice pour diffamation », précise l’enquête d’Ulyces.
« L’affaire s’est éternisée jusqu’à ce que, finalement, le juge Theodore Or [‘’un homme très dur’’, selon Bregman] déclare le 25 mars 2007 que Zeira avait divulgué l’identité d’Angel à des personnes non autorisées. Le verdict a été rendu public trois mois plus tard, le 14 juin. Treize jours plus tard, Marwan était mort. »
« Un patriote fidèle à son pays »
Ashraf Marwan a eu droit à des funérailles nationales en Égypte. Hosni Moubarak l’a qualifié de « patriote fidèle à son pays » qui « a accompli des actes patriotiques qu’il n’est pas encore temps de révéler ».
Au journaliste Simon Parkin, qui a enquêté pour Ulyces sur la mort mystérieuse d’Ashraf Marwan, Ahmed, son fils, a confié : « Il m’a dit un jour : ‘’Ahmed. Tout ce que tu veux savoir dans le monde est public. Tu as simplement besoin de regarder, de chercher et de relier tous les points ensemble. Absolument tout ce que tu veux savoir est là sous tes yeux.” ».
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