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À l’approche des législatives du 12 juin, la tension monte en Algérie

Comme lors de la présidentielle du 12 décembre 2019, l’Algérie est entrée dans une période de crispation. L’agitation sociale et politique a repris, avec un enjeu principal : dans quelles conditions se tiendront les législatives du 12 juin ?
Lors d’une manifestation du hirak à Alger-centre, le 23 avril 2021 (AFP)
Lors d’une manifestation du hirak à Alger-Centre, le 23 avril 2021 (AFP)

À un mois des législatives du 12 juin, la tension est montée d’un cran en Algérie. Tension politique, qui précède traditionnellement les scrutins électoraux depuis deux ans, mais aussi sociale, avec une série de mouvements de protestation et de grèves dans l’administration et des corps de l’État, fortement politisés.

L’action la plus spectaculaire est celle des pompiers de la Protection civile, qui ont organisé dimanche 2 mai une marche sur la présidence de la République au moment où s’y tenait un Conseil des ministres présidé par le chef de l’État Abdelmadjid Tebboune.

Les protestataires ont été bloqués par les services de sécurité, qui avaient mis en place un immense dispositif de sécurité. Après quelques échauffourées, sans conséquences particulières, les protestataires ont été dirigés vers le siège de leur direction générale.

Les pompiers de la Protection civile ont manifesté dimanche 2 mai pour une amélioration de leurs conditions de travail (AFP)
Les pompiers de la Protection civile ont manifesté dimanche 2 mai pour une amélioration de leurs conditions de travail (AFP)

Même si cette marche inédite était officiellement motivée par des revendications socioprofessionnelles, elle n’a pas manqué de rappeler celle des agents de police, qui avaient marché sur la présidence de la République en octobre 2014 à Alger sans être inquiétés. Un débrayage au sein de corps aussi disciplinés révèle un profond malaise social, mais dénote surtout une politisation de structures traditionnellement choyées par le pouvoir.

Auparavant, plusieurs débrayages avaient été observés dans les secteurs de l’enseignement, de la poste, de la santé, et dans différentes administrations. D’autres mouvements sociaux sont annoncés dans les prochains jours, notamment dans l’enseignement. Le secteur privé est, par contre, épargné par ces actions de protestation.

Dramatisation outrancière

Parallèlement à cette contestation, une frange de l’opposition, celle qui boycotte les législatives, a haussé le ton. Plusieurs partis et des personnalités en vue ont adopté un ton particulièrement dramatique pour dénoncer, dans une déclaration publiée samedi 1er mai, ce qu’ils qualifient de « guerre déclarée contre le peuple algérien ».

Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïc) et le Parti des travailleurs (PT de Louisa Hanoune, trotskiste), deux des trois branches de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), ainsi que l’avocat Mustapha Bouchachi, figure la plus connue du hirak, le politologue Mohamed Hennad et la sociologue Fatma Oussedik figurent parmi les signataires de ce texte au ton alarmant.

La déclaration « prend à témoin l’opinion nationale et internationale » sur « une des pires escalades de la répression contre leurs droits et libertés ». Elle affirme que « la torture se banalise à nouveau » et « les violences policières se généralisent ». Au final, la déclaration estime que l’Algérie se trouve « sur la pente glissante des crimes d’État » et « se met au ban des Nations pour son mépris des droits fondamentaux de l’homme ».  

Le texte fait suite à la dispersion musclée de deux marches, celle des « étudiants », mardi 27 avril, et celle de vendredi 30 avril. De nombreux manifestants avaient été interpellés. Les bilans publiés de différentes sources n’ont cependant pas fait état de blessés.

Ceci suscite d’ailleurs des questions légitimes, notamment à propos du décalage entre les faits et la manière dont ils sont présentés : pourquoi cette surenchère continue, avec cette dramatisation outrancière des faits ? 

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Face à cette montée de la contestation, le président Abdelmadjid Tebboune a été contraint de monter au créneau, dimanche. Il a demandé au gouvernement d’engager un « dialogue avec les différents partenaires sociaux » dans le domaine de la santé et de l’éducation, afin « d’améliorer la situation socioprofessionnelle des employés » de ces secteurs.

Ce faisant, le président Tebboune veut d’abord désamorcer un front social qui connaît une certaine effervescence, et surtout, l’isoler d’un front politique incertain. Il veut éviter que les partisans actifs du boycott ne puissent surfer sur le mécontentement social pour tenter de perturber, à défaut d’empêcher, les législatives du 12 juin.

Le chef de l’État établit ainsi une démarcation nette entre, d’une part, les acteurs sociaux, qu’il considère légitimes, et avec lesquels il faut dialoguer, et d’autre part, les acteurs politiques, dont certains commettent, selon lui, « de graves dérapages ».

Parmi les acteurs politiques auxquels il s’attaque, deux sont particulièrement visés. Il s’agit du MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie) et du mouvement Rachad, considéré comme l’héritier de l’ex-FIS, présentés sous la dénomination « milieux séparatistes » pour le premier et « mouvances illégales proches du terrorisme » pour le second. Ces deux mouvements sont accusés de vouloir infiltrer le hirak, pour lui imposer leurs slogans et leurs objectifs.

Un activiste du hirak, détenu pendant une semaine fin avril, nous confirme cette fixation du pouvoir autour du mouvement Rachad. Interrogé à de multiples reprises durant sa détention, il affirme que l’essentiel des interrogatoires tournait autour de Rachad. « Rachad était leur principale préoccupation », nous dit-il.

Hantise

Lors d’une réunion du Haut Conseil de sécurité, début avril, le président algérien a déclaré : « L’État sera intransigeant face [aux] dérapages » de ces courants. Il a donné « instruction pour l’application immédiate et rigoureuse de la loi en vue de mettre un terme à ces dépassements sans précédent, notamment à l’égard des institutions et symboles de l’État ».

La hantise, chez le pouvoir, est de voir la rue s’embraser, particulièrement quand se multiplient les appels à la désobéissance civile, appels nourris pas les réseaux sociaux, où les contestataires sont particulièrement actifs

Cela s’est traduit par un durcissement du traitement des manifestants soupçonnés d’être proches de ces deux mouvances, avec des interpellations plus nombreuses depuis la mi-avril et des investigations poussées.

En fait, aux yeux d’Abdelmadjid Tebboune, les objectifs de ces deux courants convergent vers un même dessein : utiliser la rue pour empêcher les élections. La hantise, chez le pouvoir, est de voir la rue s’embraser, particulièrement quand se multiplient les appels à la désobéissance civile, appels nourris pas les réseaux sociaux, où les contestataires sont particulièrement actifs.

C’est notamment ce qui était en phase de préparation en mars 2020, avant que la pandémie de COVID-19 ne change la donne : aux marches rituelles de vendredi et mardi, d’autres journées de marches avaient été initiées par d’autres corporations, dans le but d’installer une agitation permanente.

Cela coïncidait avec les appels à la désobéissance civile lancés par l’animateur le plus connu du mouvement Rachad, Mohamed Larbi Zitout, qui expliquait à travers des vidéos comment affronter « pacifiquement » les forces de sécurité.

Dans un appel pour l’organisation d’une rencontre des hirakistes dans la ville de Kheratta (est), qui était prévue le 8 mai, les organisateurs se sont fixé trois objectifs, déterminer notamment « les moyens de l’escalade » et les méthodes pour « empêcher les élections » du 12 juin.

Il reste à savoir si la contestation sociale répond, elle aussi, à des objectifs politiques, ou si elle est réellement limitée à des revendications corporatistes.

À la veille d’un scrutin, il est courant que les syndicats montent au créneau, pour tenter d’obtenir des avantages qu’ils n’obtiendraient pas en temps normal. Les choses devraient donc se décanter rapidement, les membres du gouvernement ayant reçu comme orientation de lâcher du lest.

Mais dans le syndicalisme algérien, la marge est très étroite entre corporatisme et politique, la plupart des dirigeants syndicaux étant liés à des appareils politiques. Ce qui renforce les soupçons d’un pouvoir déjà habité par une vision complotiste de la politique, et prédisposé à tout analyser sous un angle sécuritaire.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abed Charef est un écrivain et chroniqueur algérien. Il a notamment dirigé l’hebdomadaire La Nation et écrit plusieurs essais, dont Algérie, le grand dérapage. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AbedCharef
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