Exécutions de masse en Arabie saoudite : le pied de nez de MBS à l’Occident
Le Premier ministre britannique Boris Johnson s’est rendu à Riyad en plein massacre d’État. Le 12 mars, l’Arabie saoudite a battu son record d’exécutions de masse lorsque les médias officiels ont annoncé que 81 personnes avaient été mises à mort. Trois autres personnes ont été exécutées la veille de l’arrivée de Johnson.
Alors que le monde entier est occupé par la crise ukrainienne et la hausse des prix de l’énergie, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS) semble avoir jugé la période propice à ces exécutions à grande échelle. Il sait que l’avenir de nombreux dirigeants occidentaux, notamment Boris Johnson et le président américain Joe Biden, ainsi que la reprise économique mondiale après deux années d’inflation liées au Covid-19 dépendent de l’obtention de pétrole et de gaz bon marché.
Pour le moment, MBS tire profit d’une crise occidentale qui se refuse à toute résolution, à savoir la dépendance à l’égard du pétrole bon marché des dictateurs
Le moment était historique pour le prince héritier, qui avait là l’occasion de montrer ses muscles et d’exiger de l’Occident qu’il le traite avec respect après l’avoir considéré comme un paria pendant trois ans. Il attend avec impatience sa réhabilitation à Washington, que Biden pourrait sceller d’une poignée de main.
Johnson a-t-il transmis le message de Biden, à savoir que tout cela dépend de l’augmentation de la production de pétrole par le prince héritier, laquelle permettra de faire baisser les prix et de sauver le monde de nouvelles turbulences économiques ?
Dans une récente interview accordée à The Atlantic, à la question de savoir si les États-Unis avaient compris quelque chose de travers à son sujet, MBS s’est contenté de répondre : « Cela m’est tout simplement égal. » Il a insisté sur le fait qu’aucun autre pays n’avait le droit de se mêler de sa manière de gérer ses propres sujets. Apparemment, les exécutions, les arrestations, les traitements illégaux infligés aux prisonniers et les diverses autres violations des droits de l’homme relèvent intégralement de la souveraineté nationale saoudienne.
En bref, si l’Occident veut du pétrole bon marché, il devra tolérer ses excès et ses exécutions plutôt que de porter ces questions à la table des négociations. C’est exactement ce que font d’autres puissances, en l’occurrence la Russie et la Chine.
Montrer les muscles
Au-delà de sa rhétorique, le prince héritier est prêt à tout pour être reconnu à Washington en tant que futur roi et pour que Biden discute directement avec lui au lieu de s’adresser à son père vieillissant, le roi Salmane (qui est récemment sorti de l’hôpital à l’issue d’« examens médicaux concluants »).
En effet, MBS sait très bien que son avenir dépend de l’engagement direct de Washington à son égard. Il peut montrer ses muscles à l’intérieur de ses frontières et procéder à autant d’exécutions qu’il le souhaite, mais pour s’assurer le trône, il a in fine besoin de Washington, tandis que le Royaume-Uni doit servir de facilitateur et de fournisseur de technologies militaires. Si les États-Unis demeurent le premier fournisseur d’armes de l’Arabie saoudite, Londres arrive en deuxième position.
Le prince héritier souhaite également que les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres pays occidentaux cessent de lui faire la morale en matière de changement climatique et d’énergies propres. Les puits de pétrole qui lui rapportent des milliards de dollars et lui assurent une richesse souveraine, un statut politique mondial et l’assentiment des sujets ne peuvent être remplacés par des panneaux solaires.
La guerre tragique menée par l’Arabie saoudite au Yémen, rendue possible parce que les États-Unis et le Royaume-Uni ont fourni des armes et protégé le royaume des critiques internationales devant l’ONU et d’autres assemblées, constitue un autre facteur. Si cette aide n’a pas permis d’obtenir la victoire que MBS espérait, elle révèle l’hypocrisie dont fait preuve l’Occident face aux dirigeants autoritaires dont il a besoin. Les Yéménites, qui n’ont ni les cheveux blonds ni les yeux bleus, ne figurent pas en bonne place sur la liste des préoccupations de l’Occident pour le moment.
Une défiance appréciée
Comme d’autres dictateurs, MBS ne se soucie pas de sa réputation. Mais dans les prétendues démocraties, on devrait s’attendre à un certain niveau de cohérence et de décence, surtout lorsque les pays occidentaux donnent fréquemment au monde entier des leçons de droits de l’homme et de politique étrangère morale.
MBS a sûrement une longue liste d’exécutions à effectuer à l’avenir et il ne s’arrêtera pas. Ses sujets opprimés pourraient même apprécier la défiance passagère dont le prince héritier a fait preuve ces dernières semaines en ne soutenant pas pleinement les États-Unis et l’Europe dans leur condamnation de la Russie et en procédant à des exécutions considérées comme des questions relevant de la souveraineté nationale.
En outre, il s’est gardé de réserver un accueil en grande pompe à Johnson : le dirigeant britannique a été reçu à l’aéroport par le vice-gouverneur de Riyad plutôt que par un responsable de plus haut rang, malgré le rôle joué par le Royaume-Uni dans le maintien de la configuration politique archaïque de l’Arabie saoudite.
Pour le moment, MBS tire profit d’une crise occidentale qui se refuse à toute résolution, à savoir la dépendance à l’égard du pétrole bon marché des dictateurs.
À court terme, d’autres producteurs de pétrole pourraient être réhabilités, comme l’Iran et le Venezuela. À long terme, les sources alternatives d’énergie propre pourraient devenir une réalité accessible. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons nous attendre à un scénario différent, dans lequel MBS réfléchira peut-être à deux fois avant de se vanter de ses massacres pour défier l’Occident et plaire à ses plus fidèles sujets.
- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule Arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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