Arabie saoudite : Lionel Messi reste un outil promotionnel pour le royaume
Lorsqu’il a été confirmé début juin que Lionel Messi allait quitter son club français du Paris Saint-Germain à la fin de la saison, sa prochaine destination a fait l’objet de nombreuses spéculations.
Il était de notoriété publique que l’offre la plus généreuse provenait d’Arabie saoudite, qui souhaitait voir Messi rejoindre le club Al-Hilal et proposait un contrat particulièrement lucratif dans la région pour 400 millions d’euros par saison. Mais il s’avère que la star du foot argentin a préféré partir aux États-Unis jouer pour l’Inter Miami.
DONE DEAL: Lionel Messi will play the next season at Inter Miami 🇺🇸 #MLS partners and sponsors are all involved to compensate for what he would have gained in the Saudi Arabia 🇸🇦 deal.
— Hassan Muhire (@HassanMuhire1) June 7, 2023
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Traduction : « Affaire conclue : Lionel Messi jouera la saison prochaine à l’Inter Miami. Les partenaires et sponsors de la Major League Soccer [principale ligue professionnelle de soccer en Amérique du Nord] sont tous impliqués pour compenser ce qu’il aurait gagné dans le deal avec l’Arabie Saoudite. »
Messi est donc l’exception qui a refusé les richesses offertes d’un été qui promet d’être une saison de grosses acquisitions de joueurs pour les clubs saoudiens.
L’attaquant français Karim Benzema a opté pour Al-Ittihad au début du mois, et son camarade N’golo Kanté devrait le rejoindre, tandis que la superstar portugaise Cristiano Ronaldo a rejoint les rangs d’Al-Nassr à la fin de l’année dernière. D’autres suivront sûrement.
De la pub pour tout
À 35 ans, Messi n’est plus la force de la nature qui inspirait autrefois la crainte chez les défenseurs à chaque fois qu’il touchait le ballon. Cela dit, le joueur a atteint l’apogée de sa carrière il n’y a de cela que quelques mois – en décrochant la Coupe du monde au Qatar avec son pays en décembre 2020 – et il est considéré par de nombreux supporters et commentateurs comme l’un des plus grands footballeurs de notre époque.
Ce n’est certes pas un retour au FC Barcelone, avec lequel il a tant accompli, ni à même son club d’adolescence le Newell’s Old Boys (Argentine), mais les supporters seront soulagés pour la star qui avait espéré un dernier chapitre plus romantique à sa carrière de joueur.
Malgré le refus qu’il a opposé aux offres très lucratives présentées par Al-Hilal, son départ à Miami devrait comprendre des collaborations commerciales avec des marques telles qu’Adidas et Apple. Cela n’est pas une surprise pour ceux qui ont suivi de près les intérêts commerciaux de Messi : il fait de la pub pour tout, de Budweiser aux cryptomonnaies.
L’ancien joueur du PSG était déjà le deuxième athlète à gagner le mieux sa vie, avec des revenus avoisinant les 130 millions de dollars une fois combinés son salaire et ses sponsors, juste derrière le plus grand gagnant, Ronaldo.
De nombreux commentateurs et journalistes avaient fait valoir qu’en raison des revenus substantiels de Messi (provenant de divers accords de sponsoring ainsi que de son contrat de joueur), il pouvait se permettre préserver son legs sans avoir besoin de courir après les incitations financières susceptibles de ternir sa réputation.
Cependant, malgré le fait qu’il ne jouera pas – du moins pour l’instant – en Arabie saoudite, il va poursuivre sa relation avec le royaume.
Il a visité le pays et joué là-bas à plusieurs reprises, à la fois avec son club et sa sélection nationale, et représente également Visit Saudi en tant qu’ambassadeur du tourisme au royaume depuis mai 2022.
La décision de Messi de devenir le visage de Visit Saudi a également poussé les familles de prisonniers d’opinion saoudiens à écrire une lettre ouverte au joueur pour lui demander de « dire non aux bouchers de Jamal Khashoggi »
Le ministre saoudien du Tourisme, Ahmed al-Khateeb, l’avait accueilli à l’époque avec le message suivant : « Nous sommes impatients de vous voir découvrir les trésors de la mer Rouge, la saison 2022 de Djeddah et notre patrimoine antique. Ce n’est pas sa première visite dans le royaume et ce ne sera pas la dernière. »
L’ancien footballeur saoudien Sami al-Jaber avait renchéri : « Que Messi devienne un ambassadeur du tourisme saoudien est un honneur et un événement unique en raison de l’influence du joueur, laquelle se reflétera positivement sur la position de Djeddah en tant que destination touristique. »
Mais la décision de Messi de devenir le visage de Visit Saudi a également poussé les familles de prisonniers d’opinion saoudiens à écrire une lettre ouverte au joueur. « Vous êtes un héros pour des millions de personnes – s’il vous plaît, servez-vous de votre stature pour faire le bien », pouvait-on lire. « Défendez les droits de l’homme et dites non aux bouchers de Jamal Khashoggi et aux agresseurs de militants pacifiques en Arabie saoudite. »
Tentatives de sportwashing
Cette lettre, que l’on doit à l’organisation de plaidoyer pour les droits de l’homme Grant Liberty, faisait aussi valoir que le régime saoudien utilisait l’image de Messi pour « laver sa réputation » et qu’accepter de devenir le visage de la campagne touristique reviendrait « en fait à accepter toutes les atteintes aux droits de l’homme qui ont lieu aujourd’hui dans l’Arabie saoudite moderne ».
Ce plaidoyer est tombé dans l’oreille d’un sourd et Messi continue à remplir son rôle d’ambassadeur pour 6 millions de dollars par an.
Les tentatives de sportwashing – pratique utilisée par les gouvernements répressifs pour légitimer leur régime et distraire l’opinion publique des atteintes aux droits de l’homme – de l’Arabie saoudite vont bien au-delà d’un simple footballeur.
Le fonds souverain saoudien, présidé par le mouvement héritier Mohammed ben Salmane, a acquis Newcastle United FC en octobre 2021. La semaine passée, le fonds a également parachevé la prise de contrôle de quatre clubs en Arabie saoudite parmi lesquels Al-Hilal et Al-Ittihad.
Les milliards investis dans ces projets-là et dans des projets similaires ne sont pas qu’un simple désir de transformer le royaume en centre sportif international attrayant.
Redorer, ou selon certains de ses détracteurs laver, la réputation mondiale du pays fait partie de la stratégie saoudienne.
C’est assurément un calcul : plus l’Arabie saoudite s’implique et s’intègre dans les tissus du divertissement et de la culture mondiaux, plus il devient difficile de critiquer le pays, sans parler de l’ostraciser, en raison de sujets politiques tels que la guerre au Yémen
Son approche des investissements technologiques constitue un parallèle intéressant : le fonds souverain saoudien a récemment acquis des parts d’Amazon, Google, Microsoft, Uber et Zoom.
C’est assurément un calcul : plus l’Arabie saoudite s’implique et s’intègre dans les tissus du divertissement et de la culture mondiaux, plus il devient difficile de critiquer le pays, sans parler de l’ostraciser, en raison de sujets politiques tels que la guerre au Yémen.
Les supporters saoudiens n’auront pas la chance de voir Messi jouer dans leur plus grande division nationale chaque semaine, mais un tournant controversé approche rapidement.
En septembre 2024, la FIFA devrait décider qui accueillera la Coupe du monde en 2030. L’Arabie saoudite est à la tête d’une candidature commune, avec l’Égypte et la Grèce, pour accueillir le tournoi.
On peut assurément supposer que le régime saoudien et son investissement soudain et conséquent dans le foot à l’échelle mondiale s’inscrit également dans son ambition visant à rapprocher cet événement international des côtes saoudiennes.
Si Messi a résisté à de nouveaux gains financiers offerts par ses bienfaiteurs saoudiens pour l’instant, le processus de candidature le met dans une position délicate. Son Argentine natale est elle aussi candidate, avec l’Uruguay, le Chili, le Paraguay, ce qui les met en concurrence avec le pays qu’il représente en tant qu’ambassadeur du tourisme.
Bien qu’il ait résisté au championnat d’Arabie saoudite, Messi continue à évoluer avec gêne dans la sphère d’influence que le royaume a bâtie dans le sport.
- Mostafa Mohamed est un journaliste égyptien indépendant qui a travaillé comme correspondant pour plusieurs revues et magazines arabes et internationaux. Il écrit sur des sujets liés à l’économie et au sport.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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