Ce qui se cache derrière la détente entre le Pakistan et les Émirats arabes unis
Le ministre pakistanais des Affaires étrangères Shah Mehmood Qureshi a fait début mai une visite de trois jours aux Émirats arabes unis (EAU), alors que les deux pays marquent le 50e anniversaire de leurs relations bilatérales.
Au même moment, l’envoyé émirati à Washington confirmait que les Émirats servent d’intermédiaire entre l’Inde et le Pakistan en vue d’une relation plus « fonctionnelle ». Le 25 février, les deux États ont réaffirmé soudainement leur accord de cessez-le-feu à la frontière cachemirie.
À la suite de son voyage aux Émirats, Qureshi s’est rendu en Iran et en Turquie, et il prévoit de visiter bientôt le Qatar. La visite du ministre des Affaires étrangères ce mois-ci correspond à l’annonce de la nouvelle vision économique du Pakistan, dans le cadre de laquelle le contact avec les États du Golfe semble être une grande priorité.
Cette visite laisse espérer que le récent froid dans les relations entre le Pakistan et les Émirats pourrait bientôt être de l’histoire ancienne
Au cours de ces trois jours de visite aux EAU, Qureshi s’est entretenu avec des dignitaires et des membres de la diaspora pakistanaise et a cherché comment améliorer la coopération bilatérale, notamment dans les secteurs du commerce et des investissements. À la fin de la visite, les Émirats ont annoncé proroger un prêt de deux milliards de dollars au Pakistan accordé en 2019.
Cette visite laisse espérer que le récent froid dans les relations entre le Pakistan et les Émirats pourrait bientôt être de l’histoire ancienne. Les relations politiques, stratégiques et économiques reposent sur la religion et la culture communes aux deux États.
La seconde plus importante diaspora pakistanaise dans le Golfe
Les Émirats ont participé à différentes initiatives d’aide humanitaire au Pakistan au cours des ans, notamment le programme d’assistance pakistano-émirati, lancé en 2011, qui se concentre sur la construction d’écoles, de routes et de ponts ainsi que l’amélioration du secteur de la santé.
Les EAU sont l’un des plus gros contributeurs du Pakistan en termes d’investissements directs étrangers, lesquels se concentrent principalement dans les secteurs des affaires, de la banque, des télécommunications et de l’énergie. Des rencontres militaires entre hauts gradés ont également eu lieu de temps à autre.
Le Pakistan se distingue par la création des forces aériennes émiraties après l’indépendance des Émirats arabes unis en 1971. Plus important encore, les Émirats accueillent la seconde plus importante diaspora pakistanaise dans le Golfe avec environ 1,6 million d’expatriés. Les versements en provenance des Émirats – environ 4,6 milliards de dollars par an en général – sont primordiales pour l’économie pakistanaise.
Cependant, en 2015, lorsque le Pakistan a refusé d’envoyer ses troupes combattre au sein de la coalition menée par les Saoudiens au Yémen, les relations se sont grandement refroidies, les Émirats reprochant vivement au Pakistan son manque de soutien. La situation a également fourni une ouverture permettant de meilleures relations entre l’Inde et les EAU.
Les choses ont continué d’empirer lorsque le Pakistan est resté neutre lors de l’éclosion de la crise entre le Qatar et le Golfe en 2017. Les liens se sont tendus davantage lorsque le Pakistan a critiqué l’inaction des pays du Golfe en ce qui concerne les atrocités indiennes au Cachemire ainsi que le récent rapprochement des Émirats avec Israël.
Un point d’appui dans le Golfe
En novembre 2020, les EAU ont interdit les visas de travail pour les ressortissants pakistanais. Bien que cette initiative ait été imputée à la pandémie de COVID-19, certains s’interrogent sur des facteurs géopolitiques sous-jacents tels que les liens croissants d’Israël avec les nations du Golfe.
Par ailleurs, les discriminations croissantes subies par les Pakistanais aux Émirats arabes unis ont été rapportées.
De plus, les Émirats considèrent l’Inde non seulement comme un allié sur le plan économique, mais comme un allié formant une liaison parfaite avec Israël.
Dans le même temps, le Pakistan perd en pertinence dans le Golfe. L’époque où être le seul pays musulman disposant de la puissance nucléaire donnait au Pakistan une certaine stature est révolue.
L’économie semble être la seule voie durable et c’est pourquoi le Pakistan tente de maintenir un point d’appui dans le Golfe en multipliant les initiatives commerciales et d’investissement. La focalisation de Qureshi sur le pavillon pakistanais à l’exposition universelle de Dubaï le prouve.
Mais comme le dit l’adage, on n’a rien sans rien. Pour les Émirats, le Pakistan offre des opportunités d’investissement en adéquation avec sa politique de réduction de sa dépendance au pétrole.
Abou Dabi a répété à maintes reprises sa volonté d’investir dans le corridor économique Chine-Pakistan, en se concentrant sur les petites et moyennes entreprises.
Par ailleurs, un grand projet pour une mégapole pétrolière dans le district de Gwadar au Pakistan serait à l’étude, laissant entendre davantage d’opportunités d’investissement pour les EAU.
Virage en direction de Doha
Dans ce contexte, il convient de noter que le rôle des Émirats en tant que puissance régionale dans le Golfe est progressivement éclipsé par le Qatar, qui entretient d’excellentes relations à la fois avec l’Inde et le Pakistan.
En février, Doha et Islamabad ont signé un accord décennal pour l’importation de gaz naturel liquéfié et les relations dynamiques du Pakistan avec le Qatar se sont avérées cruciales pour faciliter les négociations entre les États-Unis et les talibans dans le cadre du processus de paix en Afghanistan.
À l’heure actuelle, les relations bilatérales se fondent sur des bénéfices mutuels et reposent sur l’économie pour assurer leur durabilité. Malgré leurs différences, le Pakistan et les Émirats arabes unis ont beaucoup à gagner de relations affables reposant sur le côté pratique.
- Arhama Siddiqa est chargée de recherche pour l’Institute of Strategic Studies in Islamabad (ISSI). Elle s’occupe également du bureau MENA. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @arhama_siddiqa.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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