Suspension de la dissolution d’associations propalestiniennes : Macron rappelé à l’ordre par le Conseil d’État
Le vendredi 29 avril, le Conseil d’État, la plus haute cour administrative de France, a suspendu la dissolution ministérielle de deux associations propalestiniennes, invalidant doublement la décision prise le 9 mars en conseil des ministres par le président Emmanuel Macron et son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Symptomatique de l’alignement tant rhétorique que politique de la France sur Israël – un véritable suivisme de plus en plus prononcé depuis Nicolas Sarkozy –, Macron et Darmanin accusaient en effet le Comité Action Palestine et le Collectif Palestine Vaincra d’incitation à la haine, à la discrimination et à la violence contre Israël ainsi que de soutien à des organisations terroristes (en référence au Hamas), allant même jusqu’à l’accusation gravissime de chercher à provoquer des actes de terrorisme.
À la suite de leur dissolution par décret exécutif, les deux associations avaient immédiatement déposé un recours en référé auprès du Conseil d’État.
Un arrêt historique et potentiellement salutaire
Bien qu’elle semble être passée inaperçue et soit restée très peu relayée, noyée dans le déluge médiatique autour de l’Ukraine, cette nouvelle est en fait importante, voire historique, pour de nombreuses raisons.
D’abord, par la clarté et l’utilisation d’un langage très fort dans la condamnation des décisions d’Emmanuel Macron et de son ministre de l’Intérieur par le Conseil d’État. Celui-ci statue en effet, entre autres choses, que « la mesure de dissolution prononcée par le décret contesté […] porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’association et à la liberté d’expression, qui présentent le caractère de libertés fondamentales ».
« La mesure de dissolution prononcée par le décret contesté […] porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’association et à la liberté d’expression, qui présentent le caractère de libertés fondamentales »
- Le Conseil d’État
Pour paraphraser, le président français et son gouvernement violent eux-mêmes la Constitution, les droits humains et les libertés les plus fondamentales qu’ils ont pourtant pour mission de protéger.
On appréciera l’ironie en mode arroseur arrosé de la part d’un gouvernement et d’un chef de l’État qui ne cessent de stigmatiser et d’attaquer les musulmans de France pour « séparatisme » vis-à-vis des règles et lois de la République, tout en se présentant comme modèles ultimes de vertu républicaine.
Notons également qu’il ne s’agit pas ici de membres secondaires du gouvernement ou d’officiels de bas niveau, mais du chef de l’État en personne et de son ministre de l’Intérieur, à savoir les numéros 1 et 2 de la République.
Lors d’une récente cérémonie en mémoire des victimes du terrorisme à laquelle était convié le président d’Israël Isaac Herzog ainsi que les associations françaises et groupes de lobby juifs pro-israéliens, Emmanuel Macron s’était même vanté publiquement de la dissolution par son gouvernement de ces deux organisations, qu’il qualifiait de façon diffamatoire d’« antisémites ».
Or, l’une des conclusions du Conseil d’État est que ce chef d’accusation n’est « pas corroboré ». En d’autres termes, le dossier est vide, et lorsqu’il s’agit (entre autres) d’organisations propalestiniennes, Macron et Darmanin inventent simplement des excuses.
Il n’est donc pas étonnant que sollicité par l’Agence France Presse (AFP) pour commenter ce cuisant camouflet, le ministère de l’Intérieur n’a pas daigné répondre. Lui-même se voit désormais reconnu hors-la-loi, sans excuses ni réponse.
Invoquer les principes Républicains pour mieux les ignorer
Deuxièmement, cette décision confirme encore davantage ce que nombre de critiques de tous bords expliquent depuis des années, à savoir que très souvent, ceux-là mêmes qui se gaussent de « principes républicains », de « respect de la loi », de références à Samuel Paty et de nobles valeurs comme la liberté d’expression et la laïcité ne le font que pour mieux violer et piétiner les lois, principes et valeurs dont ils se réclament.
Troisièmement, la décision du Conseil d’État pourrait peut-être offrir une base juridique pour contester l’interdiction de la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) par le gouvernement français, laquelle interdiction entre en contradiction avec un arrêt la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) jugeant que l’appel au boycott des produits israéliens ne peut pas en soi constituer une infraction pénale puisque couvert par la liberté d’expression.
En effet, une des raisons invoquées dans les décrets de dissolution est que le BDS, y compris le simple soutien à cette campagne en faveur des droits des Palestiniens, constituerait une incitation à la discrimination et à la haine contre Israël et les Israéliens.
Un amalgame entre antisionisme et antisémitisme aussi grossier et fallacieux que typique des gouvernements israéliens, que depuis des années les gouvernements français ne cessent de reprendre à leur compte pour réprimer les activistes pro-palestiniens.
Or, la décision du Conseil d’État semble bel et bien indirectement et implicitement invalider cette interdiction de la campagne BDS en sous-entendant qu’elle constitue elle aussi une attaque flagrante contre les libertés d’association et d’expression.
Un frein à la criminalisation de la critique
Quatrièmement, de façon encore plus large et potentiellement exploitable par les défenseurs de libertés civiques mises à mal par cinq années de macronisme illibéral, autoritaire, liberticide et souvent violent, cette décision de justice semble également invalider une grosse partie des méthodes et alibis utilisés par Emmanuel Macron et Gérald Darmanin pour fermer de nombreuses mosquées, associations islamiques, organisations anti-racistes, écoles musulmanes et autres clubs sportifs ou commerces halal privés.
On appréciera l’ironie en mode arroseur arrosé de la part d’un gouvernement et d’un chef de l’État qui ne cessent de stigmatiser et d’attaquer les musulmans de France pour « séparatisme » vis-à-vis des règles et lois de la République, tout en se présentant comme modèles ultimes de vertu républicaine
De fait, la rhétorique, les méthodes (culpabilité par association, etc.), les raisons, excuses et soi-disant « preuves » énumérées dans ces deux décrets de dissolution du 9 mars sont en tous points similaires à ceux utilisés précédémment pour dissoudre des organisations comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et la Coordination contre le racisme et l’antisémitisme (CRI).
Par exemple, l’affirmation ubiquitaire dans ces décrets selon laquelle le simple fait de parler de « racisme et d’islamophobie d’État » constituerait des « incitations à la haine de la France et à des actes de terrorisme » contre ce pays.
Cette criminalisation de libertés civiques fondamentales – une caractéristique majeure du régime Macron –, cette reformulation de l’exercice de la liberté d’opinion et d’expression, ce recodage sémantique de la critique du gouvernement comme constituant désormais une « incitation à la haine et au terrorisme contre la France » représentent en effet depuis des années le tour de passe-passe rhétorique le plus fréquemment invoqué dans cette avalanche sans fin de décrets de dissolution, adoptés essentiellement contre des associations islamiques.
Au-delà de la réhabilitation de ces deux associations pro-palestiniennes, c’est bien toute cette stratégie de fermetures intempestives qui semble invalidée.
Cette décision est donc bien plus importante que la reconnaissance officielle que le gouvernement Macron ne se prive pas de violer les lois fondamentales et les grandes libertés constitutionnelles d’une République qu’il ne cesse d’invoquer. Elle est bien plus importante que les dérisoires 3 000 euros que le gouvernement devra verser à chacune de ces associations.
Si l’on veut faire preuve d’optimisme, ce revers cuisant pourra en effet peut-être calmer les ardeurs islamophobes d’un Macron II, après que le Macron I s’est vu décerner l’honneur de faire la couverture du dernier Rapport sur l’islamophobie en Europe.
On espère pour le moins que le président français et son nouveau ministre de l’Intérieur, Darmanin ou un autre, réfléchiront désormais à deux fois avant d’invoquer de fausses excuses pour priver leurs compatriotes musulmans de leurs droits fondamentaux.
- Alain Gabon est professeur des universités américaines et maître de conférence en « French Studies » à l’université Wesleyenne de Virginie (Virginia Beach, États-Unis). Spécialiste du XXe siècle, il a écrit de nombreux articles sur, entre autres sujets, l’islam et les musulmans en France et dans le monde, pour des médias grands publics et alternatifs ainsi que des revues universitaires.
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