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La normalisation entre le Maroc et Israël ? Une énième trahison politique de Rabat

La reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental peut s’apparenter à une victoire immédiate de Rabat. Mais les conséquences négatives pour le Maroc et pour la région sur le long terme risquent d’être nombreuses
Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et son ministre des Affaires étrangères Shimon Peres sont accueillis par le roi Hassan II, le 14 septembre 1993 (AFP)
Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et son ministre des Affaires étrangères Shimon Peres sont accueillis par le roi Hassan II, le 14 septembre 1993 (AFP)

Le tweet de Donald Trump parlant de la normalisation entre le Maroc et Israël comme d’une « avancée historique » et d’une « percée majeure pour la paix au Moyen-Orient » était déjà d’un cynisme absolu – mais venant d’un homme à la vacuité intellectuelle abyssale qui n’était sans doute pas en mesure de situer le Sahara occidental sur une carte il y a à peine quelques semaines, il n’y avait rien de si surprenant.

Que le roi du Maroc Mohammed VI annonce la nouvelle au président palestinien Mahmoud Abbas, en lui précisant que le Maroc est en faveur d’une solution à deux États, les négociations entre les Palestiniens et Israël étant selon lui la seule manière d’obtenir une issue au conflit, relève aussi du cynisme.

Après les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et le Soudan, qui ont récemment normalisé leurs relations avec Israël, c’est donc au tour du Maroc, autre pays « frère », de sacrifier sur l’autel des intérêts personnels la Palestine et les Palestiniens.

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Il va sans dire que d’autres pays arabes suivront tôt ou tard, à commencer par l’Arabie saoudite, comme l’indique la récente rencontre « secrète » entre Netanyahou et le prince héritier Mohammed ben Salmane près de la mer Rouge, en présence du secrétaire d’État américain et du chef du Mossad (renseignements israéliens).

Même si le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Fayçal ben Farhan al-Saoud, a rappelé que Riyad ne signerait un accord de paix avec Israël qu’à la seule condition que celui-ci aboutisse à un État palestinien dans la dignité et une relative souveraineté pour les Palestiniens, on peut penser qu’une fois le moment opportun venu, les autorités saoudiennes sacrifieront elles aussi les Palestiniens et leur cause pour un hypothétique gain national.

Ce n’est donc qu’une question de temps avant que l’Arabie saoudite n’officialise elle aussi ses relations avec Israël.

Malgré la réprobation de nombreux pays comme la Suède et le Royaume-Uni, la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par les États-Unis pourrait aussi entraîner d’autres reconnaissances de même type en Europe et en Afrique, compliquant ainsi encore plus l’option d’autodétermination promise par les Nations unies aux Sahraouis.

Trahisons politiques marocaines

Si cette annonce représente une étape géopolitique régionale majeure, elle ne doit pas occulter les liens étroits qu’entretiennent depuis des décennies le Maroc et Israël.

Il est important de rappeler que la débâcle des troupes militaires arabes lors de la guerre des Six jours en 1967 est, entre autres, due à la trahison d’un des leurs, le roi du Maroc Hassan II. En effet, dès 1965, ce dernier enregistrait le contenu de la réunion qui se tenait dans un grand hôtel de Casablanca avec ses « frères » arabes sur la stratégie à emprunter vis-à-vis d’Israël.

Selon The Times of Israel, le plan initial du roi du Maroc était de loger, à l’étage supérieur où se tenait la réunion, des membres du Shin Bet (service de sécurité intérieure israélien) et du Mossad présents dans le cadre de l’opération The birds afin qu’ils puissent eux-mêmes enregistrer l’entière conversation.

Hassan II se ravisa toutefois au dernier moment de peur que les Israéliens ne fussent démasqués.

Il n’hésita pas ensuite à remettre cet enregistrement aux services secrets israéliens, ce qui permit aux forces militaires israéliennes de déclencher les hostilités le 5 juin, clouant et détruisant au sol toutes les forces aériennes égyptiennes.

Le kidnapping et l’assassinat de Mehdi Ben Barka en octobre 1965 était le fruit d’une collaboration entre les services secrets marocains et français, mais aussi du Mossad

Pour rappel, cette débâcle de 1967 résulta en la capture par les forces israéliennes de la bande de Gaza, de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est, du plateau du Golan ainsi que de la péninsule du Sinaï.

Le kidnapping et l’assassinat qui suivirent de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka en plein cœur de Paris en octobre 1965 était le fruit d’une collaboration entre les services secrets marocains et français, mais aussi du Mossad, raconte Ronen Bergman, journaliste au New York Times, dans son livre Lève-toi et tue le premier : l’histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël. Selon le journaliste, le Mossad a aidé les assassins à se débarrasser du corps et à l’enterrer.

Cette entente israélo-marocaine ne devait pas s’arrêter là.

En 1976, lors de son premier mandat en tant que Premier ministre d’Israël, Isaac Rabin aurait rendu visite à Hassan II en secret, déguisé avec une perruque, des moustaches et des fausses lunettes.

Il n’est donc pas surprenant que Hassan II fût aussi un entremetteur entre le président égyptien Anouar al-Sadate et le Premier ministre israélien Menahem Begin afin d’organiser la visite du président égyptien à Jérusalem en 1977, laquelle fut suivie des accords de Camp David en 1978.

Lors de son retour de Washington après la signature des accords d’Oslo en 1993, le même Isaac Rabin fit un crochet par le Maroc – la première visite d’un Premier ministre israélien dans un pays arabe en dehors de l’Égypte – afin de rencontrer Hassan II pour entamer de futures relations diplomatiques.

La Maroc ouvrit même un bureau de liaison à Tel Aviv en 1994, qui fut ensuite fermé en 2002 après la deuxième Intifada. Lors des funérailles de Hassan II en 1999, le Premier ministre israélien de l’époque, Ehud Barak, était présent et bien en vue parmi les nombreux chefs d’État venus rendre un dernier hommage au monarque marocain.

Le PJD en porte-à-faux

Il semblerait que le Makhzen (Palais royal) ait fait le pari que le sentiment nationaliste au sujet du Sahara occidental soit plus important que la solidarité des Marocains avec le peuple palestinien.

Cette normalisation des relations entre le Maroc et Israël n’est pas sans conséquence pour le pouvoir marocain. Car si une lune de miel s’annonce entre les deux pays, plusieurs partis d’opposition marocains ainsi que l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) ont condamné ce rapprochement, rappelant que le peuple marocain avait toujours été très solidaire avec le peuple palestinien contre les crimes commis par Israël.

Plus encore, cette annonce de normalisation met en porte-à-faux le Parti de la justice et du développement (PJD ; islamiste), à la tête du gouvernement. Dans un communiqué aux accents acrobatiques, le parti s’est félicité que « les États-Unis reconnaissent la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental », tout en rappelant toutefois les positions fermes du PJD face à « l’occupation sioniste et les crimes commis contre le peuple palestinien ».

Mais à aucun moment, le communiqué n’évoque-t-il le rétablissement des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, les leaders du PJD étant bien conscients que la position de leur base est profondément anti-israélienne.

Des Marocains agitent le drapeau palestinien lors d’une manifestation à Rabat, le 18 septembre 2020, pour dénoncer les accords de normalisation entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn (AFP)
Des Marocains agitent le drapeau palestinien lors d’une manifestation à Rabat, le 18 septembre 2020, pour dénoncer les accords de normalisation entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn (AFP)

Pour rappel, en août, Rabat rejetait toute normalisation avec Israël. Le Premier ministre marocain Saâdeddine el-Othmani, pour qui « une normalisation avec Israël ne ferait qu’exacerber encore plus les violations des droits du peuple palestinien », qualifiait même Israël « d’entité sioniste » !

Autant dire que les semaines prochaines pourraient s’avérer délicate d’un point de vu interne pour Mohammed VI, commandeur des croyants et président du Comité al-Qods. Cette situation risque d’exacerber les problèmes socio-économiques à même de déstabiliser le pays sur le moyen terme.

Aucune conséquence juridique

Il est important de souligner que malgré toute l’encre que cette annonce a fait couler, elle n’a aucune conséquence juridique, même si elle devait être entérinée par l’administration Biden avec l’aval du Congrès américain.

Comme l’a rappelé le secrétaire général des Nations unies, António Guterres : « En ce qui concerne le Sahara occidental, tout reste inchangé. Et la solution au [conflit] ne dépend pas de la reconnaissance des États individuellement mais de l’application des résolutions du Conseil de sécurité, dont nous sommes les gardiens. »

Ceci dit, l’ONU porte une énorme part de responsabilité dans le pourrissement de la situation régionale et l’absence de solution à ce conflit.

Le cessez-le-feu entre le Maroc et les Sahraouis a été instauré en 1991. Depuis, nul progrès dans ce dossier. Plus encore, certains pays membres du Conseil de sécurité, tels que la France, ont laissé la situation pourrir, le statu quo leur convenant parfaitement.

À cet égard, Paris, éternel allié de Rabat dans ce dossier, se doit de cesser sa politique de l’autruche car tout cela risque aussi de se retourner contre la France et ses intérêts dans la grande région maghrébo-sahélienne. Mais pour cela, une vision géostratégique de long terme s’impose.

Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, dans l’enceinte de la mosquée al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem, le 27 mars 2018 (AFP)
Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, dans l’enceinte de la mosquée al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem, le 27 mars 2018 (AFP)

Au-delà de cet accord bilatéral, ce sont les répercussions désastreuses que ce nombrilisme géostratégique et cet « accord entre colons », comme le qualifie l’eurodéputée Marie Arena, auront sur toute la région maghrébo-sahélienne dont il faut dorénavant se soucier.

Et surtout, de l’entrée d’Israël et des Émirats arabes unis dans la région.

Le Maroc, qui va profiter de la coopération militaire et de renseignement avec Israël, en plus de l’accord militaire de dix ans qu’il vient de signer avec les États-Unis, sera dorénavant redevable envers ces pays.

Après la Libye, les EAU s’immisceront de plus en plus au Maghreb mais aussi au Sahel, déstabilisant un peu plus la région déjà en difficultés.

Israël et les États-Unis mettront au service du Maroc leurs puissances technologiques et militaires, qui en retour serviront leurs propres intérêts dans la région.

Cela pourrait enfin peut-être pousser la Russie à jouer un rôle plus actif, qui irait au-delà du simple veto au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.

Revoir la stratégie africaine de l’Algérie

On ne peut analyser le conflit du Sahara occidental et les derniers événements sans souligner l’absence de l’Union africaine (UA). Cette dernière se doit de hausser le ton et de ne plus se contenter de rédiger des communiqués aseptisés condamnant mollement Rabat tout en se cachant derrière la responsabilité de l’ONU.

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Israël ayant tissé des liens avec de nombreux États africains, noyautant ainsi l’UA, l’organisation se doit de mettre en place les mécanismes adéquats afin de sanctionner tous les États membres qui ont à ce jour ouvert un consulat dans les territoires occupés du Sahara occidental.

Il est enfin urgent pour l’Algérie (mais aussi pour l’Afrique du Sud), de revoir sa stratégie africaine. Car quelles que soient sa constance, sa noblesse et sa justesse sur ce dossier, Alger ne peut plus se contenter de cette situation et de rappeler le droit international lorsqu’il s’agit de ses intérêts vitaux.

Nombreux sont les pays africains qui ont bénéficié d’une manière ou d’une autre des largesses d’Alger (on pense à l’effacement de la dette de pays comme la Gambie ou encore au soutien politique en faveur de la libération de pays comme le Cap-Vert d’Amilcar Cabral et la Guinée-Bissau) et qui pourtant aujourd’hui, l’ignorent ouvertement, préférant à la vérité historique et la stabilité du continent les mensonges outranciers de Rabat leur permettant d’obtenir de petits gains liés à la situation conjoncturelle dans la région.

Si la France n’a pas ouvertement applaudi la décision de Washington, il n’en demeure pas moins que son rôle néfaste dans le dossier du Sahara occidental contribue à l’instabilité de la région depuis des décennies

Il est donc crucial pour Alger de revoir sa politique africaine dans sa globalité mais aussi la relation toxique qu’il entretient avec Paris depuis 1962. Car si la France n’a pas ouvertement applaudi la décision de Washington, il n’en demeure pas moins que son rôle néfaste dans le dossier du Sahara occidental contribue à l’instabilité de la région depuis des décennies.

En conclusion, s’il y a bien une chose que cet accord israélo-marocain aura pleinement réussie, c’est (re)mettre sur le devant de la scène internationale le conflit du Sahara occidental, alertant ainsi sur la difficile situation du peuple sahraoui sous occupation marocaine.

Plus encore, c’est la pénétration géostratégique d’Israël dans la région maghrébo-sahélienne et en Afrique de l’Ouest qu’il faut retenir. Il ne fait aucun doute qu’en utilisant la puissance diplomatique américaine, Israël a magistralement manœuvré pour ses propres intérêts dans toute la région allant d’Israël à la côte atlantique.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Abdelkader Abderrahmane est chercheur en géopolitique et consultant international sur les questions de paix et de sécurité en Afrique
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