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Les Palestiniens et la gauche israélienne : le Parti travailliste « plus raciste » que le Likoud ?

Depuis des années, la gauche israélienne tient pour acquis les suffrages des citoyens palestiniens. Aujourd’hui, les Palestiniens en ont assez, et les souvenirs de 1948 jouent un rôle dans ce revirement

Quelques jours après que Jamal Zahalka, membre de la Liste unifiée, principalement palestinienne, à la Knesset israélienne, a suscité un tollé politique en accusant ses alliés présumés du Parti travailliste d’être historiquement plus racistes que l’extrême droite, une tribune libre a été publiée dans le journal Haaretz. « Je comprends cette critique sévère », a écrit l’auteur sur un ton sarcastique. « Sans la gauche [juive] en 1948, le peuple palestinien n’aurait pas subi la Nakba ["catastrophe"] ; aucun Palestinien n’aurait perdu son foyer. À l’inverse, les Palestiniens auraient gagné un quart de million de foyers juifs. »

Cette lettre résume le noyau de cette question sensible qui divise encore profondément le camp de la gauche israélienne entre juifs et Palestiniens. Pour de nombreux citoyens palestiniens d’Israël, le mouvement travailliste qui a régné sur Israël dans les premières années de sa création s’est non seulement rendu historiquement responsable de l’exil de 750 000 Palestiniens en 1948, mais a également volé leurs propriétés en construisant des centaines de kibboutzim sur leurs terres.

Pour la plupart des partisans du Parti travailliste, comme pour l’auteur de la lettre, les actions entreprises par leurs prédécesseurs en 1948 sont un motif de fierté : selon leur version de l’histoire, sous le leadership de David Ben Gourion, leur parti a dirigé le mouvement sioniste, fondé l’État d’Israël et l’a sauvé de son extinction par les envahisseurs arabes. Les mêmes kibboutzim que Zahalka déplorait constituaient le plus bel aboutissement de leur mouvement.

Évidemment, les choses ont changé depuis 1948. Si le Mapaï, prédécesseur de l’actuel Parti travailliste, n’a rencontré quasiment aucune opposition en Israël au cours de ses trente premières années, depuis 1977, le Parti travailliste a remporté les élections à seulement deux reprises et son pouvoir au Parlement a chuté, passant de 56 à 24 sièges. La minorité palestinienne, qui a été à peine représentée au cours des premières années d’Israël, occupe désormais 13 sièges au sein de la Liste unifiée, liste commune formée à l’occasion des dernières élections.

En outre, la gauche juive ainsi que la minorité palestinienne sont censées avoir un ennemi commun : les coalitions de droite israéliennes.

L’heure de gloire de la coalition entre les travaillistes et les citoyens palestiniens d’Israël est survenue en 1992, lorsque le Premier ministre Yitzhak Rabin a formé son gouvernement avec les représentants de ces derniers pour la première fois (et la dernière à ce jour) dans l’histoire d’Israël. Les accords d’Oslo n’auraient pas été possibles sans leur soutien.

En 1999, les Palestiniens ont voté massivement en faveur d’Ehud Barak, contribuant ainsi à son arrivée au pouvoir. L’histoire a connu une fin amère : 13 citoyens palestiniens d’Israël ont été tués par la police lors de manifestations qui ont suivi le début de la seconde Intifada en octobre 2000. Les vieux souvenirs de la Nakba de 1948 ont ressurgi.

Depuis lors, le Parti travailliste traite la minorité palestinienne comme une maîtresse : il compte sur ses suffrages afin d’empêcher la droite de former une coalition, mais ne considère pas ses représentants au Parlement comme étant aptes à servir dans un possible gouvernement travailliste, préférant une coalition « sioniste ». Pas étonnant que les citoyens palestiniens d’Israël se sentent rejetés.

« Le Parti travailliste nous tient pour acquis », a expliqué Thabet Abu Rass, géographe politique et co-directeur exécutif du Fonds Abraham. « Ils nous traitent avec condescendance. Nous sommes censés voter pour eux, mais nous ne sommes pas autorisés à agir dans notre propre intérêt. »

Abu Rass donne l’exemple de la « loi sur la naturalisation », qui empêche les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza d’épouser des Palestiniens d’Israël. Il s’agit d’une question à forte valeur émotionnelle pour les Palestiniens. Le leader travailliste « Bougie [Isaac] Herzog veut prendre soin de 10 000 réfugiés syriens, mais n’est pas prêt à autoriser un Palestinien d’Israël à épouser l’élu(e) de son cœur si cette personne vient de Cisjordanie. C’est de l’hypocrisie », a-t-il affirmé.

Le Parti travailliste est resté muet sur de nombreuses autres questions civiles concernant la minorité palestinienne en Israël, des démolitions de maisons dans les villes et villages palestiniens à la redistribution des terres d’une manière plus juste envers les citoyens palestiniens d’Israël, remarque Abou Rass.

Ce n’est pas la première fois que Zahalka, chef du Balad, parti d’extrême-gauche qui fait désormais partie de la Liste unifiée, accuse les kibboutzim et les juifs ashkénazes (juifs d’origine européenne) qui s’y sont installés d’être responsables de la tragédie palestinienne. Ce sont les ashkénazes qui ont pris notre terre, pas les juifs d’Orient [mizrahim] », a-t-il déclaré lors d’une interview télévisée en 2010. « Non pas ceux qui crient "Mort aux Arabes", mais ceux qui chantaient "nous vous apportons la paix", » a-t-il ajouté, se référant à l’une des chansons sionistes les plus populaires.

Debout sur le podium de la Knesset la semaine dernière, Zahalka est allé encore plus loin. « Les gens de droite valent bien mieux que vous, a-t-il tonné. Le Likoud a créé les colonies à côté de villages arabes, mais le Parti travailliste a créé ses kibboutzim sur les ruines de villages arabes. Rendez-nous notre terre ! »

Abu Rass se montre gêné quant au ton de cette attaque. Il soutient que l’actuelle coalition de droite est beaucoup plus raciste et anti-arabe que le Parti travailliste. Toutefois, il est solidaire de la pensée politique sous-jacente au discours de Zahalka.

La formation de la Liste unifiée lors des dernières élections, rassemblant pour la première fois toutes les forces politiques de la minorité palestinienne, renforce leur assurance politique, estime Abu Rass. Ce pouvoir politique retrouvé a permis à la Liste unifiée de négocier avec le Premier ministre Benjamin Netanyahou quant au respect de certains besoins civils de la minorité palestinienne en échange de leur soutien lors du vote crucial d’un accord controversé sur le dossier du gaz à la Knesset.

Si les négociations n’ont pas abouti à un accord avec la Liste unifiée, Abu Rass affirme toutefois que celles-ci constituent un signe de maturité politique du côté de la minorité palestinienne. Si le Parti travailliste ne se sent pas obligé d’adhérer à des questions pertinentes pour les citoyens palestiniens d’Israël, les Palestiniens ne se sentent pas obligés d’adhérer aux intérêts du Parti travailliste. Les juifs ultra-orthodoxes, qui utilisent leur pouvoir politique de négociation pour obtenir des avantages financiers de la part du gouvernement, font office d’exemple.

À travers les propos qu’il a tenus à la Knesset et dans d’autres interviews, Zahalka a fait référence à une éventuelle coalition entre Palestiniens et juifs mizrahim, tout en contournant les juifs ashkénazes « racistes » venus d’Europe. Cet espoir, ou plutôt ce rêve de raviver les bonnes relations qui existaient supposément entre Arabes et juifs en Palestine et ailleurs au Moyen-Orient avant que les juifs sionistes arrivent d’Europe, est partagé par bon nombre de Palestiniens.

Yossi Beilin, l’un des architectes des accords d’Oslo, a écrit récemment que le président palestinien Mahmoud Abbas est convaincu depuis de nombreuses années qu’il s’agit du moyen de parvenir à la paix avec les Israéliens. En vain, néanmoins. Lors d’un débat télévisé avant les dernières élections, Ayman Odeh, leader de la Liste unifiée, a proposé « une alliance des transparents » à Aryeh Deri, leader du Shas, parti représentant essentiellement les juifs mizrahim de la classe ouvrière. Deri a catégoriquement refusé la proposition.

Comme le note Abu Rass, les citoyens palestiniens d’Israël pourraient avoir un programme beaucoup plus clair et civil. Le problème est qu’ils ont encore du mal à trouver un partenaire dans ce programme, hormis la gauche radicale.

Un rapide coup d’œil sur les chiffres permettrait de montrer que sans la minorité palestinienne, qui représente plus de 20 % de la population israélienne, le Parti travailliste et la gauche en général ont peu de chances de remporter des élections, voire aucune. Toutefois, il semblerait que le parti ne soit pas encore prêt à payer le prix de la normalisation de ses relations avec la minorité palestinienne et à la considérer comme un véritable partenaire, et pas uniquement comme un fournisseur de suffrages. Les propos de Zahalka ont exprimé cette frustration ; cependant, Abu Rass ainsi que d’autres dirigeants palestiniens espèrent toujours un changement d’attitude.

- Meron Rapoport, journaliste et écrivain israélien, a remporté le prix Naples de journalisme grâce à une enquête qu’il a réalisée sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Jamal Zahalka (à gauche), député de la Liste unifiée à la Knesset, prononce un discours aux côtés d’Ayman Odeh, lui aussi député, au siège de leur parti dans la ville de Nazareth, le 17 mars 2015 (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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