Actrice, avocate, sœur et espionne : Ouidad Elma déploie ses ailes
LONDRES – Ouidad Elma se retrouve étrangement sans domicile fixe. Un programme de tournage intense l’a conduite de Paris à Londres et, avant ça, en Afrique du Sud pour filmer le nouveau drame colonial de la BBC, « The Last Post ».
« En fait, je n’ai pas de base, je flotte librement, en quelque sorte », explique l’actrice, qui est née au Maroc et a grandi à Paris avant de retourner dans son pays natal il y a six ans pour faire des films. « J’ai vécu deux ans et demi au Maroc, ensuite j’ai habité à Bruxelles et, maintenant, je suis à Londres. »
Elle est à Londres, entre autres raisons, pour l’avant-première de la série dramatique de fin d’Empire « The Last Post ». Se voir à l’écran s’est révélé être une expérience à la fois excitante et étrange, admet-elle.
Elma y joue une jeune Yéménite prise entre loyauté envers son pays, qui mène une lutte de libération contre le colonialisme britannique, et son amour interdit pour un jeune soldat britannique.
La série s’inspire de l’expérience de l’écrivain Peter Moffat, fils d’un officier britannique au Yémen dans les années précédant le retrait du Royaume-Uni en 1967. Le premier épisode est diffusé sur BBC1 ce dimanche 1er octobre.
« Les protagonistes yéménites veulent récupérer – reconquérir leur pays », raconte Elma avec une voix légèrement exagérée dans un clin d’œil au récent vote en faveur du Brexit en Grande-Bretagne. « Donc, mon personnage est une jeune Yéménite qui travaille comme nounou pour ce grand général britannique, et elle tombe amoureuse d’un jeune soldat britannique, Tom [Glynn-Carney] mais c’est interdit. Vous vivez dans le pays et vous ne pouvez pas tomber amoureuse de l’ennemi. »
C’est comme Romeo et Juliette à travers la fracture coloniale, ajoute-t-elle. « Nous ne pouvons pas donner à cet amour l’espace nécessaire pour qu’il s’épanouisse parce que tout est secret. C’est complètement interdit. »
L’Empire remis en cause
Bien que la série se concentre principalement sur la vie des soldats britanniques et des femmes au Yémen au cours des dernières années de l’Empire, « The Last Post » « traite également de la question de la légitimité du colonialisme et de ce que les Britanniques faisaient là-bas », précise Elma.
« L’histoire de déroule pendant le processus d’indépendance, quand les combattants du FLN voulaient repousser les Britanniques. C’est une période importante dans le monde arabe, quand le président égyptien [Nasser] était comme un leader pour tous les pays arabes et parlait beaucoup de panarabisme. »
La série a été tournée à Cape Town, en Afrique du Sud, où Elma a passé plusieurs mois entre fin 2016 et mars 2017. Alors qu’une guerre a actuellement lieu au Yémen, à nouveau soutenue par le Royaume-Uni en tant que l’un des fournisseurs principaux d’armes pour la campagne militaire saoudienne, la série a aujourd’hui une résonance particulière, remarque Elma.
« Nous avons dans le monde des millions de femmes arabes [qui] ont vraiment une belle vie, qui ont un beau travail, ce sont des dirigeantes, des avocates, des médecins, des artistes, des peintres »
- Ouidad Elma
L’attirance d’Elma pour le drame, à l’image des films qu’elle a réalisés au Maroc au début de la décennie, n’exclut pas des projets de divertissement plus légers. Cet été, elle était à Paris pour sa première comédie, « Enchantées », réalisée par Saphia Azzedine et François Régis Jeanne. Elle y tient le rôle d’une femme qui retrouve ses deux sœurs à la mort de leur père, un coureur de jupons.
« C’était une sorte de défi. Le rythme, l’improvisation, la précision... Mon cerveau se démenait vraiment pour trouver des idées et pour que les scènes fonctionnent. C’était complètement différent », confie-t-elle.
Elma a récemment rejoint le carnet d’adresses de Nina Gold, directrice de casting récompensée par le BAFTA et connue pour son travail sur des grandes sagas et des blockbusters, dont « Game of Thrones » et « Star Wars : le réveil de la force », ainsi que des drames britanniques tels que « Wolf Hall » et « Taboo ». Fan de science-fiction et de fantastique – depuis qu’elle a lu Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde quand elle était enfant –, Elma est assurément partante pour un rôle dans quelque chose de « magique ».
Des débuts difficiles
Elma est née dans la région du Rif, au Maroc, mais a été amenée à Paris alors qu’elle n’était encore qu’un bébé, lorsque ses parents ont déménagé en France. « J’ai passé seulement 40 jours là-bas, mais mon premier souffle a eu lieu au Maroc. C’est donc quelque chose d’important. »
Au début, la vie à Paris pour la famille marocaine d’Elma a été difficile. Après avoir passé des années à partager une unique chambre avec ses quatre frères et sœurs et ses parents, son père a finalement trouvé un grand logement pour la famille avec des chambres pour chacun d’entre eux. « Nous ne supportions pas d’être séparés – nous voulions être ensemble dans la même pièce comme avant », raconte-t-elle en riant.
Elle a grandi dans les quartiers multiethniques de Belleville et de Ménilmontant à Paris, des lieux qu’elle aime toujours. Plutôt que constituer une sorte d’obstacle pour sa carrière, ses origines sont, selon elle, une bénédiction.
« Être née au Maroc et avoir grandi en France est un véritable trésor pour moi. J’adore vraiment mes deux pays – vous ne pouvez pas choisir entre votre mère et votre père. Et je pense que c’est très positif pour moi d’avoir ces deux visions – européenne et africaine – dans mon travail. »
Elle admet toutefois ressentir une certaine frustration face au type de rôles qui lui sont proposés en tant qu’actrice arabe. « On me fait parvenir ces choses, toujours des rôles de femme arabe qui galère avec sa situation difficile, de sœur ou de petite amie d’un dealer, d’un terroriste ou une femme qui va se faire violer. Allons, les gars. Nous pouvons jouer des chanteuses, des présidentes, je ne sais pas moi – une espionne ! »
« Jouer n’est pas vraiment quelque chose de stable. Et en ayant connu une situation difficile, ils [mes parents] ont donc besoin de me savoir en sécurité. C’est juste que je préfère le risque »
- Ouidad Elma
« Nous avons dans le monde des millions de femmes arabes [qui] ont vraiment une belle vie, qui ont un beau travail, ce sont des dirigeantes, des avocates, des médecins, des artistes, des peintres et elles sont si extraordinaires et brillantes. Pourquoi ne voulez-vous pas parler d’elles ? C’est comme un manque de curiosité », souligne-t-elle.
À l’adolescence, elle a rejoint un groupe de théâtre, « Les enfants terribles », et s’est rapidement fait remarquer par un agent. À 16 ans, elle recevait un rôle dans son premier film, « Sa raison d’être » – qui retrace l’arrivée de l’épidémie du sida en France dans les années 1980. « Je travaillais vraiment énormément. Vous devez persévérer si vous voulez faire ce que vous voulez, et vous concentrer sur votre travail. »
Ses parents, cependant, avaient d’autres idées pour son avenir. « J’étais dans une troupe de théâtre, et mon père m’a dit : qu’est-ce que tu fais, médecine ou droit ? J’ai donc choisi le droit. Je les comprends. Jouer n’est pas vraiment quelque chose de stable. En ayant connu une situation difficile, ils ont donc besoin de me savoir en sécurité. C’est juste que je préfère le risque. »
Cependant, le droit et la culture élitiste face auxquels elle s’est retrouvée à l’université n’étaient pas pour elle – elle décrit le snobisme et les préjugés envers les étudiants non blancs et issus de la classe ouvrière à son image comme la pire chose jamais vécue dans sa vie, mais ne souhaite pas s’étendre davantage sur le sujet. Elle n’a jamais pratiqué le droit et ne l’a jamais regretté.
Le rôle d’une réfugiée
Quand Middle East Eye a rencontré Elma, elle venait juste de terminer le tournage d’un court-métrage indépendant, « Drum », dans lequel elle joue une réfugiée en fuite à Londres avec deux jeunes enfants. Il a été tourné avec une équipe bénévole de réalisateurs aguerris, dont le directeur de la photographie de « Moi, Daniel Blake », Robbie Ryan. Elle affirme avoir été fascinée par le scénario et par le sujet qui, pour elle, est également personnel.
Traduction : « Amali et moi sur le court-métrage ‘’The Drum’’ réalisé par Hayley Williams ! Une journée incroyable #mumanddaughter # film # tomgardner #robbieryan »
« Pour moi, il s’agit de liberté, il s’agit de la façon dont les gens peuvent survivre dans cette situation. C’est vraiment intéressant de voir comment le réalisateur Hayley [Williams] montre la tension liée au fait d’être une réfugiée dans cette situation, comment survivre, comment être, et le lien entre elle et sa fille. J’y ai trouvé une certaine universalité, dans la façon dont des gens en 2017 peuvent vivre dans des conditions difficiles dans un pays comme le Royaume-Uni ou la France. Pour moi, c’est inacceptable. »
« Pourquoi la France et le Royaume-Uni ont-ils toutes ces restrictions, alors que leurs ressortissants peuvent aller partout où ils veulent, mais que quand vous êtes Marocain, vous ne le pouvez pas ? Je déteste les frontières »
- Ouidad Elma
Dans le cadre des recherches qu’elle a effectuées pour incarner son personnage dans « Drum », elle a discuté avec des Syriens au Royaume-Uni et en France et à des groupes de réfugiés. « Pour moi, ils sont comme des otages. Vous ne vivez pas, vous vous cachez, vous courez, vous attendez. Il y a toujours de la tension. Cette tension devait donc se manifester dans l’attitude et l’expression physique, dans la façon dont vous marchez, c’est pourquoi je travaille sur cette tension dans mon personnage. »
Parce qu’elle dispose de deux passeports, l’un français, l’autre marocain, l’actrice a un sens aigu de la différence qu’un passeport européen peut faire par rapport à celui de ses compatriotes marocains. Il y a quelques années, elle a perdu un oncle, décédé en essayant de traverser la Méditerranée depuis la Libye vers l’Europe. « Il attendait un visa. Mais ce f**** visa a pris trop de temps. Et vous demandez pourquoi les gens font ça ? »
Elle estime qu’il existe une inégalité fondamentale dans la façon dont les passeports occidentaux permettent à leurs détenteurs de voyager librement, alors que ceux des pays en développement ne le peuvent pas. « Pourquoi la France et le Royaume-Uni ont-ils toutes ces restrictions, alors que leurs ressortissants peuvent aller partout où ils veulent, mais que quand vous êtes Marocain, vous ne le pouvez pas ? Je déteste les frontières. »
« C’est comme une discrimination. Si les frontières étaient plus ouvertes, je pense que le flux de personnes se régulerait. Le problème se résoudrait. Nous n’avons jamais essayé cela. Nous pouvons tout simplement ouvrir les frontières et voir ce qu’il se passe. Parce que maintenant c’est complètement catastrophique. C’est un désastre, tous ces gens qui meurent en mer, tout ce déséquilibre », se désole-t-elle.
Une vision forte
Son prochain projet en France se fera avec Philippe Faucon, le réalisateur de « Fatima », qui a remporté trois César en 2015. Il la fera tourner dans un nouveau film où elle jouera le rôle de la fille d’un Marocain âgé qui se débat dans la crise économique en France.
« Il est toujours intéressant de travailler avec ce genre de réalisateur, qui a une vision forte sur la réalisation de projets socialement engagés. J’aime vraiment travailler sur ce type de drames parce que je pense que nous avons de grandes responsabilités, dans notre choix, dans ce que nous voulons dire », souligne-t-elle. « Je ne suis pas seulement comédienne. Si je peux changer – ou si le film peut changer – la vision d’une personne au sujet de qui nous sommes et de la richesse de notre patrimoine, c’est déjà énorme. »
Traduit de l'anglais (original) par Monique Gire.
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