Algérie : nouvelles menaces sur une industrie du cinéma déjà asphyxiée
Lundi 4 mars, le Parlement algérien a adopté une nouvelle loi sur l’industrie cinématographique. Ce texte doit, selon la ministre de la Culture et des Arts, Soraya Mouloudji, permettre de réunir « les conditions idoines pour le lancement d’une véritable industrie cinématographique basée sur l’encouragement de l’investissement et la libération des initiatives en vue de faire de l’Algérie un pôle régional et international de production et de tournage cinématographique ».
Lors des discussions autour de ce texte, des députés ont salué les dispositions pénales renforcées contre les « atteintes aux constantes nationales » (la guerre de libération de 1954-62, l’islam, la morale).
« Le cinéma algérien nous a honteusement représentés à l’étranger : on y montre la drogue, les prostituées… C’est cela la réalité de l’Algérie ?! », s’est par exemple exclamé un député.
Plusieurs cinéastes ont exprimé leur abattement après le vote de cette loi tant attendue par les professionnels du septième art.
Le texte prévoit notamment un à trois ans de prison ferme pour « quiconque exerce ou finance les activités de production, prise de vues, distribution ou exploitation des films cinématographiques contraires […] aux valeurs et constantes nationales, à la religion islamique et aux autres religions, à la souveraineté nationale, à l’unité nationale, à l’unité du territoire national et aux intérêts suprêmes de la nation, aux principes de la révolution du 1er novembre 1954, à la dignité des personnes » ou incite « à la discrimination et aux discours de haine ».
« Cette loi est une honte », s’étrangle la cinéaste Sofia Djama sur les réseaux sociaux. « Elle est bien loin de ce que nous avions revendiqué lors des assises. Ces mêmes assises, qui en fin de compte, n’ont servi qu’à nous faire venir et nous utiliser pour donner de la légitimité à un projet qui est contre nous, contre le cinéma, mais également contre toutes les expressions artistiques et le droit à la liberté d’expression et de création. »
« Un code pénal »
Le ministère de la Culture avait organisé des assises nationales et régionales autour de cette loi avec des cinéastes en avril 2023, à la suite du retoquage du projet de loi par la présidence de la République deux mois auparavant.
Il y a quelques semaines, le réalisateur et producteur Bachir Derraïs, qui s’était procuré le projet de loi, avait commenté : « Ce n’est pas un projet de relance cinématographique, mais un code pénal inspiré de la charia islamique, rédigé par un gendarme et un imam. » Le nouveau texte prévoit même la création de « contrôleurs et d’inspecteurs du cinéma », là encore une disposition inédite.
Ce n’est pas la première fois que le politique tente de faire pression sur le cinéma en Algérie. Depuis une loi adoptée en 2011, les productions traitant de la guerre de libération sont soumises « à l’approbation préalable du gouvernement ».
En 2018, des professionnels du cinéma avaient publié un texte, « Déclaration de cinéastes », pour dénoncer « les pressions et la censure ». Les autorités avaient suspendu un festival emblématique pour les jeunes réalisateurs, les Rencontres cinématographiques de Béjaïa (RCB), en mettant en cause la projection d’un film traitant de la contestation sociale, Fragments de rêves, de Bahia Bencheikh El Fegoun.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].