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Le cinéma algérien, star montante des festivals internationaux

À peine sortis des ténèbres de la décennie noire, les cinéastes algériens racontent enfin à l’écran leurs histoires, acclamées dans le monde entier
Les cinéastes algériens Damien Ounouri et Adila Bendimerad Ounouri ont coécrit le court métrage de 40 minutes, Kindil el Bahr (Eric Catarina)

« Chaque fois qu’est réalisé un film algérien, c’est une victoire pour chacun d’entre nous », explique à Middle East Eye Damien Ounouri, 35 ans, réalisateur franco-algérien.

Ounouri fait partie d’une nouvelle génération de cinéastes algériens dont l’œuvre commence à être reconnue et qui font découvrir le cinéma algérien à un public international plus large.

« Quand je vois Les Bienheureux, de Sofia Djama, au festival du film de Venise ou En attendant les hirondelles, de Karim Moussaoui à Cannes, je suis content. Il y a de la place pour tout le monde », assure-t-il.

Il existe un tout nouveau cru de longs-métrages, documentaires et courts-métrages algériens – des dizaines de films en 16 et 35 mm –largement diffusés à l’étranger.

Sofia Djama a débuté sa carrière cinématographique en 2012 en écrivant et en réalisant deux courts métrages, avant d’écrire le scénario des Bienheureux, son premier long métrage (Eric Catarina)

Jacques Choukroun, de la société de distribution Les Films des deux rives, à Montpellier (France) distribue des films issus de plus de vingt pays. Il raconte à MEE avoir assisté à la spectaculaire augmentation du nombre de films algériens sur la scène internationale.

« J’ai toujours rêvé que les Algériens, l’Algérie, notre façon de voir le monde – de rire, tout ça – soient mondialement reconnus », confie à MEE l’acteur-réalisateur Lyes Salem.

« J’ai toujours rêvé que les Algériens, l’Algérie, notre façon de voir le monde – de rire, tout – sont mondialement reconnus »

- Lyes Salem, comédien-réalisateur

De jeunes cinéastes algériens comme Sofia Djama et Karim Moussaoui sont présents à Venise, Cannes et dans de nombreux autres festivals de cinéma dans le monde entier.

Née à Oran, ville portuaire de l’ouest algérien, Sofia, réalisatrice de 38 ans, a grandi à Béjaïa (en Kabylie) avant de s’installer à Alger, où elle s’est lancée dans l’écriture de nouvelles. Elle entame sa carrière cinématographique en 2012, en écrivant et en réalisant deux courts métrages, avant d’écrire le scénario des Bienheureux en 2017. Son premier long métrage sortira en France en décembre.

« Je vis un pied à Paris et l’autre à Alger, et je suis très heureuse de me partager ainsi entre deux pays, deux villes que j’aime », confie-t-elle.

Le film se déroule en 2008, à Alger, après la guerre civile, il plonge dans les vestiges cruels de l’échec de la démocratie, à travers les yeux d’un couple d’âge mûr, Samir et Amal, dont les idéaux sont différents de ceux de leur fils, Fahim.

Amal souhaite que son fils parte étudier en France pour profiter de meilleures opportunités, mais Fahim est très heureux de vivre en Algérie avec ses amis. Alors que le couple fête son vingtième anniversaire, le ressentiment d’Amal envers ce qu’elle estime une patrie sans avenir est palpable. Sa jeune star, Lyna Khoudri, a remporté le prix de la meilleure actrice au festival du film de Venise en 2017.

Le film de Karim Moussaoui, En attendant les hirondelles, a été présenté cette année à Cannes et sera diffusé en Europe en novembre. Ce film est un drame, où les principaux personnages peinent à se libérer de l’ombre de ce qu’on appelle « la décennie noire » – années de violences qui ont suivi l’annulation, par le gouvernement, soutenu par l’armée, des élections législatives en 1992, que le parti du Front islamique du salut (FIS) aurait remportées. Résultat : une guerre civile, qui a fait environ 200 000 morts.

À LIRE : Le cinéma algérien et tunisien, outsiders à Cannes

La détérioration de l’économie et la contraction des financements ont provoqué le déclin brutal de l’industrie cinématographique algérienne, avant même la guerre civile : la principale école de cinéma du pays fut en effet fermée dans les années 1970.

« L’Algérie a fait de moi un cinéaste, et pourtant, mon pays n’a pas d’école du septième art », admet Karim Moussaoui. De nombreux cinéastes algériens à son image ou comme Lyes Salem ont, faute de mieux, fondé et fréquenté des ciné-clubs, solution alternative pour découvrir le cinéma et rencontrer d’autres cinéastes.

Le festival international du film de Dubaï (du 6 au 13 décembre), accueillera Les Bienheureux et En attendant les hirondelles, ainsi que Jusqu’à la fin des temps, de Yasmine Chouikh, une réalisatrice et écrivaine algérienne qui présentera sa première œuvre. Son film raconte l’histoire d’une veuve de 60 ans, Johar, qui décide d’organiser ses propres funérailles. Pourtant, lorsqu’elle se rend au cimetière pour préparer son dernier voyage, elle se met à éprouver des sentiments pour Ali, un fossoyeur de 70 ans.

« Je suis le fils d’un couple mixte. J’ai donc cette double réalité, Algérie-France, islam-christianisme, occidental-nord-africain, avec laquelle j’ai toujours vécu »

- Lyes Salem, comédien-réalisateur

Damien Ounouri a coécrit un court métrage de 40 minutes, Kindil el Bahr (2016) mettant en scène la mort d’une mère, Nfissa, qui va se baigner seule dans la mer, où elle est lynchée et noyée par un groupe d’hommes. Le film devient alors un conte fantastique : Nfissa réapparaît sous la forme d’une sorte de sirène macabre qui terrorise la ville où elle a trouvé la mort.

Damien et Adila Bendimerad, qui a co-écrit le scénario avec lui et qui tient également le rôle principal de Nfissa – ont basé leur intrigue sur les Métamorphoses du célèbre poète romain, Ovide, ainsi que sur un crime odieux perpétré en Afghanistan, il y a quelques années.

« Pour nous, l’origine de l’histoire était une combinaison des Métamorphoses d’Ovide et du lynchage de Farkhunda en Afghanistan. C’était une femme pieuse, accusée à tort d’avoir brûlé un Coran, et elle est mise à mort par une foule d’hommes en colère, en 2015. On n’a jamais eu à déplorer ce genre de violence en Algérie », concède Damien Ounouri, « mais cela aurait aussi bien pu arriver dans notre pays. » Pour filmer Kindil el Bahr en Algérie, Damien Ounouri et Adila Bendimerad ont été financés par le ministère de la Culture et des sponsors privés.

Kindil el Bahr et Jusqu’à la fin des temps ont été présentés le mois dernier, à la 39e édition du festival Cinemed, dans le sud de la France. Près d’un tiers des films présentés cette année étaient algériens, à côté de films marocains, tunisiens, turcs, libanais, italiens, français et espagnols.

« Quand les mots viennent à manquer – quand on a du mal à parler de ce qu’on vient de vivre en Algérie – alors le cinéma entre en scène »

- Amel Blidi, réalisatrice

Cinemed fut lancé en 1979 par les cinéphiles d’un ciné-club de Montpellier. Depuis quatre décennies, le festival présente des films du pourtour méditerranéen.

La communauté internationale est en train de prendre acte de la production cinématographique algérienne depuis la fin officielle de la décennie Noire – avec la Charte pour la paix et la réconciliation nationale en 2005, offre gouvernementale d’amnistie partielle en faveur des combattants ayant pris part à la guerre civile.

Conte algérien

Plusieurs réalisateurs affirment être devenus cinéastes parce qu’ils ressentaient un besoin presque irrépressible de partager avec le monde entier des histoires algériennes. La réalisatrice Amel Blidi était journaliste à El Watan depuis plus d’une décennie quand elle a découvert, à Alger, l’association cinématographique Cinéma et Mémoire.

Avec l’aide de l’association, Amel Blidi a consacré quatorze mois à étudier le cinéma documentaire, avant de tourner son premier court-métrage documentaire Demain sera un autre jour (2013). Son deuxième film, À l’ombre des mots (2016), traite de la communauté des sourds-muets d’Alger.

https://www.youtube.com/watch?v=-5ePIBp09aA

« J’ai la conviction que si cette nouvelle vague a émergé après les années 1990, ce n’est pas fortuit. Nous avons survécu à des temps longs et difficiles. Nous devons maintenant nous parler les uns aux autres, sortir de notre silence et de cette atmosphère de répression. Quand on ne trouve plus les mots – quand il est difficile de parler de ce qu’on vient de vivre en Algérie – alors le cinéma entre en scène », explique Amel Blidi.

Né en 1973 à Alger, Lyes Salem, acteur-réalisateur franco-algérien, y a grandi jusqu’à son entrée au lycée, année où ses parents l’ont emmené en France pour raisons familiales. Il entre alors dans la prestigieuse académie d’art dramatique du Conservatoire de Paris où il étudie le théâtre classique, dont Molière et Shakespeare.

« Je ne sens plus, comme auparavant, la même curiosité, le même intérêt des autres pour la culture algérienne »

- Lyes Salem, comédien-réalisateur

« Je suis le fils d’un couple mixte. J’ai donc cette double réalité, Algérie-France, islam-christianisme, occidental-nord-africain, avec laquelle j’ai toujours vécu. Et mes familles ont toujours valorisé cette double culture. Ainsi, même lorsqu’on essaie de m’étiqueter en m’enfermant dans telle ou telle identité, j’ai tendance à vouloir m’échapper de ce classement », témoigne-t-il.

Lyes Salem, comédien-réalisateur franco-algérien, a fait ses études au Conservatoire d’art dramatique de Paris (Eric Catarina)

Salem a commencé à écrire quand sa famille et lui sont retournés à Alger, au milieu des années 1990, au début de la décennie Noire. « Je me suis dit : ‘’Je ne peux pas rester assis à ne rien faire’’. Alors je me suis mis à l’écriture ».

Salem a écrit et réalisé trois courts-métrages et deux longs-métrages – les plus récents étant Mascarades et L’Oranais. Il a également joué dans des films, Munich (de Steven Spielberg) et dans Rock the Casbah, de la cinéaste marocaine Laïla Marrakchi, avec la star égyptienne Omar Sharif. En mars 2018, il jouera à Paris dans la pièce « Mille francs de récompense », de Victor Hugo.

Développer la compréhension

« Jusqu’à tout récemment, je pensais que je pouvais aider les autres à profiter de mon double sentiment d’appartenance à un côté et à l’autre de la Méditerranée. Sur le plan artistique, j’ai surtout inclus dans mes films des éléments émotionnels et des personnages qui encouragent les gens à s’apprécier – sinon à se comprendre dans le respect mutuel. J’ai toujours pensé, encore aujourd’hui, que les gens comme moi peuvent contribuer à une plus grande compréhension entre les gens et à briser les préjugés », ajoute-t-il.

« C’est pourquoi, lorsqu’on essaie de m’étiqueter en m’enfermant dans telle ou telle identité, j’ai tendance à vouloir m’échapper de ce classement »

- Lyes Salem, comédien-réalisateur

Salem affirme que les récents agressions et attentats en France, ajoutés à des difficultés économiques, ont eu un impact négatif sur les cinéastes algériens.

« Je ne sens plus comme auparavant la même curiosité, le même intérêt des autres pays pour la culture algérienne. C’est le piège dans lequel nous ont enfermés les terroristes. Mais c’est aussi le fruit amer d’une réalité économique, de plus en plus dure, qui engendre la grande médiocrité de la classe politique, elle qui prend les décisions. Je parle de ceux qui financent le cinéma », relève-t-il avant de conclure : « Mais je ne perds pas espoir, je m’accroche. »

Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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