Al-Islah dénonce la campagne d’assassinats menée par les Émirats au Yémen
SANAA, Yémen – Ils sont censés être dans le même camp.
Depuis 2015, la branche yéménite des Frères musulmans al-Islah et les Émirats arabes unis combattent les rebelles houthis afin de soutenir le gouvernement reconnu au niveau international du président Abdrabbo Mansour Hadi.
Buzzfeed a pourtant révélé ce mardi que les Émiratis avaient engagé une équipe de mercenaires américains et israéliens pour assassiner des dirigeants d’al-Islah, ce qui a suscité la colère du parti, influent, et exposé la présence émiratie au Yémen à de vives critiques.
Cela a également placé l’Arabie saoudite, qui dirige une coalition contre les Houthis et qui est étroitement alliée à al-Islah comme aux Émiratis, dans une position extrêmement inconfortable.
« Bien que l’objectif annoncé des Émirats au Yémen soit de soutenir le gouvernement légitime, il combat cette légitimité de toutes ses forces », relève pour Middle East Eye Issa Qadhi, membre d’al-Islah à Ta’izz.
« L’Arabie saoudite dirige la coalition, comment peut-elle donc garder le silence face aux violations commises par les Émirats arabes unis au Yémen ? »
– Mohammed Abdulwadood, membre d’al-Islah
Au lieu d’accorder la priorité à la défaite des rebelles houthis alliés à l’Iran, « les Émirats arabes unis ont fait de la destruction du parti al-Islah le premier objectif de leur présence au Yémen », souligne Qadhi.
« Les Émirats sont prêts à détruire tout le pays et à faire venir des mercenaires du monde entier pour anéantir al-Islah. Les Émirats sont rusés, mais Dieu n’aide pas les rusés à réussir. »
Des questions pour Riyad
Comme l’Arabie saoudite, Abou Dabi considère depuis longtemps les Frères musulmans comme des ennemis. Cependant, Riyad entretient des liens depuis plusieurs décennies avec al-Islah, le parti ayant été un client efficace tout au long des vingt années de règne d’Ali Abdallah Saleh à la tête d’un Yémen uni.
Ensemble, les Saoudiens, les Émiratis et les membres d’al-Islah ont joué un rôle déterminant dans la prise d’Aden et de ses environs aux rebelles houthis et l’obtention d’un ancrage stratégique dans le pays à la mi-2015.
Depuis lors, toutefois, les relations entre les Émirats arabes unis et al-Islah se sont considérablement détériorées. En octobre 2017, des affrontements ont éclaté dans la ville méridionale d’Aden entre les partisans d’al-Islah et des milices agissant pour le compte des Émiratis.
En août, la branche d’al-Islah à Aden a publié une déclaration accusant des « milices » non identifiées de cibler le groupe depuis le début de la guerre en mars 2015.
La déclaration mentionnait notamment l’assassinat de neuf dirigeants d’al-Islah, l’arrestation arbitraire de quatre autres, des descentes au siège du parti effectuées à au moins cinq reprises et quatre descentes aux domiciles de dirigeants d’al-Islah à Aden.
À l’époque, al-Islah avait accusé les forces de la « Ceinture de sécurité » à Aden, soutenues par les Émirats arabes unis, d’être à l’origine des descentes et des arrestations, mais pas des assassinats.
Désormais, d’après les révélations, les Émirats arabes unis auraient ordonné à une équipe de mercenaires américains et israéliens d’assassiner Anssaf Ali Mayo, membre d’al-Islah – ainsi que tous ceux qui se trouvaient dans le bureau visé, selon l’un des mercenaires. Le parti se demande pourquoi son patron à Riyad laisse les assassinats se produire.
« L’Arabie saoudite dirige la coalition, comment peut-elle donc garder le silence face aux violations commises par les Émirats arabes unis au Yémen ? », se demande Mohammed Abdulwadood, membre d’al-Islah, interrogé par MEE. « Je pense que l’Arabie saoudite est satisfaite des violations commises par les Émiratis. »
« Je crois que [le prince héritier d’Abou Dabi] Mohammed ben Zayed a convaincu [le prince héritier saoudien] Mohammed ben Salmane de combattre les Frères musulmans au Yémen », ajoute-t-il. « Ce dernier approuve toutes les initiatives des Émiratis au Yémen. »
Abdulwadood note qu’al-Islah est le premier parti à se féliciter de l’intervention de la coalition et à condamner l’Arabie saoudite pour son silence à propos de la campagne d’assassinats menée par les Émirats arabes unis.
Des révélations « très dangereuses »
Au cours des trois années écoulées depuis le début de l’intervention des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, la valeur du riyal yéménite a été réduite de moitié et le pays se retrouve au bord d’une famine qui pourrait être la pire que le monde ait connue depuis 100 ans, a averti l’ONU cette semaine.
Avant même les révélations sur la campagne d’assassinats, les Émiratis et les Saoudiens ont pu ressentir une certaine pression dans le sud du Yémen. Des manifestations contre leur présence dans le pays et la détérioration de la situation économique au Yémen ont éclaté dans les villes clés d’Aden et de Ta’izz.
À présent, les Émiratis font face au risque de voir la colère et la méfiance monter d’un cran, en particulier parmi les partisans d’al-Islah.
Abdulla Shoraai, membre du parti, accuse les Émirats arabes unis de « piller » les richesses yéménites et de se servir de leur combat contre les groupes liés aux Frères musulmans comme d’un prétexte pour contrôler les ports et les aéroports yéménites. « Tout cela n’est que la partie émergée de l’iceberg. »
Selon l’analyste politique yéménite Nabil al-Bukiri, les révélations de Buzzfeed sont « très dangereuses ».
« [Ce reportage] apporte des preuves concrètes de l’implication des Émirats dans le soutien à une cellule d’assassins comprenant des Israéliens et des Américains et visant à tuer les chefs de la résistance, des dirigeants politiques et religieux à Aden », a-t-il écrit sur Facebook.
« Cet article nécessite une enquête internationale urgente afin de révéler plus d’informations et de les envoyer à la Cour pénale internationale pour qu’elle ouvre une enquête pour crimes de guerre. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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