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Air Algérie : comment la compagnie compte redécoller

La plus critiquée des entreprises publiques algériennes, affaiblie par deux ans de pandémie, fait l’objet d’un nouveau plan de développement. Davantage d’avions, de destinations, de filiales : les autorités veulent en faire un bras économique et diplomatique en Afrique
Air Algérie a décidé de renforcer sa flotte, composée de 56 avions dont deux cargos d’une moyenne d’âge de quinze ans (AFP/Philippe Huguen)
Air Algérie a décidé de renforcer sa flotte, composée de 56 avions dont deux cargos d’une moyenne d’âge de quinze ans (AFP/Philippe Huguen)
Par Ali Boukhlef à ALGER, Algérie

Lorsqu’il a visité, jeudi 29 septembre, le Salon international du tourisme et des voyages (SITEV) d’Alger, le Premier ministre algérien, Aymen ben Abderrahmane, a réservé une attention particulière à Air Algérie.

Sur le stand de la compagnie aérienne publique, il a demandé aux responsables d’augmenter « le nombre de vols et lignes aériennes vers différents pays du monde en assurant des services de qualité à des prix compétitifs pour contribuer à la promotion de la destination touristique Algérie ». La démarche du chef du gouvernement envers la société publique algérienne n’est pas circonstancielle : depuis plusieurs mois, Air Algérie fait l’objet d’une attention toute particulière de la part des autorités.

À commencer par le président Abdelmadjid Tebboune, qui veut en faire un des instruments de la politique étrangère du pays, notamment à destination de plusieurs capitales africaines qui n’étaient plus reliées à Alger depuis de longues années.

Durant l’été, il a notamment annoncé l’ouverture de lignes aériennes entre la capitale algérienne et Johannesburg, Addis-Abeba, Luanda et Brazzaville. Une liaison est également prévue entre l’aéroport algérois et celui de Caracas, capitale du Venezuela.

Il s’agit pour le chef de l’État de renforcer les liens diplomatiques avec certains de ces pays et sans doute d’étendre son influence dans des régions où l’Algérie était absente et où… le Maroc est devenu ces dernières années beaucoup plus offensif.

Une desserte vers Doha

Mais l’ambition des autorités algériennes a buté sur une réalité : Air Algérie était, jusqu’au début de l’été, sous le feu des critiques. En cause : des retards devenus récurrents, un service à bord décrié, des troubles sociaux incessants et un personnel pléthorique accusé de paralyser toute possibilité de développement.

Pour ne rien arranger, la compagnie a aussi été éclaboussée par une série de scandales liés à des migrants clandestins ayant réussi à se cacher dans la soute de certains avions. Certains ont survécu, mais d’autres ont été retrouvés morts.

Pour redresser la situation, le chef de l’État a décidé, en juin, de nommer un nouveau président-directeur général à la tête de la compagnie. Il a porté son dévolu sur Yacine Benslimane, un quadragénaire, ancien élève de l’école de l’aviation de Toulouse (France).

« Le président a demandé à tous les responsables de laisser travailler le nouveau PDG », a indiqué une source du secteur à Middle East Eye. Cette mise au point était nécessaire parce qu’au sein de la compagnie, les responsables subissaient souvent des pressions de plusieurs centres de décision au sein des appareils de l’État. Mais depuis l’arrivée de Yacine Benslimane, « ces pratiques ont cessé », témoigne un cadre de la compagnie, rencontré en août à Alger.

Moins de deux mois après sa nomination, le nouveau président a lancé une desserte vers Doha, la capitale du Qatar.

Ce fut une occasion pour lui d’annoncer les priorités de sa société. « Aujourd’hui, la compagnie Air Algérie change de stratégie », a-t-il assuré. « Elle opérait dans le passé selon une logique de transport des passagers dans le cadre du point à point, c’est-à-dire d’une ville vers une autre, mais nous allons basculer graduellement vers un trafic de transit, où on va aller chercher du trafic passagers partout dans le monde pour d’autres destinations en Afrique, vers l’Europe, l’Asie ou le Moyen-Orient ».

Dans la foulée de la ligne Alger-Doha, qui permettra « d’ouvrir à Air Algérie l’Asie et l’Asie du Sud », selon les explications du chargé de communication Amine Andaloussi à MEE, d’autres vols ont été ouverts ou sont en train de l’être.

Doté d’une nouvelle aérogare capable d’accueillir plus de 11 millions de voyageurs par an, qui s’ajoute à l’ancienne d’une capacité de 5 millions de passagers, l’aéroport international d’Alger n’est actuellement que partiellement exploité (AFP/Farouk Batiche)
Doté d’une nouvelle aérogare capable d’accueillir plus de 11 millions de voyageurs par an, qui s’ajoute à l’ancienne d’une capacité de 5 millions de passagers, l’aéroport international d’Alger n’est actuellement que partiellement exploité (AFP/Farouk Batiche)

« Pour certaines destinations, notamment en Afrique, il s’agit d’une réouverture. Mais d’autres sont de nouvelles dessertes qui nous permettront de nous repositionner sur le continent et au-delà », assure-t-il.

Selon lui, après plus de deux ans d’activités ralenties, notamment en raison de la crise sanitaire liée au covid-19, la compagnie publique a « besoin de chercher de nouveaux marchés », autres que ses destinations classiques que sont notamment les pays du pourtour méditerranéen et plus particulièrement la France.

La compagnie ne vise pas des gains immédiats, mais mise sur le long terme. « C’est un choix stratégique qui nous permettra de connecter l’Afrique à l’Europe via Alger », confie encore Amine Andaloussi, qui rappelle que les autorités algériennes ont l’ambition de faire de l’aéroport Alger-Houari-Boumédiène un hub régional.

Doté d’une nouvelle aérogare capable d’accueillir plus de 11 millions de voyageurs par an, qui s’ajoute à l’ancienne d’une capacité de 5 millions de passagers, l’enceinte aéroportuaire n’est actuellement que partiellement exploitée.

Campagne marketing agressive

Pour concrétiser cet ambitieux projet, Air Algérie a décidé de renforcer sa flotte, composée de 56 avions dont deux cargos d’une moyenne d’âge de quinze ans.

Elle a lancé une consultation internationale pour l’acquisition de quinze nouveaux aéronefs moyens et longs courriers. Habituellement, la compagnie s’approvisionne chez Boeing et Airbus.

En plus d’acquérir une nouvelle flotte, la société projette de se filialiser. Elle dispose déjà d’une filière maintenance performante qui deviendra prochainement une société autonome, et d’une filiale catering.

Mais selon Amine Andaloussi, les dirigeants de la compagnie comptent créer une société handling (assistance au sol), un secteur dans lequel Air Algérie ne brille pas jusqu’à présent.

Tous ces projets sont portés par une campagne marketing agressive lancée depuis quelques semaines, une pratique inhabituelle chez cette entreprise, l’une des rares au monde à garder encore des bureaux ouverts un peu partout sur la planète malgré un effort de digitalisation visible.

Constituée de capitaux exclusivement étatiques, Air Algérie emploie 7 850 salariés, un chiffre très élevé rapporté à la flotte en exploitation, selon différents économistes.

Son principal marché est l’Europe, qu’elle partage avec de grandes compagnies du Vieux Continent, en raison notamment du principe de réciprocité qui fait que pour chaque vol accordé à destination d’une capitale européenne pour Air Algérie, l’Algérie devra accorder un nombre de vols équivalent aux compagnies des pays concernés, comme l’exige l’Organisation de l’aviation civile internationale.

En interne, elle partage un marché avec une autre société étatique, Tassili Airlines. Depuis son indépendance en 1962, l’Algérie n’a toléré qu’une seule compagnie privée sur son sol, Khalifa Airways, dissoute en 2005 alors que son patron, Abdelmoumen Khalifa, est incarcéré pour des affaires de corruption.

La loi de finances 2022 permet à nouveau la création de sociétés privées de transport aérien. Pour l’heure, seize agréments ont été accordés à des opérateurs privés, mais aucun n’a encore commencé à travailler.

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