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Difficultés de réservation et billets hors de prix : « C’est devenu un luxe de partir en Algérie »

Beaucoup d’Algériens résidant en France ne sont pas retournés dans leur pays natal depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020. Aujourd’hui, le nombre limité de liaisons aériennes et maritimes et leur coût très élevé créent tensions et crispations
Un ferry transportant des Algériens depuis la France se prépare à accoster à Alger le 19 mars 2020 au début de l’épidémie de coronavirus (AFP/Ryad Kramdi)
Par Samia Lokmane à PARIS, France

Meziane se montre très enthousiaste à l’idée de partir enfin en Algérie cet été avec sa femme et ses deux enfants. Pourtant, son voyage a un coût, et pas des moindres : il a dû sacrifier une partie de son épargne pour régler le prix de la traversée en bateau jusqu’à Alger.

Ainsi, pour financer son trajet aller-retour avec son véhicule personnel depuis la région parisienne, le Franco-Algérien a dû débourser près de 2 900 euros, soit presque le double de son salaire mensuel de manutentionnaire. Mais il relativise, pestant surtout contre la pandémie de covid-19 qui a mis de la distance entre lui et les siens installés de l’autre côté de la Méditerranée.

« Cela fait trois ans que je n’ai pas vu mon pays. Mes parents n’ont pas eu encore l’occasion de rencontrer mon deuxième fils qui vient d’avoir un an. Quant au prix, ce n’est pas grave. L’argent, ça part et ça revient. L’essentiel est de garder sa santé pour continuer à travailler », explique-t-il sagement à Middle East Eye.

Les traversées maritimes prises d’assaut

Pour acheter ses billets, il a dû s’armer de patience : depuis l’annonce à la mi-mai de la reprise des dessertes maritimes quotidiennement depuis la France – interrompues en mars 2020 –, la page internet d’Algérie Ferries a été mise en difficulté par d’innombrables visites.

« J’ai assisté à des scènes hallucinantes avec des gens qui se bousculaient pour entrer dans les locaux. Certains en sont venus aux mains alors la police est intervenue »

- Meziane, Franco-Algérien vivant à Paris

À Paris et à Marseille, les points de vente de la compagnie ont été pris d’assaut par les clients, si bien qu’ils ont dû fermer momentanément l’accès à la clientèle pour protéger leurs employés et préserver l’ordre public.

« J’ai assisté à des scènes hallucinantes avec des gens qui se bousculaient pour entrer dans les locaux. Certains en sont venus aux mains alors la police est intervenue », raconte Meziane, qui s’était rendu le 18 mai à l’agence d’Algérie Ferries, située dans le 2e arrondissement de la capitale. Face à la cohue, il avait ensuite décidé de se rabattre sur internet.

Les images des longues files d’attente sur le trottoir ont fait le tour des médias algériens.

« Beaucoup de personnes avaient les nerfs à vif. Quelques-uns avaient passé une partie de la nuit devant l’agence pour éviter l’attente. De fatigue, un homme avait déplié un carton pour s’allonger dessus », décrit Meziane.

La très coûteuse alternative aérienne

Du côté du transport aérien, la situation n’est guère meilleure.

Rabha, qui doit se rendre en Algérie le 15 juin prochain pour le mariage de sa nièce, est parvenue à échanger un billet acquis en promotion en 2019 avant la crise sanitaire, monnayant un supplément.

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« J’étais d’abord en colère quand j’ai su que je devais rajouter de l’argent. Mais je me fais une raison en pensant à tous les Algériens qui n’ont pas encore la possibilité de partir », explique la vieille dame de 70 ans à MEE.

Anticipant l’attente devant l’agence d’Air Algérie, elle dit avoir pris avec elle une chaise pliable sur laquelle elle s’est installée, à même le trottoir, en attendant de pouvoir pénétrer dans les locaux de l’agence.

« Les employés étaient courtois. Mais on voyait bien qu’ils étaient dépassés. Quand je me suis plainte de la cherté des billets, un agent s’en est presque excusé en me disant qu’il n’y pouvait rien et que les décisions étaient prises à Alger », raconte Rabha.

Un rapide coup d’œil aux sites de réservation en ligne suffit à se faire une idée des prix très élevés pratiqués par les compagnies aériennes comme Air Algérie, Air France et sa filiale Transavia : actuellement, le coût moyen d’un aller-retour entre Paris et Alger plafonne autour de 500 euros.

Un nivellement par le haut également favorisé par une reprise très partielle du trafic aérien sur le réseau international : à partir de juin 2021, le gouvernement algérien a limité le nombre de liaisons à trois vols par semaine entre Alger et Paris, et Alger et Marseille.

« Toute cette histoire de vols a été gérée de manière approximative. Aucune communication à l’adresse de la communauté algérienne à l’étranger n’a été réalisée »

- Jugurtha Ayad, responsable associatif

Avant cette date, seuls les vols de rapatriement des ressortissants algériens bloqués en France ou dans d’autres pays comme la Turquie étaient autorisés, avant d’être suspendus en mars 2021 à cause de la propagation du variant Delta en Europe.

Un arrêt total qui avait eu un écho retentissant, notamment avec le blocage pendant un mois et demi d’une vingtaine d’Algériens dans la zone internationale de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ; venu de Londres, le groupe avait été empêché de prendre un vol pour Alger.

Aujourd’hui, ces crispations se répandent comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux. Sur le groupe Facebook Les Algériens dans le monde, les posts sont parfois tragiques, parfois comiques.

Dans une parodie, l’humoriste Houria les yeux verts s’est approprié l’air d’une célèbre chanson de raï pour moquer la cherté et la rareté des billets d’avion. « Le billet est trop cher. À ce prix, on peut aller en Australie », fredonne-t-elle dans un clip.

D’autres personnes ont posté des photos d’autres pays où ils ont choisi de passer leurs vacances.

« Partir en Algérie est devenu un luxe. Les places sont rares et les prix sont inabordables pour la plupart des familles, les étudiants et les chibanis [les travailleurs immigrés aujourd’hui à la retraite] », déplore auprès de Middle East Eye Jugurtha Ayad, président de l’Adraa (Algériens des deux rives et de leurs amis), une association d’aide aux émigrés algériens en situation de précarité en France.

Le responsable associatif évoque par ailleurs les moments très pénibles qu’ont vécus beaucoup d’Algériens empêchés de se rendre en Algérie auprès de proches malades ou pour assister à des funérailles.

« Toute cette histoire de vols a été gérée de manière approximative. Aucune communication à l’adresse de la communauté algérienne à l’étranger n’a été réalisée », regrette-t-il.

Le président algérien se saisit de l’affaire

Face à l’ampleur de la pagaille, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a demandé aux compagnies de transport de mettre en œuvre rapidement des solutions afin de renforcer les dessertes aériennes et maritimes pendant la saison estivale.

En conséquence, Algérie Ferries, qui avait annoncé dans un premier temps une seule rotation hebdomadaire entre Marseille et Alger, devra en assurer sept par semaine.

« Nos concitoyens ont été malmenés. Les personnels des agences qui ont eu à gérer l’afflux des clients se sont retrouvés eux-mêmes en grande difficulté. Tout cela n’est pas normal » 

- Zoheir Rouis, du parti algérien Jil Jadid

De son côté, Air Algérie et sa filiale Tassili Airlines vont proposer plus d’une centaine de vols hebdomadaires depuis la France.

En attendant le début des ventes de billets pour la saison estivale sur internet, des clients téméraires font la queue tous les jours devant l’agence d’Air Algérie, dans le quartier de l’Opéra à Paris, en espérant pouvoir acquérir une place d’avion.

Zoheir Rouis, vice-président de la section Europe du parti algérien d’opposition Jil Jadid, reproche aux autorités de manquer d’anticipation et d’organisation.

« Au lieu de commencer par ouvrir les réservations en ligne, Algérie Ferries par exemple a obligé les clients à se rendre dans les agences, ce qui a donné lieu à des scènes de bousculades dégradantes et déshonorantes pour l’Algérie. Nos concitoyens ont été malmenés. Les personnels des agences qui ont eu à gérer l’afflux des clients se sont retrouvés eux-mêmes en grande difficulté. Tout cela n’est pas normal », explique le responsable de Jil Jadid.

« Les ministères concernés comme les responsables des entreprises de transport auraient dû gérer la situation autrement, avec plus de fluidité, car nous ne sommes plus dans le contexte des restrictions imposées par la crise sanitaire. La situation est devenue si tendue qu’elle a dû être traitée en Conseil des ministres sur demande du président de la République. Ce qui est complètement inédit. »

Depuis le début de la crise sanitaire, l’Algérie a changé deux fois de ministre des Transports et des responsables d’Air Algérie ont été également limogés.

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