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Voter ou bouder les urnes : à Alger, les législatives font débat

Voter pour essayer de faire changer les choses ou s’abstenir pour protester contre leurs conditions de vie ou les atteintes aux libertés : les Algérois ont déjà un avis tranché sur leur participation aux législatives qui se tiennent ce samedi
Quelque 24 millions d’Algériens sont appelés à élire les 407 députés de l’Assemblée populaire nationale pour un mandat de cinq ans. Ils doivent choisir parmi plus de 2 200 listes, dont plus de la moitié s’affichent comme « indépendantes » (AFP/Ryad Kramdi)
Quelque 24 millions d’Algériens sont appelés à élire les 407 députés de l’Assemblée populaire nationale pour un mandat de cinq ans. Ils doivent choisir parmi plus de 2 200 listes, dont plus de la moitié s’affichent comme « indépendantes » (AFP/Ryad Kramdi)
Par Zohra Souamès à ALGER, Algérie

Dans les rues du centre d’Alger, l’ambiance est celle d’un début d’été. Les boutiques de prêt-à-porter affichent les nouvelles collections et les terrasses des cafés sont pleines. On y croise aussi des panneaux électoraux où les nombreuses affiches présentent les candidats avec leur nom, leur fonction et même parfois la nature de leur diplôme. 

Pas moins de 1 080 listes de partis et 1 208 listes indépendantes ont été validées dans tout le pays pour ce scrutin visant à élire les 407 nouveaux députés de l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement) pour un mandat de cinq ans.

Certains passants y jettent un regard furtif, sans grand intérêt, et d’autres s’attardent plus longtemps, peut-être captés par les slogans : « L’opportunité du changement », « Pour une Algérie juste », « Choisis l’Algérie », « Ta voix, ton avenir », etc.

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Hakim, la quarantaine, avoue d’emblée qu’il ne s’est « jamais intéressé » au scrutin. « Dans ma famille, nous sommes abstentionnistes de père en fils », indique-t-il, amusé, à Middle East Eye

« Mais la tendance pourrait s’inverser. Pour la première fois, j’ai suivi la campagne électorale. Je suis certains candidats sur les réseaux, particulièrement les jeunes. Les programmes sont intéressants, et j’ai en tête mon candidat ! », précise le quadra sans dévoiler pour autant celui qu’il va choisir.

La participation, en l’absence de sondages d’opinion, est une des grandes inconnues de ce scrutin. « Le taux de participation pourrait être supérieur à celui de 2017 [38,25 %] car les jeunes pourraient davantage participer », estime un proche de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE). 

Les deux derniers rendez-vous électoraux n’avaient pas suscité une grande adhésion : 39,83 % de participation lors de la présidentielle de décembre 2019 et 23,70 % lors du référendum sur la révision de la Constitution en novembre 2020.

« Ces politiques sont loin de nos problèmes ! »

Interrogé sur son intention ou non de voter, un homme d’un certain âge rencontré près de la mosquée al-Rahma, d’abord pris au dépourvu, répond d’un non catégorique. 

« On vote pour le changement et le changement, je n’y crois plus. Regardez cette tente placée au pied de l’immeuble depuis des années. Elle abrite parfois des familles, ou des jeunes sans abri. Chaque matin en sortant de chez moi, je commence ma journée avec cette image. Ça me mine le moral. Alors non, je ne voterai pas, parce que je ne crois plus au changement et la preuve est en bas de chez moi. »

À Bab El Oued, un quartier populaire de la capitale, Rachida, la cinquantaine, déplore une distance sociale entre le peuple et les dirigeants. « Ces politiques sont loin de nos problèmes ! Ils nous promettent la lune alors que nous n’avons même pas le minimum », dénonce-t-elle à MEE.

Des Algériennes marchent devant une station du métro d’Alger, toujours à l’arrêt en raison de la pandémie (AFP/Ryad Kramdi)
Des Algériennes marchent devant une station du métro d’Alger, toujours à l’arrêt en raison de la pandémie (AFP/Ryad Kramdi)

Par « minimum », cette Algéroise entend la disponibilité des transports en commun et l’eau qui coule au robinet. Car depuis plusieurs semaines, l’alimentation en eau potable est fortement perturbée. 

En cause, selon les médias, une pénurie d’eau dans les barrages qui alimentent la ville, causée par la raréfaction des pluies, et des dysfonctionnements à la station de dessalement. 

Les couacs de communication entre le ministère des Ressources en eau et la Société des eaux d’Alger (SEAAL), en charge de la distribution, autour d’annonces de coupures importantes ont fini d’inquiéter les habitants de la capitale.

« Nous subissons des coupures d’eau de plusieurs jours, le métro est à l’arrêt depuis un an, et bien d’autres problèmes viennent compliquer notre quotidien. Et personne ne nous donne aucune explication. Comment voulez-vous que la confiance soit instaurée ? Alors non, je ne voterai pas ! », ajoute-t-elle d’un ton révolté.

Dans la majorité des cas, les Algérois justifient leur refus de voter par des revendications sociales non satisfaites, ce qui, pour certains, empêche le dialogue avec les pouvoirs publics depuis des années. Ils ne rejettent pas la faute sur les candidats aux législatives, mais évoquent une « mauvaise gestion ».

Les dernières semaines ont été marquées par de vives tensions entre les manifestants et les forces de l’ordre lors des vendredis de manifestations du hirak, ce mouvement populaire qui a conduit à la démission de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika. 

Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), qui tient une liste actualisée des arrestations, procès et condamnations de militants dans plusieurs villes d’Algérie, plus de 200 personnes seraient aujourd’hui en détention. 

« Il ne faut pas voir les éléments de la société civile qui votent comme des adversaires. Parmi eux, nombreux sont ceux qui pensent peut-être faire avancer les choses de l’intérieur. Qu’importe si c’est une illusion »

- Farid, 36 ans

« On peut faire abstraction des choses qui nous empêchaient avant d’aller voter, comme le manque de transparence ou encore les programmes [électoraux] coupés de notre réalité quotidienne. Mais aujourd’hui, il est difficile d’aller voter alors qu’on assiste à des emprisonnements et des condamnations », déplore Meriem, 36 ans. 

Pour Farid, retraité, les « atteintes aux libertés » représentent un « motif suffisant d’abstention ».

« Je n’irai pas voter le 12 juin. Je n’ai aucune connaissance des candidatures dans ma circonscription. Au regard de la répression policière et judiciaire, j’aurais pu m’intéresser à des candidats qui proposent de s’opposer aux violations des libertés. Mais ces candidats potentiels appartiennent aux partis et au mouvement de la société civile qui boycottent ces législatives. L’impasse est donc totale », témoigne-t-il à MEE.  

« Je ne m’inscris pas pour autant dans un clivage abstention-participation. Même s’il est vrai que de nombreux partis cautionnent la répression et sont donc en opposition avec mes convictions politiques, je considère qu’il ne faut pas voir les éléments de la société civile qui votent comme des adversaires ». 

« Parmi eux, nombreux sont ceux qui pensent peut-être faire avancer les choses de l’intérieur. Qu’importe si c’est une illusion. L’essentiel est de ne pas condamner l’avenir et de rester ouvert aux évolutions. En résumé, pas de vote et pas de faux clivages. »

Voter blanc, un « refus plus pertinent »

Meriem dit avoir « de tout temps voté ». Pour cette jeune femme, l’abstentionnisme est dangereux. Elle estime que le fait d’aller voter ne signifie pas pour autant cautionner la situation politique actuelle.

« Le problème qui se pose, c’est que de toute façon, ces candidats vont être élus et voteront des lois qu’on n’aura pas choisies, alors je me demande si l’abstention est réellement une solution », confie-t-elle à MEE.

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Pour cette jeune femme, il est important de se saisir de ces élections pour amorcer le changement. 

« Quand on s’engage dans un mouvement pacifiste comme le hirak, on ne peut pas négliger les élections. Si on est des milliers dans la rue, on peut être des milliers de voix dans les urnes. Au lieu de s’abstenir, on votera blanc. Et notre refus sera plus pertinent », précise-elle.

Même s’il dit « ne pas croire aux promesses », Hakim est du même avis : « Je pense qu’on n’a jamais su se comporter avec nos dirigeants. Nous avons essayé la manière frontale ou le désintérêt total. Les deux, à mon avis, ne mènent nulle part. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller voter. Parce que ça me donnera une légitimité pour les juger plus tard. Mais je ne m’arrêterai pas là. Je vais suivre de très près le candidat que je choisirai, et si cette fois-ci, les promesses ne sont pas tenues, j’irai demander des comptes. »

L’entourage de Hakim le pense « naïf », mais lui dit savoir ce qu’il fait. « Ces législatives sont une opportunité pour connaître les intentions de ces politiques. On nous parle d’une nouvelle Algérie qui sacralise les intérêts du citoyen, c’est l’occasion de voir si elle existe vraiment. »

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