Algérie : le procès du général Hassan est avant tout celui du DRS
ALGER – Plus que le procès d’un homme, le procès du général Abdelkader Aït Ouarabi, dit Hassan, qui s’est tenu jeudi à huis clos devant le tribunal militaire d’Oran, fut celui des services secrets algériens, le DRS. L’homme, une figure de la lutte anti-terroriste dans les années 90, patron du Scorat (unité d’élite du renseignement) depuis une quinzaine d’années, a été condamné à cinq ans de prison ferme pour « non respect des consignes » et « destruction de documents militaires ».
Un verdict sévère qui a suscité depuis de violentes réactions, à commencer par celle de son avocat. Malgré le secret du huis clos, Mokrane Aït Larbi a dénoncé les « violations du droit de la défense » et le recours au témoignage d’« un grand trafiquant sous le coup de plusieurs mandats d’arrêt ». L’ex-candidat à la présidentielle et opposant politique Ali Benflis a même parlé d’« épuration politique pour crime de non allégeance ». Louisa Hanoune, la secrétaire générale du Parti des Travailleurs, a critiqué une « parodie abjecte, honteuse et scandaleuse » orchestrée par « un pouvoir parallèle ».
« Hassan paie le prix de sa proximité avec Toufik [Mohamed Lamine Mediène de son vrai nom, patron du DRS mis à la retraite par Bouteflika en septembre], a confié à Middle East Eye un officier du DRS. En 2004, quand Hassan avait lancé une enquête sur la corruption où était cité le chef d’État-major de l’époque, Mohamed Lamari, Toufik l’avait sauvé en le nommant à la tête du Scorat, sous sa direction. »
Un « pro du renseignement »
Selon le général-major et ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar, qui a dénoncé « une condamnation criminelle et infamante », après l’arrestation de Hassan en août dernier, Toufik aurait, cette fois encore, tenté de l’aider en envoyant une lettre au chef de l’État où il expliquait « les tenants et les aboutissants de cette affaire » et se déclarait « responsable de tout ce qui peut être reproché » au général.
D’après un ex-chef de la lutte anti-terroriste qui l’a côtoyé, ce qui est surtout reproché à Hassan, c’est son « insubordination ». « C’est un cowboy qui n’en fait qu’à sa tête. Mais il était très efficace pour démanteler les réseaux terroristes. C’est un pro du renseignement », affirme-t-il à MEE. « Sa chute, il la doit d’ailleurs à une opération secrète à la frontière libyenne. Il avait lâché ses hommes derrière Mokhtar Belmokhtar. Ils ne l’ont pas eu mais ils ont neutralisé un groupe armé et saisi plusieurs tonnes d’armement dont des missiles français », raconte un officier du DRS proche du dossier à MEE.
« Sur le chemin du retour, ses hommes se font attraper par les militaires de la 6e région qui pensent tomber sur des terroristes. Ils les laissent finalement passer mais à Tamanrasset, quand ils chargent l’armement pour Alger, les militaires les accusent de vouloir mener un coup d’État. Hassan, qui considère qu’il n’a de comptes à rendre qu’à Mediène, les envoie balader. Quand le chef d’État-major, Ahmed Gaïd Salah, apprend ça, il devient fou de rage. »
L’État-major et les services secrets n’en sont pas à leur première altercation. Lors de la prise d’otages sur la base pétrolière de Tiguentourine, en janvier 2013, Hassan et Tartag (aujourd’hui le nouveau patron du DRS) s’étaient accrochés avec le patron de la 4e région militaire de Ouargla – Gaïd Salah voulant négocier, le DRS voulant mener l’assaut.
DRS ancienne version
« On savait depuis le début que le procès ne serait pas équitable », souligne un cadre du DRS à MEE. « En septembre, Gaïd Salah a placé un nouveau procureur à la tête du tribunal d’Oran exprès pour Hassan, alors qu’une partie des juges militaires ont refusé de cautionner ce procès. Il a voulu rappeler que le chef, c’est lui. Ce n’est pas bon pour l’armée, qui doit faire allégeance à un pays, pas à un homme ». Le général Hassan servira d’exemple.
Tout comme sans doute le général Benhadid, incarcéré depuis deux mois pour « participation à une entreprise de démoralisation du moral de l’armée », ou encore le général Djamel Kehal Medjdoub, ex-chef de la garde présidentielle, inculpé fin novembre pour « négligence » et « infraction aux consignes militaires » lors de tirs à la résidence du président, présentés comme une tentative d’assassinat ou de coup d’État.
Akram Kharief, spécialiste des questions de défense et animateur du blog Secret Difa3, tient toutefois à replacer les poursuites dans un contexte. « À l’intérieur de l’armée et du DRS, de nombreux officiers se félicitent de la tournure des événements », assure-t-il à MEE. « En particulier chez les jeunes officiers qui, depuis les purges de 2002 [époque à laquelle il y a eu plusieurs mises à la retraite], subissent une espèce d’inertie et de ‘’médiocratie’’ et ont vu leur carrière bloquée par ces vieux militaires qui se sont accrochés à leur poste sans moderniser l’institution malgré les projets de restructuration qui ont pu être esquissés. »
Un avis partagé par le politologue Rachid Tlemçani, qui tient lui aussi à replacer l’actualité dans « le cadre plus global de la refonte des relations civilo-militaires ». « On assiste à la fin de la génération de la guerre froide. Pour survivre, le DRS doit se restructurer et peut-être enfin intégrer les jeunes officiers formés à l’étranger qui ont été mis sur la touche », analyse-t-il pour MEE, en reconnaissant toutefois qu’il est impossible de faire abstraction du contexte de « lutte des clans » entre la présidence et le DRS. « Et là, la lecture est simple : le cercle présidentiel a gagné, il élimine donc les éléments qui créent des problèmes. »
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