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Algérie : les prisonniers politiques de l’ex-FIS attendent une grâce de Bouteflika

C’est un dossier en suspens depuis plus d’un quart de siècle : une centaine de détenus ayant appartenu au Front islamique du salut et condamnés au début de la crise des années 1990, attendent en vain une amnistie
Un policier algérien arrête deux sympathisants du FIS dans le quartier de Bab el Oued à Alger le 31 janvier 1992 (AFP)
Par MEE

La Cour suprême algérienne a fait savoir que le cas de la centaine de prisonniers politiques, incarcérés depuis le début des années 1990 en raison de leur lien ou de leur appartenance au Front islamique du salut (FIS, dissous en 1992), ne dépend pas de ses prérogatives mais de celles du président Abdelaziz Bouteflika. 

La réaction de la haute instance a été rendue publique sur la page Facebook du député islamiste Hassan Aribi, du parti al-Adala, qui a été reçu par le président de la Cour suprême, Slimane Boudi, jeudi 7 juin à sa demande, pour « discuter du cas de ceux qui ont été jugés par les tribunaux militaires ou les cours spéciales à l’époque, et du fait que tout le monde sait que ces jugements étaient formels, très durs et à caractère exceptionnel ». 

Traduction : « Hassan Aribi, communiqué important concernant nos efforts pour mettre un terme à la souffrance des détenus abusivement depuis près de 28 ans… »    

Pour la Cours suprême, il est impossible de revenir sur des condamnations définitives. Seul le chef de l’État est donc légalement autorisé à intervenir par une grâce présidentielle.

Des partisans du FIS se rassemblent dans les rues d’Alger au lendemain du premier tour des élections législatives libres organisées par l’Algérie le 27 décembre 1991 (AFP)

Après l’interruption du processus électoral début janvier 1992 et en parallèle de la dissolution du Front islamique du salut, des milliers de sympathisants ou de membres de ce parti ont été condamnés par des juridictions d’exception, en plein état d’urgence décrété au début de la crise qui déboucha sur la guerre civile des années 1990.  

Aucune mesure d’amnistie 

Ce dispositif juridique d’exception avait poussé un ministre de la Justice, Ali Benflis, à la démission en juillet 1991, car il ne présentait pas des garanties judiciaires pour les personnes poursuivies. 

Le député islamiste a déclaré être en possession d'une liste comprenant une centaine de prisonniers politiques, dont sept militaires condamnés pour leurs liens avec l’ex-FIS. Certains souffrent de maladies chroniques et mêmes de troubles psychologiques, selon des avocats. 

Ces détenus n’ont bénéficié d’aucune des mesures comprises dans les trois lois d’amnistie au profit des éléments islamistes armés depuis 1995. 

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Une source juridique explique pour sa part qu’il s’agirait de 200 prisonniers condamnés entre 1992 et 1995, même si, comme le déclarait en 2014 le conseiller juridique Amar Khababa qui suivait le dossier, « il est difficile de fixer un nombre exact, car certains ont été jugés pendant l’état de siège, d’autres par les cours spéciales, le reste par les tribunaux militaires. Ils ont été condamnés à de lourdes peines, de la perpétuité à la peine capitale, après ils ont été complètement oubliés ».

Trois détenus relaxés

Dans les faits, seuls trois détenus sous ce régime ont été libérés durant l'été 2014 pour « raison de maladie et d’âge avancé » - l’un d'eux était âgé de 86 ans.

Ces uniques libérations ont donné un peu d’espoir aux avocats qui travaillent sur le dossier : « C’est une question humanitaire d’urgence, d’autant qu’on a pardonné – dans le cadre des lois de la réconciliation nationale – des actes plus graves qu’une adhésion au FIS ou la création de cellules secrètes après la désobéissance civile [décrétée par le FIS] de 1991 », expliquait, à l’époque, maître Khababa.

Plusieurs milliers de partisans du FIS assistent à un rassemblement de campagne au stade olympique d’Alger, trois jours avant le premier tour des élections législatives, le 23 décembre 1991 (AFP)

Depuis, le dossier semble avoir été oublié. Le député Hassan Aribi, dans une déclaration au quotidien El Khabar, mardi 12 juin, explique avoir saisi par courrier le président Bouteflika et le Premier ministre, en vain.    

Critiques américaines

Dans son dernier rapport sur la situation des droits de l’homme, le Département d’État américain indique : « Le gouvernement [algérien] continue de nier que 160 personnes qui demeurent incarcérées depuis les années 1990 sont des prisonniers politiques, et a affirmé qu’elles ne sont pas éligibles à une grâce dans le cadre de la Charte pour la paix et la réconciliation, car ils ont commis des crimes violents durant le conflit interne ». 

« Le gouvernement [algérien] continue de nier que 160 personnes qui demeurent incarcérées depuis les années 1990 sont des prisonniers politiques » 

- Département d’État américain 

Les autorités algériennes ne reconnaissent pas officiellement le statut de prisonnier politique. « Ils n’ont pas été jugés pour leurs opinions mais pour leurs activités au sein d’une organisation séditieuse », tranche une source gouvernementale. 

El Khabar rappelle que parmi ces détenus figurent les auteurs de deux mutineries, à Alger (qui a fait 100 morts) et à Batna (à l'est du pays), qui a permis la fuite de près d’un millier de prisonniers au milieu des années 1990.

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