La crise du gaz en Europe pourrait accélérer la construction du gazoduc transsaharien
Après des mois de concertation, l’Algérie, le Niger et le Nigeria ont signé, le 28 juillet à Alger, un mémorandum d’entente pour concrétiser le projet de gazoduc transsaharien (TSGP) long de plus de 4 000 km qui permettra d’acheminer du gaz nigérian vers l’Europe.
« Cette démarche démontre la volonté des trois acteurs de redynamiser un projet ayant une dimension régionale et internationale, visant prioritairement le développement social et économique de nos pays », a expliqué le ministre algérien de l’Énergie, Mohamed Arkab, qui venait de signer l’accord avec ses homologues du Niger et du Nigéria.
Pour l’instant, il ne s’agit que d’un accord soutenu par « une volonté politique puissante », a commenté pour Middle East Eye l’ancien ministre algérien de l’Énergie et ex-PDG du géant pétrolier algérien Sonatrach, Abdelmadjid Attar.
Mais « les discussions se poursuivent au niveau des experts » des trois pays, tempère un cadre du ministère algérien de l’Énergie, contacté par MEE.
En théorie, il s’agit de construire un pipeline qui doit acheminer, à terme, le gaz du delta du Niger vers In Salah, dans le Sud de l’Algérie, en passant par le Niger.
À partir de la base de Hassi R’mel, dans le Nord du Sahara, près de 30 milliards de mètres cubes de gaz pourraient être acheminés vers l’Europe à partir des trois gazoducs déjà existants : Transmed (qui relie l’Algérie à l’Italie via la Tunisie), Medgaz (qui alimente l’Espagne à partir de l’Ouest de l’Algérie), et le gazoduc Maghreb-Europe (qui fait la liaison entre l’Algérie et l’Espagne en passant par le Maroc ). Ce dernier est à l’arrêt depuis octobre 2021, l’Algérie ayant décidé de ne plus reconduire le contrat qui la liait au Maroc après la rupture des relations diplomatiques entre les deux voisins maghrébins.
Un problème de financement
Sans fixer de date, les trois ministres ont évoqué la réalisation d’un projet ambitieux « dans les plus brefs délais ». Selon des experts, le pipeline pourrait être réalisé en trois ans, « si on met le paquet », indique Abdelmadjid Attar. Mais en cas d’urgence, l’ancien ministre explique que les délais peuvent être raccourcis.
« Dans les années 1990, nous avons réalisé le gazoduc qui relie l’Algérie au Maroc en mois de deux ans ! », se souvient l’ancien dirigeant de la compagnie pétrolière algérienne pour signifier que même le projet transsaharien peut être réalisé « rapidement ».
Mais pour cela, il faut commencer par régler des problèmes de financement. Car si l’Algérie et le Nigéria, qui détiendront 90 % des parts de la société en charge de la canalisation, disposent de suffisamment d’argent pour réaliser leurs parts du projet, le Niger est un pays trop pauvre pour participer à un programme dont le coût dépasserait les 10 milliards de dollars, selon une estimation faite en 2009. Le montant est sans doute plus élevé actuellement, ce qui incite des pays comme l’Algérie à négocier des financements extérieurs, notamment auprès de la Chine.
Des sources au sein du ministère algérien évoquent une « possibilité » de financements européens dans le contexte de recherches actives d’alternatives au gaz russe. « Des pays européens souhaitent la concrétisation du projet dans un délai maximum de deux ans », conjecture un ancien cadre de Sonatrach.
En réalité, le projet du gazoduc transsaharien ne date pas d’aujourd’hui. C’est en 2002 que l’Algérie a évoqué le sujet avec le Nigéria, puis avec le Niger. Un dossier resté sans suite.
« Des pays européens souhaitent la concrétisation du projet dans un délai maximum de deux ans »
- Un ancien cadre de Sonatrach à MEE
Puis, à plusieurs reprises, les Nigérians ont réitéré leur volonté d’acheminer leur gaz via des gazoducs panafricains pour alimenter les marchés européens, jusque-là fournis par méthaniers, un moyen plus coûteux.
Des réunions de concertation ont eu lieu, mais sans résultat tangible. Puis, en 2016, le roi du Maroc Mohammed VI a proposé que le gazoduc passe par son pays.
En visite à Abuja, le souverain marocain voulait faire bénéficier tous les pays de l’Afrique de l’Ouest des retombées du projet. Mais cela devait nécessiter pas moins de 30 milliards de dollars et une dizaine d’années de réalisation. Le projet est tombé à l’eau.
« Une nouvelle donne »
Pour les experts, les atermoiements enregistrés autour de ce projet de gazoduc transsaharien sont surtout liés à une problématique de prix.
Jusqu’en 2019, le prix du mètre cube de gaz valait « à peine 4 dollars » sur les marchés spots, ce qui rendait une telle entreprise « inintéressante » et « non rentable », explique Abdelmadjid Attar à MEE.
Mais la guerre en Ukraine a changé la donne : les pays européens cherchant d’autres fournisseurs de gaz que la Russie, le projet du TSGP devient prometteur « et rentable ».
« Le projet est très rentable, ne serait-ce que parce que la demande est forte. Le gaz est la source d’énergie de demain, celle de la transition, il y a un marché et des changements géopolitiques », s’enthousiasme Abdelmadjid Attar, qui ajoute qu’actuellement, les prix du gaz avoisinent les 30 dollars et « ne descendront jamais sous la barre des 20 dollars quoi qu’il arrive ».
Le lancement du TSGP « intervient dans un contexte géopolitique et énergétique particulier, caractérisé par une forte demande en gaz et pétrole et une stagnation de l’offre due à une baisse des investissements, notamment dans le domaine de l’exploration pétrolière et gazière, amorcée depuis 2015 », indique pour sa part Mohamed Arkab.
L’Algérie, qui exporte actuellement près de 56 milliards de mètres cubes de gaz par an, ne sera dans un premier temps qu’un pays de transit pour le TSGP.
Elle « va tirer les bénéfices du transit », commente l’ancien PDG de Sonatrach. Mais à terme, « elle pourrait augmenter ses capacités de production pour exporter davantage d’énergie », explique à MEE un autre ancien dirigeant de la compagnie pétrolière. Cela ne peut toutefois se faire actuellement « parce que les capacités de production algériennes sont au maximum », précise ce dernier.
En plus des bénéfices, Alger engrangera, si le projet aboutit, des dividendes politiques en renforçant sa position stratégique sur le continent africain. « L’Algérie doit se frayer une place de choix dans son espace africain et ne pas rester à l’écart du continent », a rappelé à ce sujet le président Abdelmadjid Tebboune dans une interview télévisée diffusée le 1er août.
Il a qualifié ce projet d’« œuvre africaine majeure ». Pour Abdelmadjid Attar, ce projet revêt aussi « un intérêt panafricain extrêmement important », parce qu’il va « rapprocher les pays africains entre eux et nous liera au Niger, au Nigeria et au Burkina, un pays dépourvu de ressources et qui bénéficiera des retombées positives de ce projet ».
En Afrique, c’est le Nigeria qui détient les réserves les plus importantes de gaz. Ce pays en détient 5 500 milliards de m3 (30 % du continent), suivi par l’Algérie et ses 4 500 m3 ( 25 % de la production).
En 2020, les deux pays ont assuré 86 % des exportations de gaz africain, avec un taux de 58 % pour l’Algérie, qui dispose du plus grand réseau de gazoducs du continent, et 28 % pour le Nigéria. Plus de 62 % de ces exportations partent pour l’Europe, selon les données fournies par le Policy Center for the New South.
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