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En Algérie, les pressions de l’administration tétanisent le monde associatif

Face aux pressions administratives, fermetures et poursuites judiciaires, les associations algériennes craignent de ne plus pouvoir effectuer leurs missions
 Plusieurs des associations ciblés sont pourtant sollicitées par les autorités pour leur expertise (AFP/Ryad Kramdi) 
Plusieurs des associations ciblées sont pourtant sollicitées par les autorités pour leur expertise (AFP/Ryad Kramdi) 
Par Leïla Beratto à ALGER, Algérie

Depuis le 1er octobre, les 37 salariés du service Caritas d’Algérie sont au chômage. Créée avant l’indépendance du pays, cette activité de l’Église catholique d’Algérie organisait notamment des formations pour les femmes et du soutien aux personnes vulnérables, dont les personnes migrantes.

Dans un communiqué publié le 27 septembre, l’Association diocésaine d’Algérie a annoncé « la fermeture complète et définitive » de ce service, après avoir reçu deux courriers du ministère de l’Intérieur algérien qui demandaient l’arrêt de ces activités.

L’Église catholique d’Algérie, dont un centre à Mascara (Ouest) avait également mis fin à ses activités sociales et culturelles à la demande des autorités en 2021, précise toutefois à Middle East Eye qu’elle poursuivra ses activités religieuses, celles-ci n’étant pas concernées par la fermeture.

Au sein de l’association, on déclare ne pas savoir vraiment ce qui a provoqué cette demande, même si l’archevêque d’Alger, Jean-Paul Vesco, a estimé dans une déclaration à RFI que l’activité à destination des personnes migrantes était « sans doute à l’origine des décisions des autorités ».

Dans le monde des associations algériennes, l’arrêt des activités de Caritas est vécu comme un « coup dur de plus ». Car, depuis plus d’un an, plusieurs associations subissent pressions administratives et judiciaires.

Demande de dissolution

Dans la ville d’Oran (Ouest), le procès de l’association Santé Sidi El Houari (SDH) s’est ouvert le 10 octobre.

Fondée en 1992, l’association a réhabilité un site patrimonial de 6 000 mètres carrés dans un quartier populaire d’Oran et se consacre à des activités d’aide à l’insertion professionnelle, d’animation culturelle, et à la gestion d’une école de formation professionnelle pour la réhabilitation du bâti ancien qu’elle a créée.

Au mois de mai 2022, un huissier de justice s’est présenté au siège et a informé SDH que la wilaya (préfecture, sous autorité du ministère de l’Intérieur) avait porté plainte contre la structure et demandé sa dissolution ainsi que la saisie de ses biens et de son siège, au motif qu’elle « reçoit des fonds internationaux sans l’approbation préalable des autorités compétentes ».

La loi de 2012 sur les associations impose à ces dernières une série de procédures auprès de l’administration, comme des autorisations préalables aux activités. Après sa promulgation, Human Rights Watch avait dénoncé une « loi restrictive » pour « étouffer la liberté d’association ».

Courrier du 24 mai 2022 annonçant la volonté du wali de dissoudre l’association.

Une procédure d’urgence lancée par la wilaya a conduit la justice à geler les activités de l’association au mois de juillet. Ses membres se sont mobilisés tout l’été pour tenter de préserver l’association et éviter que le site ne soit vandalisé, en attendant le procès sur le fond.

Mais le 1er septembre, la police a posé des scellés sur la porte, interdisant l’accès aux locaux. Les membres de l’association ont cessé de prendre la parole publiquement après avoir reçu une mise en demeure de la wilaya leur interdisant toute communication au nom de SDH, au motif que l’association « n’existe plus ».

Dans la ville, les associations Aprosch Chougrani (qui travaille dans la solidarité), Bel Horizon (qui forme des guides touristiques et sensibilise à la préservation du patrimoine d’Oran), Petit lecteur (qui promeut la lecture pour les enfants) ou encore Graine de paix (qui milite pour le vivre ensemble) subissent elles aussi des difficultés administratives.

« En réalité, ça va très mal », confie à MEE un militant oranais sous couvert d’anonymat. « Le blocage est général et inédit. »

Au moins trois associations se sont vu demander, par l’administration locale, de modifier la composition de leur bureau si elles voulaient obtenir le renouvellement de leur agrément.

L’une d’entre elles a dû aller jusqu’à faire signer une attestation à deux de ses membres selon laquelle ils s’engageaient à ne plus participer aux activités de l’association.

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Mais aucun renouvellement d’agrément n’a été accordé depuis. « On ne sait pas comment les choses vont évoluer et personne ne semble vouloir se lancer dans une campagne de dénonciation », ajoute le militant, qui souligne l’existence d’un climat de « peur ».

« À n’importe quel moment, sous n’importe quel prétexte, ils peuvent me mettre en prison. »

Interrogés par MEE, des salariés et bénévoles associatifs confirment une ambiance générale de « crainte » et évoquent chacun de leur côté des événements très différents survenus ces deux dernières années qui contribuent selon eux à ce sentiment : la dissolution du Rassemblement action jeunesse (RAJ, association créée en 1989, dissoute par la justice en octobre 2021, et dont plusieurs militants et cadres ont été emprisonnés), la détention de journalistes, les accusations d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » retenues par la justice contre des manifestants, les poursuites contre des membres des ligues des droits de l’homme, ou encore les convocations de militants au commissariat après avoir participé à des manifestations du hirak, mouvement de protestation qui a débuté en février 2019 et conduit au renversement du président Abdelaziz Bouteflika.

« Le système, dans sa nouvelle stratégie, n’accepte plus d’ouverture » , analyse pour MEE Nacer Djabi, sociologue. « Il ferme l’espace politique, syndical, médiatique. »

« On s’attend à tout et on finit par oublier qu’on ne fait rien de mal », résume une jeune femme qui a réalisé un projet culturel en 2021 dont une partie du financement provenait d’une structure étrangère.

Les blocages administratifs provoquent des difficultés d’accès aux financements. « Les associations se retrouvent toutes seules, sans argent et sans partenariat possible avec des ONG internationales présentes en Algérie parce que celles-ci sont de moins en moins nombreuses », souligne une militante qui travaille dans le secteur associatif depuis quinze ans.

 « On réduit l’associatif à nettoyer les rues ou les plages et on fait disparaître les associations qui travaillent sur les droits individuels et collectifs. »

« Comme les autorités ne financent que très peu les associations, recevoir des fonds de l’étranger permet d’avoir une autonomie », souligne Nacer Djabi. « Les autorités ne veulent pas de cette autonomie. Accuser les associations de travailler pour l’extérieur est un argument qui est également utilisé dans des régimes du monde arabe comme l’Égypte. »

Un travail associatif pourtant prisé des autorités

Ces structures sont pourtant sollicitées par les autorités pour leur expertise.

Alors qu’elle venait de recevoir une convocation au tribunal, l’association SDH était invitée au ministère de la Santé en remerciement du travail accompli dans la lutte contre l’épidémie de covid-19.

Malgré les pressions administratives qu’elle subit, l’association Aprosch Chougrani a été invitée au ministère de la Solidarité pour présenter son initiative de formation des aidants à domicile.

« Selon moi, les autorités n’ont jamais autant valorisé la société civile », veut nuancer un bénévole d’une association de l’Est du pays qui demande à rester anonyme. « Les ministères signent des partenariats, nous invitent et nous demandent d’organiser des événements. Avant, nous n’étions pas considérés. » 

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Les autorités multiplient en effet les appels à la société civile. Fin 2020, un Observatoire de la société civile a été créé. Le président Abdelmadjid Tebboune déclarait en 2021 avoir « donné la parole à la société civile » et vouloir continuer « dans ce sens pour faire entendre la voix de la société civile de manière à ce qu’elle devienne une partie de l’État ».

« Les militants se demandent s’il y a une utilité à aller s’exposer sachant qu’ils se retrouveront au-devant de problèmes », analyse pour MEE Hakim Addad, membre fondateur du RAJ.

« Il y a bien des initiatives individuelles, mais ces individus ne créeront pas d’association : ils ne croient pas en les assurances qui leur sont données par les autorités. »

Une militante souligne que les partis politiques et les médias, qui pourraient soutenir les associations face à ces difficultés, sont eux aussi sous le coup de fermetures, restrictions administratives ou poursuites judiciaires.

« Plus aucun des acquis d’Octobre 1988 [ qui a permis le multipartisme, l’avènement de la presse privée et la création d’associations] ne tient », estime Hakim Addad. « Il faut repartir à zéro, labourer, semer, arroser et, un jour, récolter. »

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