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Algérie : que la guerre de succession commence ! 

Bouteflika parti, le système reste. Les équilibres sensibles sont pour le moment entre les mains de l’armée qui tente de cadrer une transition délicate
La succession d’Abdelaziz Bouteflika se déroule pour l’instant selon le plan d’Ahmed Gaïd Salah, patron de l’armée (Reuters)
Par Adlene Meddi à ALGER, Algérie

« On est en train de toucher à l’équilibre sacré entre la présidence, les services secrets et l’état-major. C’est pour ça que tout le monde est inquiet pour les jours qui viennent… » 

Les scènes de liesse dans les rues d’Alger, mardi soir, ne parviennent pas à réconforter ce haut-fonctionnaire de l’État. Au lendemain de la démission du président Bouteflika, entérinée ce mercredi par le Conseil constitutionnel, il s’inquiète de voir se profiler une nouvelle manche dans la lutte des clans. Et il n’est pas le seul.   

L’opposant et ex-chef de gouvernement Ali Benflis, assure qu’« il y a encore des bombes à retardement que l’ancien régime et ses alliés extraconstitutionnels se sont ingéniés à multiplier et il s’agit maintenant de les désamorcer les unes après les autres ».

« On était dans une véritable guerre psychologique »

- Une source des renseignements

« Les développements de ces derniers jours et les signaux envoyés par le système confirment la poursuite de l’option de la transition clanique au sein même du pouvoir », s’alarme aussi le communiqué du Collectif de la société civile « pour une sortie de crise pacifique », composé d’associations et de syndicats.

De quelles forces claniques parle ce collectif ? 

Des réseaux de l’ex-DRS, ces services dissous en 2016, toujours représentés par leur ex-patron, le général de corps d’armée Mohamed Mediène, dit Toufik, revenu ces derniers jours sur le devant de la scène, sans doute malgré lui.

Car c’est une lettre, rédigée par l’ancien président de la république (1994-1999) Liamine Zeroual, qui a révélé les manœuvres d’intermédiation organisée par l’ancien chef du DRS, en connivence avec le frère du chef de l’État, Saïd Bouteflika. 

Bataille larvée

« J’ai reçu, le 30 mars, à sa demande, le général de corps d’armée à la retraite Mohamed Mediène, qui m’a proposé de présider l’instance de gestion de la période de transition », écrit-il. « Il m’a confirmé que cette proposition était le fruit d’un accord avec Saïd Bouteflika, conseiller à la présidence de la République ».

« Il est difficile de dire si demain Mediène jouera un rôle dans la succession mais il est en tout cas du côté de ceux qui ne souhaitent pas une solution constitutionnelle à la crise », assure-t-on dans ses réseaux. 

L’option constitutionnelle à la crise, c’est celle qui est pour le moment suivie à l’initiative du chef d’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah.

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Ce fidèle soutien du président démissionnaire, avait, le 26 mars, appelé à l’application de l’article 102 de la Constitution pour démettre le président. Rien ne s’était fait, laissant penser que la crise entre le cercle présidentiel et l’armée n’était pas terminé. 

« On était dans une véritable guerre psychologique », affirme une source des renseignements. « Saïd savait que le patron de l’armée ne pouvait rien déclencher, que le rapport de forces était en sa faveur, en partie parce que les partenaires étrangers n’allaient pas accepter un autre Sissi dans la région. » 

Mais selon les informations recueillies par Middle East Eye, les événements qui se sont enchaînés ont renversé ce rapport de forces. En particulier l’arrestation d’Ali Haddad, patron du plus grand groupe privé algérien de BTP et président démissionnaire du plus influent syndicat patronal, représentant des forces de l’argent, une autre des forces extraconstitutionnelles dont parle Ali Benflis. 

Les oligarques ciblés

Une caste d’hommes d’affaires nourris à la rente pétrolière particulièrement abondante de 2000 à 2015, et aux commandes publiques. Une caste appartenant à ce que l’ex-gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Hadj-Nacer appelle « l’argent brutal », argent acquis hors système de régulation, par des coups de force contre les institutions, les lois et les impôts et qui ont progressivement noyauté la décision politique.

Il y a quelques semaines, l’enregistrement d’une conversation entre Ali Haddad et Abdelmalek Sellal, l’ex-Premier ministre avait marqué le début de sa chute, entraînant des démissions en cascade au sein du patronat. 

Ali Haddad, oligarque réputé proche de Saïd Bouteflika, a été placé en détention (Facebook)

Intercepté alors qu’il tentait de fuir l’Algérie par la frontière avec la Tunisie, Ali Haddad a été ramené à Alger, placé sous mandat de dépôt et incarcéré à la prison d’El Harrach dans l’attente d’un procès.

« Faux passeports, cash, devises étrangères… Il s’est comporté exactement comme les voyous du clan Bouteflika », relève une source judiciaire qui promet que de sombres lendemains, l’attendent, lui et tous ceux qui ont « participé à la destruction planifiée de l’économie ».

La justice algérienne a déjà ouvert des enquêtes sur des faits de corruption et de transfert illicite de capitaux vers l’étranger et interdit une dizaine de personnalités de sortir du pays en clouant notamment leurs avions privés au sol. 

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Extra-constitutionnelle, cette solution consisterait à créer une instance de transition provisoire sur le modèle du Haut Comité d’État comme celui mis en place pendant la crise des années 1990 et qui a débouché sur la désignation d’un président de l’Etat… l’ex-général Liamine Zeroual.

« Zeroual a dit non à un plan fomenté par Saïd mais maintenant que les Bouteflika sont écartés, il n’aurait plus de raisons de refuser. D’autant que les Algériens, pour qui il reste un homme intègre, cautionneraient ce choix. »

Du côté de l’état-major, les soutiens d’Ahmed Gaïd Salah restent confiants. « Les Algériens ne sont pas dupes. Le patron de l’armée ne veut pas le pouvoir et cherche avant tout à préserver la sécurité de la nation », témoigne un collaborateur. « C’est tout ce qui guide ses choix et les gens le savent. »

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