Algérie : un film historique interdit par les autorités
ALGER - Le film algérien Ben M’hidi, du nom de l’un des héros de la guerre d’indépendance, dont la sortie en salle était prévue ce septembre, a été interdit de projection par le ministère des Moudjahidine (anciens combattants).
La décision émane précisément du Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national, chargé depuis 2011 de donner le quitus aux productions audiovisuelles consacrées à la guerre d’indépendance algérienne.
Dans un courrier daté du 30 août, ce centre d’études explique au réalisateur du film, Bachir Derrais : « En application de l’accord entre votre production et les ministères de la Culture et des Moudjahidine, vous êtes astreint à montrer tous les aspects historiques » de Larbi ben M’hidi, un des six fondateurs du Front de libération nationale (FLN), torturé puis assassiné par les paras français en mars 1957 pendant la bataille d’Alger.
Un contrôle renforcé
Fin août, le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, avait tweetté : « Avant de projeter le film Ben M'hidi financé par l'État, une commission composée de spécialistes dans le mouvement national et la révolution algérienne examinera la compatibilité du film au scénario original, le respect des faits historiques, et donne son avis qui est obligatoire ».
La nouvelle loi sur le cinéma, promulguée en février 2011 par l’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, prévoyait dans son article 6 que « la production des films relatifs à la guerre de libération nationale et à ses symboles soit soumise à l’approbation préalable du gouvernement ».
« J’étais le premier à dénoncer cette loi à l’époque et je suis le premier à en payer le prix », a déclaré à Middle East Eye le réalisateur Bachir Derrais. « Si c'est pour bloquer des films qui portent atteinte à la révolution ou l'un de ses symboles, d'accord. Mais si c'est pour alourdir les mesures de production déjà difficiles pour faire des films sur la Révolution, je suis contre. Il existe déjà le ministère de la Culture, ce département représente l'État à ce que je sache ! », réagissait-il en 2010 alors que la loi était encore débattue au Parlement.
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De son côté, la ministre de l’époque avait répondu aux critiques de certains cinéastes qui dénonçaient un contrôle supplémentaire de leurs travail : « Il suffit de voir comment des pays à forte tradition démocratique interdisent et pénalisent tout ce qui peut remettre en cause ou minimiser les souffrances des juifs durant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah pour comprendre que la protection de la mémoire est loin d'être l'apanage des Algériens ».
Les reproches des autorités
Aujourd’hui, le réalisateur de Ben M’hidi a décidé de transmettre à ses avocats tous les contrats qui le lient aux instances algériennes officielles. « Le ministère des Moudjahidine est producteur à hauteur de 30 %, celui de la Culture 40 %. Le reste, c’est ma production », précise-t-il à MEE. « Il y a un article dans le contrat qui dit que le réalisateur a tous les pouvoirs sur son film. Je n’ai pas fait un film de commande, je ne suis pas un réalisateur-esclave ».
« Pour la première fois, on explore les origines de la guerre de libération, on tente de dépoussiérer l’histoire officielle ! »
- Bachir Derrais, réalisateur
« Le réalisateur dit qu’il ne voulait pas faire de la propagande, mais personne ne lui a demandé de le faire. Ce qui lui a été demandé, par contre, était de respecter le scénario et les lois », commentent des sources officielles à des médias algériens. On lui reproche, notamment, d’avoir « modifié le scénario du film ». « Mais il est tout à fait normal que l’écriture du film évolue en cinq ans de tournage », relance Derrais. « Un scénario, ce n’est pas la Bible ! Lors du tournage, nous avons recueilli de nouvelles informations historiques, des témoignages, etc. »
Une histoire officielle
« Ce que les autorités me reprochent réellement, c'est d’avoir mis des scènes où on voit les discordes entre Ben M’hidi et Ben Bella, entre Abane et Ben Bella [les chefs de la révolution à l’intérieur s’opposaient parfois à la délégation du FLN basée en Egypte], les désaccord avec Gamal Abdel Nasser, les scènes où on voit que Messali Hadj [un des pères du nationalisme algérien] et les Oulémas refusent de se joindre à la Révolution, etc. », accuse le réalisateur. « Pour la première fois, on explore les origines de la guerre de libération, on tente de dépoussiérer l’histoire officielle ! », appuie-t-il.
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