Algérie : une crise au Parlement tourne au mélodrame
ALGER – Des députés du Front de libération nationale (FLN, majorité présidentielle), du Rassemblement national démocratique (RND, présidé par le Premier ministre Ahmed Ouyahia), de Tajamou Amal al-Djazair (crypto-islamiste), du Mouvement pour l’Algérie (MPA, laïc) et des indépendants se sont rassemblés ce mardi à l’entrée principale de l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement), à Alger, pour interdire l’accès des lieux au… président du Parlement, Saïd Bouhadja.
De pied ferme, les représentants du peuple ont attendu une bonne partie de la journée après avoir placé une chaîne et un cadenas sur les portes d’entrée du bâtiment.
« Où est passé Bouhadja ? Qu’il ait le courage de venir affronter ses collègues députés ! », crie l’un d’entre eux à la presse. Pendant ce temps, le président du Parlement assistait à l’enterrement de l’ancien commandant de la gendarmerie.
Habituellement prompte à interdire toute manifestation de rue, notamment devant le Parlement, la police est restée éloignée du sit-in des députés. Une altercation éclate entre une passante et un député du FLN : « Vous êtes tous des vendus » ! Un autre député explique aux journalistes que cette affaire est « interne au Parlement » et « ne concerne pas la presse ».
Mais pourquoi près de 200 députés demandent avec tant de véhémence la tête du numéro trois de l’État ?
Tout a commencé il y a trois semaines par l’appel de Djamel Ould Abbès, secrétaire général du FLN, qui se prévaut parfois de parler pour la présidence de la République (Abdelaziz Bouteflika étant le président du l’ancien parti unique). Ould Abbès, donc, a exigé de Saïd Bouhadja, cadre du FLN et fidèle du chef de l’État, qu’il quitte ses fonctions de président du Parlement. Pourquoi ? Le patron du FLN laisse entendre que Bouhadja a mal géré son institution.
Une affaire interne ?
Cet appel intervient 24 heures après le limogeage par Bouhadja du secrétaire général du Parlement, Bachir Slimani, le 23 septembre.
Ce dernier, influent fonctionnaire au sein de l’APN, aurait été sanctionné pour certains dysfonctionnements dans le recrutement et les dépenses. Mais d’autres sources évoquent comme cause directe de la disgrâce, son refus de justifier les frais de soins à Paris de son supérieur… Bouhadja.
Depuis, Ould Abbès et une bonne partie des députés de la majorité progouvernementale – y compris le ministre chargé des Relations avec le Parlement – multiplient les appels et les actions au sein même de l’APN pour pousser son président à démissionner.
À LIRE ► L'Algérie tétanisée par un cinquième mandat de Bouteflika
Ces actions hostiles, qui bloquent le Parlement depuis près d’un mois, ont été confortées par les déclarations du Premier ministre Ahmed Ouyahia, qui a « conseillé » à Bouhadja de partir…
Or la Constitution algérienne ne prévoit pas la démission du président de la Chambre basse, et le règlement intérieur du Parlement ne dispose d’aucun mécanisme pour démettre un président de l’APN en poste. Pour de nombreux observateurs, les députés contestataires sont dans l’illégalité la plus criante.
« J’ai écrit au président Bouteflika en sa qualité de président du FLN. Je suis prêt à accepter toute décision qui émanerait de lui »
- Saïd Bouhadja, président du Parlement algérien
La ténacité de Bouhadja face à cette fronde laisserait penser qu’il bénéficie de soutiens puissants contre un des cercles du pouvoir. « Le problème, c’est qu’il n’y a plus beaucoup de clans au sein du pouvoir », analyse un ancien ministre pour Middle East Eye.
« Bouhadja s’entête car il parie sur le fait que cette campagne n’est pas orchestrée par la présidence, qu’il s’agit d’une querelle interne au FLN ou, tout au plus, au Parlement où influence et argent sont des enjeux importants. »
Mauvais timinig de la crise
« J’ai écrit au président Bouteflika. J’attends une réponse des officiels pour m’informer de la décision finale. J’ai écrit au président Bouteflika en sa qualité de président du FLN. Je suis prêt à accepter toute décision qui émanerait de lui », a déclaré mardi Bouhadja.
Or, le président n’a aucune prérogative directe sur Bouhadja. Selon la loi.
« Une longue crise comme celle-ci n’arrange pas les tenants du pouvoir », s’inquiète un cadre de l’opposition, sollicité par MEE. « Nous allons vers une présidentielle forcée dans un climat politique agité. Mais je crois que la présidence ne va pas tarder à trancher. »
Affaibli par la maladie, le président Abdelaziz Bouteflika pourrait briguer un cinquième mandat lors de la présidentielle du printemps 2019. « Cette crise n’est qu’un des résultats d’un vide institutionnel provoqué par le mandat de trop du président », conclut, dépité, le cadre de l’opposition. « Il ne gouverne que de loin, et souvent ses messages ne parviennent pas clairs ou complets à la personne ciblée. »
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].