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Alors que ferme le dernier hôpital de Madaya, un père syrien perd deux de ses enfants en une semaine

« À Madaya, nous n’avons pas de futur. La ville saigne et écrit son histoire dans le sang des enfants »
Des forces pro-gouvernementales syriennes se tiennent à l’entrée de la ville rebelle assiégée de Madaya alors que ses habitants attendent un convoi d’aide humanitaire le 14 janvier 2016 (AFP)

BEYROUTH, Liban – Moussa al-Maleh pensait que les choses ne pouvaient être pires après la mort de son fils de 12 ans, Mohammed. Touché par un sniper du Hezbollah dans la ville assiégée de Madaya, le jeune garçon est tombé d’un balcon situé au quatrième étage, ce qui a provoqué de graves blessures à la tête et au cou.

Après le rejet des demandes d’évacuation sanitaire vers Damas, le collégien est décédé dans le petit hôpital de fortune de cette ville de montagne – guère plus qu’une salle miteuse avec un lit.

Mais la douleur de Maleh empirait. Quelques jours plus tard, sa femme est entrée en travail. Après une césarienne en urgence, elle a donné naissance à un bébé mort-né, Abed al-Rahman.

« Il n’a pas vécu. Il a préféré mourir car c’est mieux que de voir notre réalité », a déclaré Maleh à Middle East Eye dans sa première interview en anglais depuis la mort de deux de ses enfants en l’espace d’une semaine.

Abed al-Rahman, le bébé mort-né, a été photographié emmailloté dans un lange blanc, une fleur placée à côté de sa peau rose et irritée.

« Nous avons été contraints de sortir le bébé mais il était mort », a raconté Maleh à MEE. « La pression artérielle de ma femme était encore élevée. Nous avons demandé au monde de l’aider, encore une fois en vain. »

La mère, qui a survécu à l’accouchement d’urgence, est désormais rentrée chez elle, vivante mais faible.

« Elle est réveillée une demi-heure et perd à nouveau connaissance », a indiqué Maleh. « Nous attendons la miséricorde de Dieu. »

Son double deuil laisse entrevoir la douleur présente à Madaya, où les 40 000 habitants vivent entourés de snipers, de mines antipersonnel et des restes calcinés de vergers, brûlés depuis longtemps par les troupes du gouvernement d’Assad et de son allié libanais, le Hezbollah.

Des champs brûlés aux alentours de Madaya après que les habitants ont prétendu qu’ils avaient été rasés par les forces du gouvernement et du Hezbollah (Photo fournie à Lizzie Porter par un habitant)

Siege Watch, un organisme qui surveille les villes et villages encerclés en Syrie, a indiqué que la ville reste « en état de siège critique », rapportant des décès par famine ainsi que le déplacement forcé de familles vivant près des checkpoints du Hezbollah.

La situation est si désespérée que ces derniers jours, les trois membres du personnel médical qui géraient le dernier hôpital de Madaya ont été contraints de le fermer.

« Nous avons fermé l’hôpital car personne ne répondait à nos besoins. Il n’y avait aucun analgésique, aucun médecin spécialisé, aucun médicament spécifique », a expliqué le docteur Mohammed Darwish, étudiant en médecine dentaire figurant parmi les trois personnes en charge des services médicaux à Madaya puisque les spécialistes sont partis ou ont été tués. « Ils ont également cessé les évacuations, alors nous avons décidé de fermer l’hôpital, en particulier après la mort de Mohammed al-Maleh. »

L’équipement et les médicaments étaient venus à manquer au point qu’ils opéraient sans anesthésie. Darwish a rapporté que l’oxygène a commencé à manquer peu après le début de l’opération de Mohammed al-Maleh. Ils ont dû le ventiler manuellement.

Ils ont essayé de consulter des chirurgiens aux États-Unis ou à Idlib par Internet pour avoir des conseils, mais étaient souvent contraints de traiter des patients souffrant de blessures ou de maladies dépassant le cadre de leur expertise.

« Nous ne sommes pas des spécialistes, mais nous devons travailler ainsi car il n’existe pas d’alternatives », a-t-il confié.

L’ONU a confirmé la fermeture de l’hôpital de Madaya, indiquant que les autorités médicales avaient suspendues leurs activités « en raison du manque de ressources médicales et de spécialistes ».

À maintes reprises, l’équipe avait demandé des évacuations sanitaires vers la capitale pour les cas qu’elle ne pouvait pas traiter.

L’accès à de meilleures installations médicales à Damas dépend de l’« Accord des quatre villes ».

Conformément à cet accord, signé à l’automne dernier, le gouvernement syrien et ses alliés n’autorisent à sortir de la ville de Madaya et de la ville voisine de Zabadani que si des évacuations similaires sont autorisées à Fua et Kefraya, deux villes assiégées par les rebelles dans la province d’Idlib, dans le nord de la Syrie.

En juillet, Yacoub el-Hillo, le coordinateur humanitaire de l’ONU pour la Syrie, avait déclaré que ses équipes étaient prêtes à effectuer des évacuations sanitaires et avait demandé aux parties impliquées de « mettre fin à l’approche donnant-donnant de l’accord [des quatre villes] » qui empêche les réactions d’urgence.

Le coordinateur humanitaire de l’ONU pour la Syrie, Yacoub el-Hillo, après avoir parlé aux journalistes tandis qu’un convoi d’aide humanitaire attend en périphérie de la ville assiégée de Madaya, le 14 janvier 2016 (AFP)

Le mois suivant, 18 patients – dont 13 enfants – ont été autorisés à quitter Madaya pour être soignés à Damas. En septembre, Darwish et ses collègues ont sécurisé l’évacuation d’un habitant de Madaya qui avait marché sur une mine en essayant de fuir la ville. Il a survécu mais a été amputé d’une jambe.

Mais d’autres, comme Mohammed al-Maleh et le petit Abed al-Rahman, n’ont pas eu cette chance.

Même lorsqu’il a enterré son fils aîné, a confié Maleh, il ne pouvait échapper aux snipers du Hezbollah qui encerclent la ville depuis juillet 2015.

« Ils ont tenté de nous tuer et de nous tirer dessus pendant l’enterrement de Mohammed. Cela ne les a pas arrêtés. Ils ont continué, mais grâce à Dieu, j’étais en sécurité après cela. »

Un groupe de 25 amis du collégien sont venus rendre hommage à leur ami, malgré le risque de tirs.

Mohammed al-Maleh, qui est décédé la semaine dernière après être tombé d’un balcon lorsqu’il a été touché par un sniper du Hezbollah à Madaya (Photo fournie à Lizzie Porter par Moussa al-Maleh)

« Aux funérailles, ses amis d’école se sont rassemblés », a raconté le père endeuillé à Middle East Eye. « Les personnes âgées qui étaient là ont commencé à pleurer lorsqu’elles ont vu la scène. C’était très émouvant. »

Maleh regarde désormais les tombes de Mohammed et Abed al-Rahman de son balcon tous les jours.

« Mon appartement est près de l’endroit où ils sont enterrés. Chaque jour, je les regarde depuis le balcon, je commence à pleurer et je pleure, je pleure, je pleure. »

Madaya a fait la une l’année dernière lorsque des images de ses habitants affamés, réduits à manger de l’herbe et des chats en raison du manque de nourriture, ont été diffusées.

Une photo d’archives, publiée par l’UNICEF et prise le 14 janvier 2016, montre une employée de l’UNICEF mesurer le bras d’une fillette malnutrie dans la ville syrienne assiégée de Madaya (AFP/UNICEF)

La ville a depuis reçu des livraisons d’aide, mais le manque de variété signifie que les habitants sont encore malnutris.

« Les gens d’ici ne mangent que du boulgour et du riz depuis six mois », a déclaré Maleh, qui était propriétaire avant la guerre et dirige désormais le conseil local. « Vous pouvez imaginer, si vous étiez à Beyrouth et ne mangiez que des hamburgers pendant une semaine, vous ne voudrez plus en manger. Les prisons sont mieux qu’ici car elles disposent de nourriture variée, pas la même nourriture. »

Sa ville natale était jadis un marché attrayant et un lieu de villégiature. À seulement 40 km de la capitale syrienne, c’était une retraite montagnarde pour les riches Damascènes.

« Madaya était une ville très riche : elle disposait d’un marché international et de maisons de luxe », a expliqué Maleh. Il a rapporté que sa terre avait été incendiée par le gouvernement et les forces du Hezbollah, empêchant la culture de fruits et de légumes qui pourraient améliorer l’alimentation des habitants de la ville.

« J’avais des pommes et des poiriers, mais ils les ont brûlés il y a trois ans parce que je suis un opposant. Ils ont brûlé toutes les fermes de Madaya et de Zabadani. »

La santé physique des habitants de Madaya n’est pas la seule à avoir souffert. Save the Children a signalé en septembre que 13 habitants avaient tenté de se suicider au cours des deux mois précédents, notamment une fillette de 12 ans. Il n’y avait eu aucune tentative signalée avant le siège.

Des centaines d’autres personnes dans la ville souffrent de maladies comme la dépression sévère et la paranoïa, selon l’association caritative, sans accès à des services spécialisés de santé mentale.

Le traumatisme est vif pour Moussa al-Maleh, qui se demande où se situe l’avenir.

« De quel avenir parlez-vous ? », a-t-il demandé, lorsqu’on l’a interrogé sur ce qu’il voyait pour les jours à venir. « Un prisonnier pense-t-il à l’avenir ? À Madaya nous n’avons pas d’avenir… la ville saigne et écrit ses histoires dans le sang des enfants, des hommes et des femmes. »

Traduction en anglais par Ghayath al-Aziz.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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