Après les attentats, les Marocains d’Espagne se disent inquiets de la montée de l’islamophobie
« Je me trouvais dans un jardin public quand j’ai entendu des enfants espagnols dire à des petits Marocains qui jouaient aussi dans le parc : ‘’Marocains ! Terroristes !’’ Ça m’a fait mal au cœur. »
Ouafa, mère de deux enfants, vit à Barcelone depuis quelques années, et comme d’autres Marocains contactés par Middle East Eye, elle s’inquiète.
Depuis les attentats de Barcelone et de Cambrils, qui ont fait quinze morts et plus de 120 blessés jeudi 17 août, et l’identification des assaillants comme des Marocains ou des Espagnols d’origine marocaine, quelque chose a changé.
« Non seulement on attaque des mosquées, mais le langage a beaucoup changé sur les réseaux sociaux »
- Ali Lmrabet, journaliste marocain basé en Espagne
Du consulat marocain à Tarragone, à une centaine de kilomètres au sud de Barcelone, aspergé de peinture rouge, aux mosquées, couvertes de graffitis menaçant les « Maures » de représailles, plusieurs attaques et agressions racistes antimarocaines ont été enregistrées.
Un adolescent marocain a même été agressé à Puerto de Sagunto, près de Valence. Selon son témoignage, il aurait reçu des coups de pied et des insultes : « Dégage d’ici, va dans ton pays, Maure de m… ! »
« Non seulement on attaque des mosquées, mais le langage a beaucoup changé sur les réseaux sociaux. Une bande de journalistes de droite, et même d'extrême droite, sert à leurs nombreux abonnés une soupe de haine incroyable », relève Ali Lmrabet, journaliste Marocain basé en Espagne.
En Catalogne, les Marocains que nous avons contactés confient « se faire discrets ». « Notre communauté est peu organisée et les services diplomatiques marocains ne nous aident pas vraiment, on est laissés à notre sort », regrette Fatiha Almouali, militante pour l’ONG Unitad contre el fascismo y el racismo (UCFR), qui lutte contre le racisme et les injustices dans les politiques, les médias et le système éducatif.
« On attend que la tempête se calme. Le retour de nos enfants à l’école en septembre sera très difficile. Il faut s’attendre à ce que, comme d’habitude, les femmes voilées se fassent verbalement ou physiquement agressées. On essaiera d’affronter cette épreuve avec nos propres moyens. »
« Notre communauté avait déjà assez de problèmes »
Sohaib Hassani vit à Barcelone depuis sept ans. Il essaie de rester optimiste malgré les sentiments de tristesse et de crainte qui dominent au sein de sa communauté.
« Chômage, discriminations au logement ou à l’embauche, discrimination envers les femmes voilées : notre communauté avait déjà assez de problèmes », explique Sohaib à MEE en insistant sur le fait que le sentiment anti-marocain n’est pas très répandu en Catalogne.
« Nous sommes habitués aux incidents racistes, mais ils risquent d’augmenter. On espère que ces actes resteront isolés et que ces moments difficiles passeront rapidement. »
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« Je fais confiance à l’intelligence des Catalans. Ils nous ont toujours bien traités, ils savent que l’extrême droite et même la droite classique essaient de récupérer ces attentats et de les instrumentaliser. Les Catalans eux-mêmes ont toujours eu des problèmes avec la droite, je suis sûr qu’ils ne vont pas nous assimiler aux coupables », ajoute Sohaib, actif dans le milieu associatif barcelonais.
La réaction de certains Espagnols, vendredi à Barcelone, lui donne raison. Quand une dizaine de militants d’un groupe fasciste ont tenté de manifester au centre de Barcelone, des passants les ont repoussés à coups de « Non aux racistes ».
Traduction : « Émotion en voyant les voisins et les voisines chasser les néonazis de Las Ramblas. On ne peut pas être démocrate sans être antifasciste. Vive Barcelone »
Pour les plus jeunes, comme Cheima al-Jebary, « ce qui s’est passé ne fait que rouvrir le débat sur la présence de l’islam dans une société occidentale, entre ceux qui acceptent la coexistence et la liberté de conscience, et les islamophobes, qui appellent à l’extermination de l’islam. Nous ne pouvons pas permettre à ces attaques de mettre fin à la paix, à la coexistence et à la cohésion sociale. »
Étudiante en sciences sociales à l’université de Barcelone, Cheima dit « ne rien craindre personnellement », mais s’inquiète pour ses vieux parents et voisins marocains « qui ont quitté leurs terres à la recherche d'une dignité ». « Cette dignité, qui aujourd'hui, est remise en question au profit d’un discours de haine », se désole-t-elle.
Malaise dans le métro
À Madrid, quelques incidents ont été enregistrés depuis vendredi. Une mosquée a aussi été profanée, rapportent des témoins à MEE.
Quelques heures après l’attentat de Barcelone, Oumnia, jeune Marocaine installée à Madrid où elle travaille, avoue avoir ressenti un certain malaise en assistant à une scène de tensions dans le métro.
« Il y avait deux jeunes Marocains. Tous les gens les regardaient d’un mauvais œil, comme des suspects potentiels. On pouvait lire ‘’Terroristes !’’ dans les yeux des gens. Les Marocains ont compris et ont essayé de baisser leurs yeux en évitant tout contact ou discussion, cette situation m’a choquée », raconte-t-elle.
« En Andalousie, ces réactions font peur aux Marocains, surtout ceux qui sont venus pour gagner leur vie et qui ont des boulots modestes »
- Abdelaali Bariki, pharmacien à Séville
Oumnia croit, elle aussi, que les femmes voilées seront probablement les plus concernés par des attaques racistes. « Depuis la crise de l’euro, on a vu apparaître des groupes fascistes, mais ils restent marginaux. Près de mon lieu de travail, il y a un de ces groupes. Après les attentats, ils ont accroché une banderole où ils insultent l’islam. Mais généralement, Madrid reste la ville la moins raciste d’Espagne ».
En Andalousie, à Grenade, un groupe d’extrême droite très connu en Espagne a organisé un sit-in devant une mosquée marocaine, demandant l’expulsion des musulmans et surtout des Marocains.
« C’était une manifestation avec des slogans haineux contre les Marocains et les musulmans », témoigne Abdelaali Bariki, pharmacien et activiste marocain contre la xénophobie. Dans sa ville, à Séville, il constate aussi que « des phrases racistes ont été écrites sur les portes d’une petite mosquée ».
« Ces réactions font peur aux Marocains, surtout ceux qui sont venus pour gagner leur vie et qui ont des boulots modestes. Ils peuvent se faire insulter mais ils n’arrivent pas à répondre parce que leur statut social ne le leur permet pas, ou parce qu’ils ne maîtrisent pas assez l’espagnol », relève-t-il.
Lorsqu’une attaque frappe l’Europe, il remarque que les Marocains « sont toujours les plus touchés », en particulier lorsque, dans les médias espagnols l’accent est mis sur l’identité « marocaine » des assaillants. « Par expérience, le nombre d’incidents racistes augmente à chaque fois qu’il y a un attentat. Là, c’est encore plus sérieux parce que ça s’est passé en Espagne. Pourtant, les Espagnols sont en général plus tolérants et acceptent mieux la différence que les Français », note-t-il.
« La parole raciste s’est libérée »
Aujourd’hui, les musulmans rapportent que « la parole raciste s’est libérée », les groupes d’extrême droite et la ligne dure de la droite classique ne se cachent plus. Des ONG militant contre le racisme et l’islamophobie prévoient le pire et sur les réseaux sociaux, les internautes affirment que les actes islamophobes dépassent les réactions qui ont suivi les attentats de Madrid en 2004, le contexte jouant en faveur des groupes d’extrême droite qui ont su associer la crise des réfugiés et la multiplication des attentats en Europe.
« Nous sommes confrontés à une vague brutale d'islamophobie. Nous avons détecté de nombreux messages WhatsApp très violents. En 2004, la guerre en Irak avait aussi suscité des réactions mais l’islamophobie n’avait jamais atteint ce niveau » , déplore Esteban Ibarra, coordinateur de la Plateforme des citoyens contre l'islamophobie dans une déclaration au quotidien espagnol El País.
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Certains acteurs associatifs marocains en Espagne craignent que ces attaques poussent une partie de la communauté marocaine se renfermer sur elle-même.
C’est le cas de Hammad Badaoui. « Ce qui me fait le plus peur, ce ne sont pas ces agressions racistes orchestrées par l’extrême droite, mais l’effondrement de la confiance en la communauté marocaine, qui est une des plus importantes en Espagne », s’inquiète le militant. « Cette communauté peut se refermer sur elle-même en refusant tout contact avec son environnement, et cela ne peut que servir les mouvements extrémistes. »
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