Au Liban, la loi sur les disparus enfin votée
BEYROUTH – Certaines familles attendent depuis plus de 30 ans et il aura finalement fallu 1 h 30 pour faire avancer le dossier d’un grand pas en avant. Dans la nuit de lundi à mardi, malgré plusieurs tentatives de renvoi en commission, le Parlement a adopté les 38 articles du projet de loi visant à faire la lumière sur les disparitions forcées pendant la guerre civile libanaise (1975-1990).
« C’est un premier pas important qui vient d’être franchi, notamment pour les familles qui commençaient à perdre espoir », se réjouit auprès de MEE Justine Di Mayo, co-fondatrice de l’ONG Act for the Disappeared. « C’est la première fois depuis la fin de la guerre qu’il y a un processus de vérité et réconciliation qui se met en place au Liban. »
« C’est la première fois depuis la fin de la guerre qu’il y a un processus de vérité et réconciliation qui se met en place au Liban »
- Justine Di Mayo, Act for the Disappeared
La loi prévoit notamment la constitution d’une commission d’enquête nationale qui sera chargée de régler la question des disparitions. Elle sera composée de dix membres dont des représentants des associations des familles de disparus, un médecin légiste, des spécialistes en droit pénal et en droits de l’homme ainsi que d’un universitaire.
La loi garantit aussi le droit à l’information et à la protection des familles de victimes et définit les procédures à appliquer pour exhumer les dépouilles.
En 2014 déjà, le Conseil d’État du Liban, la plus haute instance administrative du pays, avait reconnu « le droit de savoir » des familles de disparus. Dans les années 2000, plusieurs commissions successives avaient été nommées sans jamais faire avancer la question des disparus.
« Les commissions de cette époque n’avaient aucune indépendance, elles ne représentaient pas les différentes parties prenantes, étaient composés d’officiers et disposaient d’un mandat très limité », explique à MEE Ghassan Moukheibeir, ancien député à l’origine du projet de loi.
« C’est la première fois que le Liban passe par la loi pour aborder la question des disparus. Des moyens financiers et juridiques vont enfin être mis à contribution pour identifier les fosses communes, exhumer les cadavres et les rendre à leurs proches. »
Champagne et vinaigre
La guerre civile libanaise a fait 150 000 morts et 17 000 disparus, dont la plupart reposeraient aujourd’hui dans des centaines de charniers à travers le Liban ainsi qu’en Syrie, où de nombreux Libanais ont été enlevés et incarcérés au cours de l’occupation syrienne du pays, qui a débuté en 1976.
« C’est une grande avancée pour les associations et les familles qui se battent depuis 30 ans. Mais on sait à quel point il est difficile de changer quoi que ce soit dans ce pays »
- Ghassan Moukheibeir, ancien député à l’origine du projet de loi
La localisation des charniers est l’autre grande question. Dès 2000, le gouvernement avait reconnu l’existence de trois fosses communes à Beyrouth, sans jamais prendre d’initiatives pour exhumer les corps ou sécuriser les sites.
Act for the Disappeared travaille depuis deux ans sur la localisation et la protection des fosses communes. « Nous transmettrons les informations que nous avons collectées à condition d’être certains de l’indépendance et de la transparence de la commission qui va voir le jour. À ce niveau, rien n’est gagné », prévient Justine Di Mayo.
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La méfiance plane en effet sur le succès du projet de loi. Dans une tribune du quotidien francophone L’Orient-Le Jour, l’éditorialiste Issa Goraieb évoquait mercredi matin les obstacles politiques auxquels la loi devra se confronter : « Plus d’une des milices locales qui s’affrontaient durant la guerre a fait connaître sa répugnance à voir rouvrir les sinistres placards à squelettes. Elles n’ont pas encore invoqué l’amnistie générale proclamée après la fin du conflit, mais comptez sur elles pour le faire au besoin. »
Ghassan Moukheiber, lui, veut croire à un tournant dans le dossier mais reste prudent : « C’est une grande avancée pour les associations et les familles qui se battent depuis 30 ans. Mais on sait à quel point il est difficile de changer quoi que ce soit dans ce pays. Pour l’instant, l’heure est au champagne. Mais on reste vigilant pour que ce ne soit pas le goût amer du vinaigre qui prenne le dessus. »
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