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Aux États-Unis, les musulmans noirs craignent d’être « touchés de manière disproportionnée » par le coronavirus

Victimes d’apartheid médical, économiquement plus vulnérables, ignorés par les études : les musulmans noirs américains apparaissent déjà, selon la société civile, parmi les plus touchés par la pandémie de coronavirus
Les musulmans noirs représentent un cinquième de tous les musulmans américains (AFP)
Par Vanessa Taylor à PHILADELPHIE, États-Unis

Aux États-Unis, les musulmans noirs craignent d’être plus exposés à la pandémie de coronavirus, car les cas continuent de grimper en flèche et les hôpitaux des communautés de couleur peinent à aplatir la courbe.

Plus de 22 000 personnes sont décédées du COVID-19 aux États-Unis et la pandémie n’en est même pas à son pic.

Alors que la crise s’aggrave, le manque d’accès à des soins de santé de qualité, à une assurance et à d’autres ressources essentielles donne le sentiment à la communauté qu’elle pourrait être parmi les plus touchées. 

Représentant un cinquième de tous les musulmans américains, les musulmans noirs se trouvent à plusieurs intersections et sont souvent invisibilisés à la fois dans la communauté noire et dans la communauté musulmane.

Le Dr Kameelah Rashad, codirectrice et fondatrice de la Muslim Wellness Foundation, explique à Middle East Eye que les musulmans noirs pourraient être témoins d’un taux alarmant de décès dans leur communauté en raison de décennies d’inégalités dans l’accès aux soins et de recherches comportant des biais raciaux.

« Nous sommes en quelque sorte une communauté invisible du tiers monde en plein Occident »

- Kameelah Rashad, fondatrice de la Muslim Wellness Foundation

La Muslim Wellness Foundation (MWF) et la Muslim Anti-Racism Collaborative (MuslimARC) ont lancé la National Black Muslim Covid Coalition pour aider la communauté à endiguer la maladie.

« De mon point de vue, les préoccupations des musulmans noirs ne sont pas suffisamment prises en compte », affirme Kameelah Rashad. « Parfois, l’hypothèse sous-jacente est que cela va faire du tort à une communauté déjà bien dotée en ressources… Nous sommes en quelque sorte une communauté invisible du tiers monde en plein Occident. »

La coalition naît alors que des villes comme Charlotte, en Caroline du Nord, signalent un nombre disproportionné de cas de coronavirus parmi les Afro-Américains, les résidents noirs représentant plus de 40 % des cas confirmés de COVID-19.

« À moins que nous ne nous mobilisions – et ne le fassions de manière efficace et efficiente – [les musulmans noirs] seront touchés de manière disproportionnée pendant une année où on prévoit un recensement et une élection présidentielle », souligne le docteur.

À la base, la coalition s’inspire du mouvement noir pour la liberté des années 1950 à 1970 et des mouvements pour la justice sociale. Sur son site internet, la coalition se décrit comme ancrée dans les cadres de l’engagement centré sur la guérison et du cycle de libération.

Une islamophobie anti-noire dans le secteur médical

L’objectif de la coalition consiste en partie de diffuser des informations précises et de partager les meilleures pratiques et ressources, telles que des fiches d’information en somali, en créole haïtien, en yoruba et dans d’autres langues.

Margari Hill, directrice exécutive de MuslimARC, relève qu’en raison du manque d’études et de recherches médicales sur les musulmans noirs, il n’y a pas suffisamment de données sur la communauté. 

Mais cela ne signifie pas qu’il est impossible de prédire comment les musulmans noirs seront touchés par le coronavirus. 

« Adhérer à la chahada [déclaration de foi musulmane] ne nous immunise contre aucune des vulnérabilités auxquelles les personnes noires sont confrontées », note Margari Hill, qui est également co-directrice de la National Black Muslim Covid Coalition. 

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Les hôpitaux des communautés à prédominance noire ont tiré la sonnette d’alarme au sujet du manque de fournitures, de personnel et de protection adéquats pour faire face à la pandémie.

Selon plusieurs rapports, les musulmans noirs vivent souvent dans des communautés qui subissent de plein fouet les fermetures d’hôpitaux et doivent naviguer dans l’islamophobie anti-noire dans le secteur médical. 

Selon les experts, la réticence du gouvernement à suivre l’évolution du virus par ethnie pourrait masquer une réalité sous-jacente essentielle : un nombre disproportionné de personnes noires décéderont.

Donna Neil-Demir, conseillère en santé pour la Zakat Foundation of America, affirme à MEE : « Nous avons toujours des soins de qualité inférieure. Nous n’avons pas accès aux activités des grands hôpitaux dans les quartiers de la classe moyenne ou de la classe moyenne supérieure. »

Le Dr Aswhin Vasan, un expert en santé publique, abonde dans son sens, dans USA Today : « Le virus est une crise d’égalité des chances… mais son impact et son fardeau ne seront pas également répartis. »

« Victimes malheureuses, jetables »

Les communautés musulmanes noires sont également économiquement vulnérables. En 2018, l’Institute for Social Policy and Understanding (ISPU) a constaté qu’un tiers des musulmans aux États-Unis vivent au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté, et les ménages musulmans noirs sont plus susceptibles de gagner moins de 30 000 dollars par an que les autres groupes ethniques musulmans. 

Alors que les États-Unis enregistrent une montée en flèche du taux de chômage, les travailleurs noirs, latinos et d’autres minorités sont également moins susceptibles de pouvoir télétravailler. 

On retrouve les musulmans noirs dans toutes les catégories démographiques : handicapés, à faible revenu, LGBTQ+, âgés, immigrants, réfugiés et incarcérés.

Alors que le coronavirus se propage dans les prisons et les centres de détention, il affecte les musulmans noirs. Comme certains plaident pour une surveillance accrue ou un pouvoir policier pour endiguer la pandémie, cela affecte également les musulmans noirs. 

« Nous n’avons pas accès aux activités des grands hôpitaux dans les quartiers de la classe moyenne ou de la classe moyenne supérieure »

- Donna Neil-Demir, conseillère en santé

Kameelah Rashad avertit : « Ce qui pourrait être un revers pour une communauté va être catastrophique pour la nôtre. »

Lorsqu’il s’agit de ces villes densément peuplées et d’autres, le docteur s’inquiète : « Nous serons considérés comme jetables, comme des malheureuses victimes de cette pandémie. »

La coalition ne se concentre pas uniquement sur la pandémie mais sur les séquelles. Pour l’instant, elle continue de rassembler des ressources pour les musulmans noirs sur le coronavirus et de coordonner des événements tels qu’un webinaire sur l’apartheid médical.

Et bien qu’elle se concentre sur ce qui semble être une petite population, Margari Hill affirme : « Lorsque vous aidez des personnes noires, vous aidez tout le monde. Se concentrer sur les musulmans noirs, qui sont confrontés à des oppressions qui se chevauchent et se recoupent, rendra la réponse au COVID-19 bien plus forte. »

Traduit de l’anglais (original) et actualisé par VECTranslation.

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