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Inculquer le racisme : la loi sur l’État-nation désormais officielle dans les programmes scolaires israéliens

À compter de cette rentrée, les élèves palestiniens en Israël seront obligés d’apprendre qu’ils valent « moins qu’un citoyen juif » et que « ce pays ne leur appartient pas »
« Imaginez à quel point c’est humiliant pour les élèves arabes d’avoir à apprendre cette information pour réussir leurs examens », demande un parent (AFP)
Par Lubna Masarwa à HAÏFA, Israël

Lecture, écriture et citoyenneté de seconde zone des Palestiniens en Israël : voilà ce qu’apprendront les élèves dans les salles de classe israéliennes cette année avec l’intégration au programme officiel de la loi controversée sur l’État-nation.

En août, le ministère de l’Éducation a annoncé que cette loi adoptée en 2018, qui codifie la suprématie juive dans le pays, serait un sujet obligatoire à partir de septembre.

Le ministre de l’Éducation, Rafi Peretz, estime qu’il est important d’enseigner la loi « qui démontre notre droit historique en tant que peuple souverain et constitue une base légale pour l’État d’Israël en tant qu’État-nation du peuple juif ».

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Cependant, éducateurs, psychologues et parents d’élèves palestiniens en Israël dénoncent cet ajout, qui forcera les enfants à apprendre qu’ils valent « moins qu’un citoyen juif » pour pouvoir aller à l’université.

La ségrégation est pratiquée dans le domaine de l’éducation en Israël : les élèves arabes et juifs vont dans des établissements primaires et secondaires séparés, sous l’administration du ministère de l’Éducation.

« Ils veulent enseigner à nos enfants que les juifs sont les propriétaires légitimes de cette terre et que nous sommes ici en tant qu’invités, qu’en tant qu’Arabes, ils n’ont pas le droit de vivre sur un pied d’égalité avec les juifs », déplore Jihad Abu Rayya, avocat et activiste politique à Haïfa, dont les enfants devront étudier la loi.

« Imaginez à quel point c’est humiliant pour les élèves arabes d’avoir à apprendre cette information pour réussir leurs examens. C’est ce qu’ils cherchent à faire avec cette loi : nous humilier. »

« Effacement de l’identité »

Israël a adopté la loi sur l’État-nation en juillet 2018. Ce texte inscrit la suprématie juive dans la Constitution en énonçant que « l’exercice du droit à l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël appartient exclusivement au peuple juif ».

Il affirme également que l’État « considère la colonisation juive comme relevant de l’intérêt national et travaillera à encourager et à promouvoir son établissement et son développement ».

D’autres clauses incluent le déclassement de l’arabe, qui passe de langue officielle à langue disposant d’un « statut spécial », rappellent que seuls les juifs peuvent immigrer et obtenir automatiquement la citoyenneté israélienne et que « le grand Jérusalem unifié est la capitale d’Israël ».

Tandis que la communauté internationale et les Israéliens de gauche ont condamné cette loi, la qualifiant de discriminatoire et de raciste, de nombreux membres de la communauté palestinienne en Israël ont fait valoir qu’elle codifiait simplement des politiques de longue date, analogues à celles de l’apartheid, à l’encontre des citoyens palestiniens du pays.

« C’est le summum de l’humiliation : vous contraindre à mentir en tant qu’élève pour pouvoir commencer votre vie en tant que jeune adulte »

- Jihad Abu Rayya, avocat et parent d’élève

À compter de cette année scolaire, cette loi sera enseignée à tous les lycéens dans le cadre des cours d’éducation civique et sera également un sujet obligatoire des épreuves du baccalauréat israélien que tous les lycéens doivent passer pour pouvoir étudier à l’université.

Selon les éducateurs et les parents, les cours d’éducation civique dispensés dans les écoles israéliennes étaient axés sur la judéité de l’État et de ses institutions avant même que la loi ne soit intégrée au programme.

Mais c’est la première fois, soulignent-ils, que les étudiants seront forcés d’apprendre et d’être testés sur des supports prônant explicitement la suprématie des juifs sur les non-juifs.

Peu de temps après l’annonce par le ministère de l’Éducation de sa décision, le comité régional de parents de la société arabe d’Israël a rejeté l’initiative.

« Cette loi contribue à effacer l’identité arabe authentique de notre société », a déclaré le comité dans un communiqué, appelant les citoyens palestiniens d’Israël à s’unir contre l’enseignement de la loi et à désobéir aux ordres du ministère.

« Matériel raciste »

Les citoyens palestiniens d’Israël représentent environ 20 % de la population totale du pays, et il y a environ 556 000 Palestiniens inscrits dans le secondaire.

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« Je ne crois pas qu’il existe un autre pays au monde qui encourage l’enseignement de tels matériels racistes qui prônent la suprématie et la colonisation exclusivement juives »

- Yousef Jabareen, membre du Parlement israélien

La population palestinienne en Israël est constituée des descendants de ceux qui sont restés sur leurs terres lors de la campagne de nettoyage ethnique menée par les milices sionistes pour établir l’État d’Israël par la force en 1948. Cet événement est connu sous le nom de Nakba pour les Palestiniens, ce qui signifie « catastrophe » en arabe.

Depuis lors, les Palestiniens qui ont réussi à rester et à obtenir un passeport israélien ont été confrontés à des politiques constantes de dépossession, de vol de terres, de violence et traités comme une cinquième colonne.

Selon Adalah, organisation de défense des droits de l’homme basée à Haïfa, il existe actuellement au moins 65 lois qui limitent les droits des Palestiniens dans tous les domaines, y compris la participation politique, la terre, le logement et l’éducation.

Yousef Jabareen, membre du Parlement israélien, affirme que l’intégration de la loi sur l’État-nation dans les programmes d’enseignement marque une grave escalade de la part du gouvernement, ce qui pourrait avoir des conséquences inattendues. 

Cette décision intervient, selon lui, non seulement parce que l’État colporte un récit exclusivement juif sioniste, mais aussi parce qu’il introduit l’apartheid dans l’éducation.

« Dans des circonstances normales, l’éducation civique est censée enseigner des valeurs démocratiques telles que les droits de l’homme et le droit à l’égalité en matière de citoyenneté », déclare Jabareen à MEE.

« Israël, au contraire, enseigne à l’élève qu’un juif dispose d’une suprématie nationale sur les autres minorités. Les élèves arabes apprendront que cette terre est réservée aux juifs et qu’ils doivent accepter leur infériorité et une citoyenneté de seconde zone ».

« Je ne crois pas qu’il existe un autre pays au monde qui encourage l’enseignement de tels matériels racistes qui prônent la suprématie et la colonisation exclusivement juives », ajoute-t-il.

Un précédent

Ce n’est pas la première fois que le matériel scolaire en Israël fait l’objet de controverses.

Il y a deux ans, le ministère de l’Éducation a rendu obligatoire un cours en ligne pour tout élève du secondaire souhaitant se rendre à l’étranger dans le cadre d’un voyage scolaire. Le cours, selon le ministère, visait à fournir aux étudiants des outils pour répondre aux questions qu’ils pourraient rencontrer à l’étranger.

Une question du cours demande : « Comment les organisations palestiniennes utilisent-elles les réseaux sociaux ? ». La seule réponse correcte est « pour inciter à la violence ».

Dans un autre passage du cours, Naftali Bennett, alors ministre de l’Éducation, déclarait dans une vidéo qu’Israël était « encerclé par environ un milliard d’Arabes et de musulmans » qui « ne veulent pas que ce petit pays survive », et explique que les juifs possèdent un droit exclusif sur cette terre.

Niveen Abu Rahmon, ancienne membre de la Knesset et experte en éducation, a enseigné l’éducation civique pendant dix ans. Elle déclare à MEE être convaincue que le système éducatif israélien est structuré de manière « totalement inadéquate pour un étudiant palestinien ».

« J’ai été convoquée et interrogée à plusieurs reprises en raison de mes opinions politiques », rapporte Niveen Abu Rahmon, ancienne membre de la Knesset et experte en éducation (MEE)
« J’ai été convoquée et interrogée à plusieurs reprises en raison de mes opinions politiques », rapporte Niveen Abu Rahmon, ancienne membre de la Knesset et experte en éducation (MEE)

« L’élève est éloigné de sa cause et de son identité, ce qui fait qu’il se sent exclu », explique-t-elle. « Cela a un impact négatif sur sa psychologie et sa capacité à bien réussir à l’école. »

Une question du cours demande : « Comment les organisations palestiniennes utilisent-elles les réseaux sociaux ? ». La seule réponse correcte est « pour inciter à la violence »

Au cours des dernières années, poursuit-elle, l’État a encouragé le discours sioniste le plus radical jamais entendu – pas seulement en matière d’éducation civique, mais également dans d’autres sujets tels que la géographie et l’histoire, où le passé du peuple palestinien, y compris la Nakba, est passé sous silence.

Yousef Jabareen abonde en ce sens. « La décision d’incorporer la loi sur l’État-nation dans le programme témoigne de cette tendance croissante à approfondir et à intérioriser ce discours. C’est la première fois que de telles définitions racistes et suprémacistes font partie des lois fondamentales d’Israël.

Impact psychologique

Munib Khaled, professeur d’histoire à Sakhnin, une ville à majorité palestinienne située dans le nord d’Israël, indique à MEE que cette décision place les écoles et les enseignants entre le marteau et l’enclume.  

« D’un côté, nous avons la responsabilité de nous assurer que nos élèves réussissent leurs examens », déclare-t-il. « D’un autre côté, je vais être contraint de m’opposer à mes idéaux et de dire à mes étudiants [palestiniens] qu’ils sont des citoyens de seconde zone et qu’ils constituent une minorité, tandis que les étudiants juifs sont plus privilégiés et ont plus de droits. Comment pensez-vous que cela va tourner ? »

Niveen Abu Rahmon, le sourire aux lèvres, déclare se sortir de cette situation en disant à ses élèves « que la professeure d’éducation civique est une menteuse et que le programme d’éducation civique est un mensonge et que j’enseigne cette matière parce que c’est le seul moyen pour eux de réussir et d’être acceptés dans les universités. »

« Sur le plan personnel et psychologique, enseigner cette matière est très difficile. Je pense avoir une responsabilité morale et éthique et une responsabilité nationale envers les élèves », ajoute-t-elle.

En Israël, les services de sécurité intérieure de l’État collaborent avec le ministère de l’Éducation pour passer au crible et nommer les enseignants et directeurs d’établissements et surveiller la mise en œuvre du programme dans les écoles palestiniennes.

« L’atmosphère générale dans le système éducatif est intimidante », estime Niveen Abu Rahmon. « J’ai été convoquée et interrogée à plusieurs reprises en raison de mes opinions politiques. »  

« Cela équivaut à une exploitation psychologique de l’élève et s’apparente aux enfants qui sont exposés à la violence »

- Hazar Hijazi, psychologue

La psychologue Hazar Hijazi estime que les écoles sont censées préparer les élèves à la vie et créer un espace sûr pour la créativité. Or à l’heure actuelle, note-t-elle, elles produisent l’effet inverse.

« Forcer nos élèves à apprendre une loi qui limite leur espace personnel et leur dit qu’ils sont limités crée un conflit », déclare la spécialiste.

« Le système éducatif enseigne à l’élève qu’il n’est pas un être humain à part entière et qu’il vaut moins qu’un juif, que son identité, sa culture et son humanité ne sont pas reconnus. Cela équivaut à une exploitation psychologique de l’élève et s’apparente aux enfants qui sont exposés à la violence. »

Encourager la haine

Pour Jihad Abu Rayya, le nouveau programme n’est que le dernier développement dans un État qui a généré une lutte intérieure chez des parents comme lui, tiraillés entre leur identité et leur histoire d’une part et leur besoin de garantir un avenir à leurs enfants en s’impliquant dans les institutions de l’État d’autre part.

« Vous devez dire des choses auxquelles vous ne croyez pas. Vous devez savoir que ce pays ne vous appartient pas. Vous devez admettre que le peuple juif vous est supérieur », déplore-t-il.

Néanmoins, l’idée que ses enfants seront explicitement exposés à la loi est particulièrement humiliante.

« J’ai élevé mon fils de sorte qu’il connaisse l’origine palestinienne de cette terre. Cependant, pour qu’il puisse passer son bac, il doit écrire de sa propre main que les juifs ont plus de droits sur cette terre que lui – qu’il n’a pas droit aux mêmes avantages que les juifs », poursuit-il.

Jihad Abu Rayya, avocat et militant politique, et son épouse, la psychologue Hazar Hijazi (MEE)
Jihad Abu Rayya, avocat et militant politique, et son épouse, la psychologue Hazar Hijazi (MEE)

« C’est le summum de l’humiliation et la légalisation de la discrimination : vous contraindre à mentir en tant qu’élève pour pouvoir commencer votre vie en tant que jeune adulte. »

À la lumière de la situation actuelle, un groupe de professeurs d’éducation civique a lancé une initiative visant à introduire du matériel alternatif intégrant l’histoire, l’identité et les valeurs palestiniennes, ce que beaucoup considèrent comme une responsabilité morale.

Jabareen explique : « Nous espérons que tous les professeurs d’éducation civique s’opposeront à l’enseignement de cette nouvelle loi jusqu’à ce que le ministère subisse suffisamment de pression pour revenir sur sa décision. »

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Dans le même temps, continue-t-il, il s’inquiète non seulement de l’impact du nouveau programme sur les étudiants palestiniens en Israël, mais également sur leurs camarades juifs.

« Cela les incitera à haïr les Arabes et les autres », pense-t-il. « Cela revient à encourager [les élèves juifs] à adopter une mauvaise attitude, à traiter les Palestiniens comme des ennemis et à être plus haineux. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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