Avant la bataille de Mossoul, les groupes rivaux cherchent à se positionner dans l’Irak post-EI
MAKHMOUR, Irak – Le soleil descend à l’horizon alors qu’une longue file de semi-remorques remontent vers la prochaine base militaire de Makhmour, une ville poussiéreuse au nord de l’Irak. Garé sur le côté de la route, le convoi s’étend à perte de vue, avec sa cargaison mortelle imposante face au jour qui décline.
Attachés à l’arrière des camions, les châssis massifs de voitures blindées noires s’étendent, telle une menace, pendant que les soldats se détendent, assis sur les capots, en tournant autour des camions en petits groupes.
Habillés de treillis noirs et de tee-shirts à l’insigne de leur unité, les hommes ont la démarche assurée qui convient à l’unité la plus crainte en Irak, celle de la fameuse Golden Division. Ils vivent là leur dernière halte sur le chemin vers les lignes de front près de Mossoul, d’où ils lanceront l’offensive sur la ville, tombée aux mains de l’État islamique (EI) en 2014.
Cette unité d’élite, qualifiée officiellement de forces spéciales irakiennes, a remporté des victoires significatives sur l’EI à Ramadi, Hit et Falloujah. Dans la bataille pour Mossoul, la Golden Division mènera encore les troupes. Que ces unités aient été transférées de Bagdad et du camp militaire de Speicher près de Tikrit vers le front de Mossoul indique que les combats sont imminents.
« Nous nous sommes battus partout », raconte Samar, un soldat assis à l’arrière du chargement camouflé d’un camion. Son unité a mené la dernière offensive à Falloujah, reprise à l’EI après six semaines de combats sanglants en juin.
« Mossoul est la dernière bataille. Ce sera facile », affirme-t-il à Middle East Eye, confiant.
Du rôle des peshmergas kurdes
Mais l’armée irakienne ne prend pas beaucoup de risques. Les hommes et le matériel sont mobilisés depuis des jours, rassemblés à des points d’étape sur les lignes de front autour de Mossoul. Le rassemblement s’est terminé le 15 octobre, selon le brigadier général Najim Jubouri, le commandant responsable de l’opération de Mossoul.
Les préparatifs de l’opération sur Mossoul ont débuté lorsque l’armée irakienne a commencé à repousser l’EI de Makhmour, en mars dernier, pour finalement établir une tête de pont sur le Tigre, et s’allier aux forces qui ont nettoyé la ville de Qayyarah et sa base aérienne stratégique.
Qayyarah, à 40 kilomètres de Mossoul, sera une étape dans l’attaque de la zone s'étendant au sud du Tigre, pendant que les lignes de front kurdes chevauchant la ville serviront de base de lancement sur la rive nord du fleuve. Les peshmergas kurdes devraient rejoindre l’offensive sur Mossoul depuis le nord et le nord-est, mais s’arrêter juste avant l’entrée de la ville.
Le gouvernement régional du Kurdistan (KRG) n’a pas fait un secret de ses intentions d’incorporer les régions nord de la ville à sa zone autonome, mais cela n’empêchera pas les peshmergas de se battre aux côtés de l’armée irakienne.
D’autres acteurs, dont l’enthousiasme est moins bien accueilli sur les lignes de front, sont toutefois censés jouer un rôle clé dans la campagne. En concurrence pour l’influence dans le Mossoul post-EI, ces acteurs pourraient compromettre le plan de bataille, retarder l’opération et compliquer davantage le processus de construction de la paix en Irak une fois que le califat autoproclamé aura été vaincu.
Moussoul, clé d'une réconciliation entre sunnites et chiites
Avec son statut de ville sunnite la plus importante d’Irak, Mossoul, incarne la clé de la réconciliation entre les sunnites et les chiites. Si les attaquants ne parviennent pas à minimiser les dommages collatéraux, ou se retrouvent impliqués dans des atrocités au nom de la différence confessionnelle, la faille entre les confessions pourrait s’agrandir au point de conduire à un éclatement de l’Irak, la plus grande crainte des représentants occidentaux.
L’armée a reçu de fermes instructions pour que les dégâts parmi la population de Mossoul restent aussi faibles que possible. Il sera demandé aux civils de rester dans leur maison pendant les combats. S’ils essaient de partir de la ville, ils seront conduits en sécurité à travers des corridors humanitaires.
« Les Occidentaux sont convaincus que s’il y a un massacre, si Mossoul est détruite, ils ne seront pas en mesure de réconcilier le pays », a confié un haut-représentant occidental.
Jusqu’ici, l’armée irakienne n’a rien fait pour attiser les tensions confessionnelles dans sa progression vers Mossoul. Après deux ans de règne brutal de l’EI, les civils dans les villes et les villages des plaines de Ninive entourant la ville ont accueilli les militaires comme des libérateurs, et l’armée a fait le maximum pour fournir de la nourriture et des services de base.
Mais ces instructions ne seront probablement pas suivies de la même manière par une autre force qui attend impatiemment la bataille de Mossoul, les milices chiites d’Irak. Plusieurs chefs de ces milices, connues sous le nom de Hashd al-Shaabi ou les Unités de mobilisation populaire (UMP), ont annoncé qu’ils prendraient part à l’opération de reconquête de la ville. Avec des dizaines de milliers d’hommes sous son commandement, et des liens étroits avec l’Iran, il va s’avérer compliqué pour le gouvernement central d’Irak de contrôler ces groupes qui disposent de dizaines de milliers d'hommes et de liens étroits avec l'Iran.
Une rôle plus actif pour la Turquie
Hashd al-Shaabi s’est révélée importante dans les combats contre l’EI – mais il existe contre elle des preuves solides de violations des droits de l’homme à presque chaque endroit où elle a opéré. À Falloujah, les combattants des UMP ont été accusés d’avoir tué et torturé les civils qui cherchaient à fuir les combats.
Si les milices chiites rejoignent la bataille, la défense de la ville risque d’être renforcée, les défections au profit des forces entrantes étant moins improbables et les habitants terrifiés risquant de se tourner vers l’EI pour y trouver une protection contre la menace chiite pressentie. Leur présence pourrait jouer en faveur des combattants de l'EI qui ont sans cesse cherché à embraser les tensions confessionnelles en Irak à chaque fois.
Cela pourrait aussi tenter la Turquie de jouer un rôle plus actif dans la campagne, selon Atheel Nujaifi, ancien gouverneur de la province de Ninive, qui se félicite des relations étroites avec Ankara.
Nujaifi a été relevé de ses fonctions dans le sillage de la prise de pouvoir de Mossoul par l’EI, mais reste une personnalité influente sur la scène politique irakienne. Il a formé une milice qui reçoit de l’argent et une formation militaire de l’armée turque sur une base située juste derrière les lignes de front kurdes. Connue sous le nom de Hashd al-Watani, cette milice comprend plusieurs centaines d’hommes formés par un contingent turc bien armé, retranché près de la ville de Bashiqa, aux mains de l’EI.
L’ancien gouverneur espère que ses hommes prendront aussi part à la bataille ou seront déployés pour surveiller la ville une fois l’opération terminée, et ainsi accroître son influence dans Mossoul après le départ de l’EI.
Escalade des tensions
Pour lui, les troupes turques sont une barrière contre les atrocités possibles des milices chiites.
« Si Hashd al-Shaabi ne participe pas à la bataille alors la Turquie non plus. Mais si elle participe, alors les forces turques atteindront la ville avant elle », explique Nujaifi à MEE.
Mais la base turque a provoqué la colère de Bagdad qui a appelé à plusieurs reprises Ankara à retirer ses troupes avant l’offensive de Mossoul. La Turquie a catégoriquement refusé de satisfaire cette demande. En guise de réponse, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a proféré des insultes à l'encontre du Premier ministre irakien Haïder Abadi.
Alors que la confrontation se fait de plus en plus houleuse, Hashd al-Shaabi a détourné à son profit l’argument de Nujaifi. En dépit de leurs exigences publiques, les milices chiites devaient rester positionnées en dehors du terrain d’opération, mais pointent maintenant le refus de la Turquie de quitter l’Irak comme une raison pour entrer dans Mossoul.
« La présence des forces turques à Mossoul va améliorer le niveau des UMP », explique Haitham al-Mayahi, un conseiller de Hadi al-Ameri, chef de l’organisation Badr, une des plus importantes milices chiites.
« Leurs forces militaires [turques] ne sont pas dans notre pays en tant que conseillers. Ce sont des soldats et des occupants avec des armes », ajoute al-Mayahi en prévenant que si la Turquie ne retirait pas ses troupes, elle serait vue comme « un autre ennemi, à l’image de l’EI ».
Avec cette rhétorique de plus en plus enflammée, l’armée irakienne s’inquiète du risque que cette escalade des tensions ne fasse dérailler la campagne.
À la question « Les UMP vont-elles prendre la route de Mossoul ? », le colonel Faris Sabri, porte-parole de l'armée irakienne à Makhmour a répondu sur un ton brusque : « Ne posez plus cette question ».
Traduit de l'anglais (original).
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