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Bataille de Mossoul : comment l’EI rend la vie dure aux forces d’élite irakiennes

Dans la lutte pour la deuxième ville d’Irak, les forces d’élite irakiennes admettent lutter contre les ressources inépuisables de l’EI en kamikazes

Un membre des forces spéciales irakiennes fait le V de la victoire derrière le blindage de son véhicule, à Mossoul (Reuters)

MOSSOUL, Irak – Jassem Mohammed est un homme minuscule qui porte toujours son fusil d’assaut M4 sur lui. Vêtu de noir – la couleur caractéristique de son unité d’élite – il porte fièrement une sangle pendouillant autour de ses hanches. Elle sert à l’attacher à l’hélicoptère pendant les missions aéroportées, mais c’est également un symbole de fierté arboré par les troupes antiterroristes luttant contre l’État islamique (EI) à Mossoul.

Les forces spéciales irakiennes, plus communément appelée la Division d’or, combattent dans la deuxième plus grande ville d’Irak depuis le 1er novembre. C’est un combat éreintant, horrible : les militants sont un ennemi résilient et téméraire, se cachant parmi la population pour lancer des véhicules piégés et des obus de mortier.

Dans le quartier de Samah à Mossoul, un petit garçon mange de la soupe de farine, mélangée avec du pain, car les ressources viennent à manquer (Florian Neuhof/MEE)

Les soldats des forces spéciales ne sont pas de ceux qui se défilent. Les combattants d’élite ont vaincu l’EI de manière décisive dans un certain nombre de batailles importantes (Baïji, Ramadi, Falloujah, Hit) et sont de nouveau le fer de lance tandis que l’Irak cherche à éliminer la menace insurrectionnelle à Mossoul. Leur moral reste élevé, leur arrogance intacte.

Toutefois, la Division d’or n’est pas à l’abri de l’intensité du conflit. Alors que ses commandants refusent d’évoquer des victimes, un ballet régulier de Humvees achemine morts et blessés vers un hôpital de campagne dans le quartier de Gogjali, juste en dehors de Mossoul, pendant les périodes de combats intenses.

Conduisant à toute allure sur les chemins de terre qui relient Gogjali à Mossoul, les Humvees soulèvent d’énormes nuages de sable fin qui définit le paysage stérile autour de la ville. À l’hôpital, des soldats couverts de poussière soulèvent des corps drapés dans des couvertures à l’arrière des véhicules ou aident des camarades blessés à descendre.

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Parmi eux se trouve Amjad Hamid, le tireur du Humvee conduit par Jassem. Pendant un combat dans le quartier d’Aden à Mossoul, Amjad a été gravement blessé par un lance-roquettes alors qu’il était aux commandes de la tourelle de la voiture blindée. Après être arrivé à Gogjali, il a été transféré vers un hôpital d’Erbil, où il est toujours dans un état critique.

« Cela me dérange », confie simplement Jassem, quand on lui pose des questions sur le sort de son ami et camarade, ses yeux révélant sa blessure.

« Le problème, ce sont les voitures piégées »

Trois jours plus tard, Jassem avançait à nouveau à travers le dense tissu urbain de l’est de Mossoul quand une grenade a rebondi sur la tourelle pour tomber sur le capot du moteur. L’explosion a dévasté le radiateur et mis le feu au bloc moteur. Jassem a réussi à ramener le pesant Humvee vers les lignes irakiennes avant qu’il ne s’arrête.

L’EI connaît les points faibles de ces véhicules de combat fabriqués aux États-Unis. Il dirige ses tirs sur les radiateurs à l’avant et sur le capot

Le véhicule usé est désormais entre les mains d’Omar Khaleel, un mécanicien qui s’est établi à la base du bataillon à Gogjali. Omar, un homme corpulent, qui aime frapper avec une lourde matraque sur les véhicules confiés à ses soins (« Si j’épuise mes munitions, je l’utiliserai pour combattre », a-t-il plaisanté), a été très occupé dernièrement.

Il travaille sur deux Humvees endommagés dans les combats. En tant que conducteur, Jassem reste à la base jusqu’à ce que son véhicule puisse regagner la bataille une fois de plus : le reste de son équipe est en ville, combattant à pied.

L’EI connaît les points faibles de ces véhicules de combat fabriqués aux États-Unis. Il dirige ses tirs sur les radiateurs à l’avant et sur le capot. Omar a entièrement enlevé la partie avant du véhicule, retiré le radiateur détruit et attend l’arrivée de pièces de rechange. C’est le quatrième Humvee de son bataillon qu’il a été contraint de réparer dans la semaine, explique-t-il. Certains véhicules sont si endommagés qu’ils sont bons pour la casse.

Des habitants de Mossoul courent vers un guide des forces spéciales pour se mettre en sécurité dans le quartier de Samah (Florian Neuhof/MEE)

« Il nous faut davantage de Humvees, nous en perdons beaucoup », a déclaré Amar, le conducteur de l’autre véhicule envoyé pour réparations.

Les forces spéciales ont été créées avec l’aide des forces spéciales américaines pour s’occuper de l’insurrection qui a frappé l’Irak après l’invasion de 2003. Spécialisées dans les raids sur les cachettes présumées des combattants, les soldats d’élite ont l’impression d’être bien équipés pour le combat urbain de la bataille de Mossoul. Pourtant, ils reconnaissent qu’ils sont aux prises avec les ressources apparemment infinies de l’EI en kamikazes.

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« C’est le combat pour lequel nous avons été entraînés. Mais nous n’avons pas été formés sur la façon de faire face aux voitures piégées », explique Amar. Le capitaine Hamza, qui voyage dans le même Humvee qu’Amar, est d’accord avec son collègue.

« Les voitures piégées sont le problème : un tireur d’élite ou une mitrailleuse peut éliminer un homme, mais un véhicule piégé peut en tuer vingt. Lorsqu’une colonne descend une rue, il y a six coins de rue d’où ils pourraient venir », a-t-il indiqué.

Pourquoi les forces irakiennes veulent davantage de bulldozers

À Kirkukli, une base avancée de leur unité dans le voisinage de Mossoul, les soldats sont protégés des kamikazes et de leurs véhicules piégés par des barricades de terre qui ont été érigées pour couper les chemins latéraux qui mènent à une rue. Là, un groupe de Humvees noirs est garé devant la maison qui sert de poste de commandement.

À chaque extrémité de la rue, d’autres Humvees ont été garés pour bloquer la route. Les bulldozers de combat qui éliminent les obstacles et érigent rapidement des barricades sont de plus en plus importants – et de plus en plus rares.

« Je me suis dit : ‘‘Si je lui tire dessus, comment le justifier face à Dieu ?’’ » – un capitaine des forces spéciales irakiennes

« Les véhicules dont nous avons le plus besoin, et les véhicules que nous perdons le plus, sont les bulldozers », a déclaré Hamza. Les véhicules de construction civils, recouverts d’acier et de verre pare-balles et peints en noir, font partie de toute incursion en territoire ennemi.

À la base de Kirkukli, les soldats observent les hommes, les femmes et les enfants qui passent. Regroupés par familles, avec à leur tête un porteur de drapeau blanc, les autres suivant, chargés de sacs faits à la hâte, les civils se déplacent constamment dans les zones situées juste derrière la ligne de front.

Certains cherchent à quitter la ville, mais beaucoup fuient seulement vers les zones où la menace des tirs de mortiers et des voitures piégées de l’EI est réduite. D’autres se promènent simplement autour de leur voisinage, essayant d’ignorer les coups de feu et les explosions qui éclatent autour d’eux.

Les civils sont transportés de Gogjali vers un camp de déplacés (Florian Neuhof/MEE)

Comme le gouvernement et le secteur humanitaire n’ont pas réussi à se préparer à un exode massif de civils quittant la ville, Bagdad a conseillé aux habitants de Mossoul de rester sur place. De nombreux civils dans les quartiers libérés ont suivi ce conseil. Mais l’EI empêche la population de quitter les zones sous son contrôle, qui restent entièrement habitées.

Lors des batailles précédentes, la Division d’or a battu l’EI dans des villes vidées de leur population. Ici, la présence civile à Mossoul paralyse les forces irakiennes. Les sympathisants de l’EI se cachent parmi la population libérée et sont difficiles à identifier dans la zone de combat. Les forces spéciales se méfient des kamikazes se cachant parmi les habitants et soupçonnent que des espions gardent l’EI bien informé de leurs positions et de leurs mouvements.

Hamza raconte qu’alors qu’il balayait une zone de combat avec la lunette de son fusil de, il a aperçu un homme arpenter un toit. L’homme était probablement un guetteur combattant, mais il était désarmé. Ne sachant pas quoi faire, le capitaine a finalement renoncé à appuyer sur la gâchette.

« Je me suis dit : ‘‘Si je lui tire dessus, comment le justifier face à Dieu ? », a-t-il rapporté.

Où les stratèges irakiens se sont trompés

Le risque de tuer des civils a réduit au minimum les tirs d’appui dans la bataille de Mossoul, ralentissant considérablement l’avancée.

« Le problème a toujours été la dépendance excessive à la puissance aérienne, qui au moment où [la bataille de] Mossoul a commencé, n’avait pas encore été surmontée », analyse Michael Stephens, chef du Royal United Services Institute Qatar.

« Il est vraiment difficile de cibler Daech dans certaines de ces zones sans causer d’énormes pertes civiles » – Michael Stephens, Royal United Services Institute Qatar

« La Division d’or ne peut compter que sur peu d’artillerie et presque aucun soutien aérien. Il est vraiment difficile de cibler Daech dans certaines de ces zones, sans causer d’énormes victimes civiles. Daech n’a pas de tels scrupules et donc nous avons un déséquilibre tactique. »

Les combattants qui se défendent sont également aidés par le fait que les forces irakiennes n’ont pas réussi à mener une attaque concertée contre Mossoul. Alors que les forces spéciales avancent obstinément dans l’est de Mossoul, la 9e Division blindée se déplace lentement à travers le quartier Intisar au sud-est. Mais la 16e Division n’est pas parvenue à prendre Mossoul au nord et la 15e Division est encore à plusieurs kilomètres des limites de la ville sur la rive sud du Tigre, qui dissèque la ville.

Un habitant regarde un char de l’armée irakienne dans le quartier de Samah à Mossoul (Florian Neuhof/MEE)

Puisque ses défenses ne sont pas mises à l’épreuve, l’EI est en mesure de lancer des hommes et du matériel sur la Division d’or, qui paie le fait d’être la force la plus efficace d’Irak.

Les haut-commandants des forces spéciales suggèrent qu’ils ont été victimes d’une mauvaise planification et de décisions prises sur des motivations politiques.

Le Premier ministre Haider Abadi a été mal conseillé lorsqu’il a signé le plan de bataille, a déclaré un colonel qui s’est confié à MEE sous couvert d’anonymat. L’un des défauts majeurs était que la route vers la Syrie n’a pas été fermée rapidement et qu’elle n’est coupée que maintenant et lentement par les unités de la milice chiite qui avancent dans la ville de Tel-Afar, près de la frontière.

Le Premier ministre a également insisté sur le fait que le groupe d’élite, sous son commandement direct, avance sans tenir compte des progrès réalisés par le reste de l’armée, selon le colonel.

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« Abadi a dit à la Division d’or de pénétrer dans Mossoul dès que possible et de ne pas cesser d’avancer », rapporte-t-il à MEE.

L’avancée déséquilibrée dans Mossoul n’est pas simplement le résultat d’une maladresse stratégique, mais reflète aussi l’insuffisance de l’armée irakienne.

« On a trop compté sur la Division d’or, ce qui a entraîné une approche disjointe de l’offensive, mais cela résulte en partie des circonstances plutôt que d’une mauvaise planification », souligne Stephens. « Les ressources dont nous avons besoin pour mener à bien la mission sont ce qu’elles sont et nous ne pouvons pas changer cette combinaison de forces. »

Si les forces irakiennes pouvaient resserrer effectivement le nœud autour de Mossoul, la bataille serait bientôt terminée, estime Hamza.

« Si nous attaquions Mossoul de tous côtés, la ville tomberait en quinze jours dans le pire des scénarios. »

Jassem Mohammed et son Humvee endommagé à la base militaire irakienne de Gogjali (MEE/Florian Neuhof)

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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