Bataille de Mossoul : « Nous le tuerons probablement plus tard. Les prisons sont pleines »
MOSSOUL, Irak – Des centaines d’hommes sont accroupis sur le béton mouillé d’une ancienne cour de mécaniciens transformée en centre de contrôle improvisé pour les habitants de Mossoul en fuite. Certains sont pieds nus ou en chaussettes, recouverts de boue, et beaucoup frissonnent de froid. La plupart ont marché pendant des heures toute la nuit à travers les lignes de front des combats entre les forces irakiennes et l’État islamique (EI) pour atteindre un lieu sûr.
À travers la fenêtre d’un camion, un soldat irakien des forces spéciales vérifie les cartes d’identité auprès d’une base de données informatisée répertoriant des centaines de membres connus de l’EI, tandis qu’un lieutenant passe entre les hommes accroupis, les exhortant à désigner les collaborateurs de l’EI qui se dissimuleraient parmi eux.
« Daech est venu ici d’autres pays pour vous tuer. Même maintenant, les Tchétchènes de l’EI larguent des obus de mortier sur vos maisons », crie-t-il. « Nous sommes venus du sud de l’Irak pour vous sauver, soyez donc francs avec nous et dites-nous qui parmi vous ici était avec Daech. »
Daech est venu ici d’autres pays pour vous tuer… soyez francs avec nous et dites-nous qui parmi vous ici était avec Daech – Un soldat irakien à Akrab
Il s’agit du centre de contrôle d’Akrab, à une petite dizaine de kilomètres en dehors de Mossoul, où les forces spéciales irakiennes et les unités de lutte contre le terrorisme débusquent les militants de l’EI qui fuient maintenant la ville, déguisés en civils.
Mohammed, qui n’a pas plus de 14 ans, admet qu’il a travaillé dans une usine de bombes de l’EI et plus tard à un de leurs points de contrôle. « Je n’ai pas combattu ni tué », précise-t-il hâtivement. « Je travaillais seulement avec eux pour l’argent. »
Après avoir reçu des cigarettes, il se tient près des soldats, fumant et se donnant l’air important.
Un homme en uniforme militaire, les traits cachés par un foulard enveloppé autour de son visage, déambule lentement parmi les hommes. C’est apparemment un officier de renseignement de Mossoul. Beaucoup de soldats couvrent leurs visages – s’occuper de suspects de l’EI dont les amis ou les parents peuvent encore se battre pour l’EI à Mossoul est un travail dangereux.
Quatre suspects sont éliminés et envoyés face à un mur pendant un quart d’heure. Quelques autres sont sélectionnés. Ils sont tous dirigés vers l’arrière du centre de contrôle, où plusieurs conteneurs métalliques servent désormais de salles d’interrogatoire de fortune.
Un soldat indique à MEE que jusqu’à 30 des quelque 3 000 personnes fuyant Mossoul chaque jour sont identifiées comme membres de l’EI dans ce centre de contrôle. Il y a eu 24 arrestations la veille.
La pluie tombe plus drue, éteignant la fumée toxique d’un pneu incendié qui avait fourni un peu de chaleur. Le bruit de tirs résonne dans l’air. Le centre de contrôle d’Akrab est à quelques kilomètres de la ligne de front.
« Où est Omar Mahmoud ? », crie le lieutenant des forces spéciales, s’éloignant des conteneurs. Un nouveau suspect a été identifié par un des prisonniers.
« Asseyez-vous et ne parlez pas. Écoutez-moi bien. Qui est Omar Mahmoud ? » Les hommes ont le regard fixé piteusement devant eux, ayant l’air totalement vaincus. Et le lieutenant perd patience.
Si j’appelle votre nom et que vous ne venez pas ici, je vous briserai le crâne avec cette matraque – Un soldat irakien des forces spéciales
« Si j’appelle votre nom et que vous ne venez pas ici, je vous briserai le crâne avec cette matraque », dit-il en brandissant sa matraque en l’air. « Si je trouve votre nom sur notre ordinateur, je vais vous botter le derrière. »
Un homme qui n’a pas encore la trentaine vêtu d’un survêtement brun se fraie un chemin dans la masse blottie, souriant gaiement comme s’il avait remporté un prix. Le lieutenant le regarde fixement et demande doucement : « Je t’appelle depuis des lustres, pourquoi n’es-tu pas venu avant ? »
L’homme, qui admet avoir été un émir subalterne au sein de l’EI, est pris à part. Le lieutenant leur allume des cigarettes à tous deux et commence ce qui passe à Akrab pour du bavardage.
« Dis-moi, avec combien de femmes as-tu eu des rapports sexuels, quand tu étais avec l’EI ? » L’émir sourit et répond : « Aucune, c’est interdit. »
Le lieutenant aspire une profonde bouffée sur sa cigarette, avant d’insister : « Allez, dis-moi la vérité. »
L’émir de l’EI rit et avoue : « D’accord, oui, beaucoup. »
Lorsqu’ils ont fini leurs cigarettes, un soldat passe son bras autour des épaules de l’émir de l’EI et le fait lentement traverser la cour en béton vers les salles d’interrogatoire.
« Nous allons l’interroger et probablement le tuer plus tard », indique un autre soldat, dont la ceinture est ornée d’un tas de liens blancs servant à entraver les prisonniers. « Les prisons de Bagdad sont pleines. »
Deux des suspects de l’EI sont ramenés depuis les conteneurs et envoyés au contrôleur de base de données pour un deuxième contrôle d’identité. « Ils portent probablement les mêmes noms que certains types de l’EI – cela arrive parfois », explique un soldat. Tous deux rejoignent le groupe d’hommes qui ont passé les contrôles.
« S’il vous plaît, si vous êtes quelqu’un de bien, dites-nous s’il y a un membre de Daech ici parmi vous », demande le lieutenant, changeant de cap.
« Ceux qui ont rejoint Daech et ont apprécié cela sont des gens dégoûtants, ils ont vendu vos femmes – vos épouses, vos sœurs – devant vous, nous sommes venus du sud de l’Irak pour vous sauver, mais vous restez silencieux. Honte à vous ! »
Un homme âgé se lève lentement de la foule. « Nous vous aimons et nous vous remercions, et si vous avez des problèmes dans le sud à l’avenir, nous viendrons vous aider », affirme-t-il d’un ton sincère avant de se rassoir.
Nous vous aimons et nous vous remercions, et si vous avez des problèmes dans le sud, nous viendrons vous aider – Un vieil homme en attente de contrôle
Certains d’entre eux acquiescent.
Un des suspects de l’EI est ramené des conteneurs, portant une chemise de l’armée et une cagoule pour protéger son identité. Pieds nus, il marche lentement parmi les hommes accroupis sous la pluie pour identifier quiconque il reconnaîtrait comme collaborateur de l’EI.
Les heures passent et aucun signe du reste des suspects de l’EI.
On entend juste faiblement le bruit des cris provenant des salles d’interrogatoire. Mohammed, l’enfant à qui on a plus tôt donné des cigarettes, n’a pas encore été arrêté – mais il semble nerveux.
Changeant son histoire, il tente de dire à un soldat qu’il n’a pas travaillé dans une fabrique de bombes et qu’il a passé un peu de temps sur un point de contrôle de l’EI une fois. Le soldat le regarde avec mépris et s’éloigne.
« C’est drôle comme ils ont tous travaillé seulement aux postes de contrôle », murmure le soldat.
La file d’attente pour les contrôles d’identité avance péniblement.
Un membre de l’ancien conseil local de Mossoul arrive, son costume immaculé et ses chaussures brillantes s’opposant à la misère boueuse du centre de contrôle. Il se dirige vers les conteneurs et s’arrête.
« Pourquoi tu viens maintenant ? Pourquoi tu n’es pas venu avant combattre pour ta ville ? » demande un des soldats, fatigué par des mois de combats et de frustrations. « Nous venons du sud, nous nous battons pour vous et vous ne faites rien. »
Le membre du conseil local a l’interdiction de voir les prisonniers et est contraint de quitter le centre.
D’autres coups de feu retentissent dans l’air. C’est peut-être à moins d’un kilomètre de là. Quelqu’un explique que les tensions se sont accrues après la découverte d’un engin explosif improvisé dans un sac de réfugié près du centre de contrôle la veille.
Les gens arrivent en mauvaise condition physique à cause des intempéries et de la malnutrition – Azar, médecin de campagne irakien
Il a été désamorcé, mais a mis en évidence une faille de sécurité entre Akrab et la périphérie de Mossoul, où les sacs de tous les civils en fuite devraient être minutieusement fouillés.
« L’Irak n’a jamais été comme ça, si vous partez en vacances dans un autre pays, ils vont vous arrêter à l’aéroport parce qu’ils n’aiment plus les Irakiens », explique le lieutenant aux hommes assis, sur un ton désespéré.
« La question n’est pas de savoir qui est sunnite et qui est chiite, nous sommes tous mélangés ici. Nous ne sommes pas ici pour créer des problèmes, nous sommes tous musulmans et nous devons tous vivre bien et en paix. »
Une bagarre éclate dans le groupe qui a passé le contrôle et attend maintenant un camion pour l’un des camps de réfugiés déjà surpeuplés.
Un homme s’est évanoui. Les médecins locaux le rattachent à une perfusion de leur ambulance. Il est couché sur le sol sur un tapis humide, son ami Zwad tenant la perfusion au-dessus de lui.
La plupart des gens qui fuient l’ouest de Mossoul souffrent de malnutrition et Zwad rapporte que ni lui ni son ami n’ont mangé depuis le matin précédent.
« C’est très courant : les gens arrivent en mauvaise condition physique à cause des intempéries et de la malnutrition », explique Azar, un pharmacien de profession qui travaille maintenant comme médecin de campagne.
« Ils n’ont rien à manger maintenant à l’intérieur de Mossoul, hormis du pain, c’est-à-dire juste des glucides sans valeur nutritive. »
Plusieurs camions vides s’arrêtent aux portes du centre de contrôle et les hommes contrôlés se dirigent vers eux, sentant la liberté. Mais un soldat tire des coups de feu en l’air et ordonne à tout le monde de revenir, en leur disant de former une file.
En une heure, les camions sont pleins et leurs occupants fument, discutent et sourient. Leur avenir est plus brillant que celui des quelques centaines d’autres derrière eux, toujours accroupis dans l’obscurité, écoutant le lieutenant et attendant leur contrôle d’identité.
Mais le chaos d’un camp de réfugiés déjà surpeuplé – et un deuxième processus de contrôle – les attendent avant tout espoir d’une vie belle et paisible.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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