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Bientôt du courant 24 heures sur 24 pour les Libanais ?

Repoussé depuis des années, un vaste plan de refonte du secteur de l’électricité vient enfin d’être adopté par le gouvernement. Mais le projet suscite des réserves, notamment en matière de transparence
Des Libanaises regardent par la fenêtre d’un bâtiment couvert de fils électriques dans la ville de Tripoli, dans le nord du Liban, le 13 mars 2016 (AFP)
Par Philippine de Clermont-Tonnerre à BEYROUTH, Liban

Après trois décennies d’attente, les Libanais peuvent enfin espérer avoir du courant 24 heures sur 24. Le Conseil des ministres a approuvé le 8 avril dernier un plan destiné à réformer de fond en comble le secteur de l’électricité, ce grand corps malade de l’économie libanaise. Objectif : fournir d’ici 2025 du courant en continu aux citoyens, confrontés à des coupures intempestives – entre trois et dix-huit heures de rationnement par jour, selon les régions.

L’absence de ce service de base empoisonne depuis des années la vie des habitants et nuit à la compétitivité des entreprises du pays, contraignant les ménages et les sociétés à avoir recours à des générateurs de quartier onéreux.

« Cela implique des frais supplémentaires » pour les producteurs locaux, déplore Fady Gemayel, président de l’Association des industriels libanais. Dans le cas des industries à forte intensité énergétique, comme les usines de verre ou de papier, les conséquences sont « dramatiques », estime-t-il, « le prix de vente pouvant grimper de 30 % ».

Les causes de ce dysfonctionnement tiennent principalement à la vétusté des infrastructures énergétiques du pays et à la mauvaise gestion d’Électricité du Liban (EDL), le producteur national d’énergie.

Objectif du plan : fournir d’ici 2025 du courant en continu aux citoyens, confrontés à des coupures intempestives – entre trois et dix-huit heures de rationnement par jour, selon les régions

Le Liban produit à l’heure actuelle plus de 2 300 mégawatts par an pour une demande supérieur à 3 500 mégawatts, soit un déficit de 1 200 mégawatts, selon le ministère libanais de l’Énergie.

Le plan dit « Boustani », du nom de la ministre de l’Énergie en charge du dossier, prévoit ainsi d’augmenter la production en créant de nouvelles centrales à la fois temporaires et permanentes, mais aussi en réduisant les pertes énergétiques liées au délabrement du réseau de distribution et aux nombreux branchements illégaux.  

Il vise également à redresser les finances d’EDL, dont le déficit cumulé s’élevait à plus de 30 milliards de dollars fin 2018, en augmentant notamment les tarifs, inchangés depuis 1994, de 180 %.

« Maintenir le consensus politique »

« Toutes ces mesures sont connues depuis longtemps et n’ont rien de révolutionnaire », rappelle Sameh Moubarak, expert en énergie à la Banque mondiale.

Le plan Boustani n’est en effet qu’une version actualisée d’un précédent projet élaboré en 2010, le premier, à l’époque, à passer la porte du Conseil des ministres. Celui-ci n’a cependant jamais été mis en œuvre, faute de réelle volonté politique.

La réforme de ce secteur a également pâti, à l’instar de nombreuses autres lois vitales pour le pays, des différents épisodes de paralysie institutionnelle.

Le dernier en date est le délai pris dans la formation de l’actuel gouvernement, finalement constitué en janvier, avec huit mois de retard. Avant cela, le pays était resté deux ans sans président de la République, de 2014 à 2016.

Liban Électricité
De la fumée s’élève d’une centrale électrique près d’un immeuble résidentiel dans la région de Zouk, au nord de Beyrouth (Reuters)

L’adoption le mois dernier, à l’unanimité, de cette énième feuille de route redonne donc espoir aux Libanais de voir amorcer un chantier crucial pour relancer la croissance du pays.

« Le défi maintenant est de parvenir à conserver le consensus politique dans la durée », prévient Sameh Moubarek.  

« Tout le monde sait qu’il n’y a plus d’autres solutions. Il faut à tout prix réduire notre déficit », confie à MEE la ministre de l’Énergie Nada Boustani. Car le problème de l’électricité pèse lourd sur l’économie libanaise. À commencer par sa dette.

Les transferts du Trésor à la compagnie nationale ont représenté en moyenne 3,8 % du PIB de 2008 à 2017, selon la Banque mondiale, contribuant à propulser la dette publique à plus de 85 milliards de dollars, soit environ 150 % du PIB.

Les coupures de courant freinent aussi considérablement la compétitivité des entreprises locales, déjà en mal d’exportation, faisant de ce facteur « le deuxième obstacle le plus important à la croissance du secteur privé, après l’instabilité politique », d’après la Banque mondiale.

Une réforme test

La réforme de l’électricité figure d’ailleurs en tête des priorités du programme économique du gouvernement libanais approuvé dans le cadre de CEDRE, une conférence organisée à Paris il y a un an pour soutenir le Liban et l’aider à redresser son économie en modernisant ses infrastructures.

« Tout est très flou. Le plan ne mentionne pas quel sera le coût de toutes les mesures prévues »

- Jessica Obeid, Chatham House

Lors de cette réunion, les pays donateurs se sont engagés à fournir une enveloppe de 11,6 milliards de dollars en prêts et dons, affectés à des projets spécifiques.

Le volet de l’électricité devrait bénéficier d’une partie de ces investissements, qui seront injectés pour la plupart dans des projets de construction de centrales, financés via des partenariats publics-privés.

Le versement de cette somme reste toutefois conditionné à la mise en place par Beyrouth d’une série de réformes structurelles réclamées de longue date par certains donateurs et que le Liban n’avait pas honorées lors des conférences internationales précédentes (Paris I, Paris II et Paris III).

Les regards sont désormais rivés sur les dirigeants libanais et leur capacité à conduire cette première grande réforme avec sérieux et transparence.

« La réussite du dossier de l’électricité sera symbolique pour la crédibilité de tout le processus », glisse un diplomate occidental.

« Le gouvernement, jusqu’ici, a fait ce qu’il fallait sur le papier. On attend désormais les actions […] une condition sine qua non à notre engagement », indique Sameh Moubarak, de la Banque mondiale, le principal bailleur de fonds du plan de l’électricité.

Mais ce plan, à peine adopté, suscite déjà quelques réserves, notamment en matière de transparence.  

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« Tout est très flou » au niveau financier, affirme Jessica Obeid, du centre de réflexion Chatham House. « Le plan ne mentionne pas quel sera le coût de toutes les mesures prévues. »

Par ailleurs, le gouvernement a finalement décidé d’attribuer au ministère de l’Énergie et à la Direction générale des adjudications (DDA) la tâche d’organiser les appels d’offres pour la construction de nouvelles centrales, et ce contre l’avis de la France, parrain de CEDRE, qui souhaite que cette mission revienne au Haut Conseil pour la privatisation et les partenariats (HCCP).

« Parce qu’il implique une multiplicité d’acteurs, privés et publics, cet organe est considéré comme le plus à même de garantir la transparence », explique à MEE Kenza Ouazzani, journaliste économique à L’Orient-Le Jour, un quotidien libanais.

« Le gouvernement a écarté la procédure jugée la plus transparente par les observateurs extérieurs », poursuit-elle.  

Le cabinet ministériel a par ailleurs décidé de reporter la création d’une Autorité de régulation indépendante pour confier cette tâche à l’exécutif durant trois années supplémentaires. Une autre mesure pourtant réclamée avec insistance par Paris.

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