« Ce n’est qu’un rêve » : les Gazaouis doutent de la trêve qui lèverait le blocus
GAZA, Territoires palestiniens occupés – Partout sur la côte de Gaza, dans son port, dans les camps de réfugiés côtiers et dans les étals de bord de mer vendant du café et du maïs grillé, le coucher de soleil invite la population enclavée à regarder la Méditerranée.
Si la mer permet aux deux millions d’habitants de Gaza de s’évader des guerres et du blocus qui, depuis dix ans, détruit des foyers, ravage l’économie et étouffe la vie quotidienne, les négociations en vue d’un cessez-le-feu pourraient permettre une évasion plus tangible.
Un passage maritime vers Chypre, qui libérerait enfin les résidents captifs de Gaza, constitue une condition cruciale dans les négociations importantes mais fragiles entre Israël et le Hamas.
Selon les déclarations de responsables du Hamas à Middle East Eye, cela « lèverait le blocus ».
« Gaza est au bord de l’effondrement », a déclaré Hazem Qassem, chef du service de presse du Hamas, décrivant tout ce dont a besoin l’enclave palestinienne, des emplois à l’électricité. Il a également prévenu que la bande côtière avait frôlé une autre guerre ces derniers mois.
Pour empêcher l’une ou l’autre de ces issues, le Hamas a démontré à quel point le mouvement était prêt pour un accord de paix en contrôlant l’intensité des manifestations hebdomadaires à la frontière avec Israël et en réduisant le nombre de cerfs-volants et ballons incendiaires lâchés sur les cultures israéliennes pour les incendier, a déclaré Qassem.
Israël a réagi à ces manifestations et actes de protestation avec une force meurtrière, tuant au moins 187 manifestants par des tirs isolés et des frappes aériennes contre les cerveaux présumés des incendies.
Qassem admet que les discussions – qui devraient bientôt fournir des résultats, a affirmé le leader du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar – ont été bloquées par l’Autorité palestinienne (AP) basée en Cisjordanie occupée, qui s’oppose à tout accord dont elle serait exclue.
« Les choses sont suspendues en ce moment mais on communique pour parvenir à un accord. La paix actuelle est fragile, elle pourrait prendre fin à tout moment. »
« Un rêve »
Sur la côte de Gaza, les attentes sont plus modérées.
« Ils nous avaient dit il y a vingt ans que Gaza serait comme Singapour. Nous attendons toujours »
- Hani Thraya, habitant de Gaza et responsable de l’ONG Gaza Aid Association
On a déjà promis des changements radicaux aux Palestiniens de Gaza. L’ouverture de la frontière avec l’Égypte était par exemple prévue dans le cadre des incertaines négociations de réconciliation entre le Hamas et la principale faction de l’AP, le Fatah, ravivées en octobre dernier et juste avant cela, selon des rumeurs, dans un accord avec le renégat du Fatah Mohammed Dahlan, dont le Hamas a chassé les forces de Gaza quand il en a pris le contrôle en 2007.
Depuis lors, la circulation et le commerce au-delà de Gaza ont été compliqués en raison d’un blocus aérien, terrestre et maritime imposé par Israël et l’Égypte.
« Je ressens une telle pression ici. Chaque jour, je vois des familles pauvres, et cela m’emplit de sentiments négatifs. Alors quand je viens ici, je sens l’air frais. Quand on rentre chez nous, on se sent bien », a déclaré Hani Thraya, un habitant de la bande côtière qui est venu au port regarder le coucher du soleil avec sa famille en grignotant des haricots.
Pouvoir faire plus que regarder la mer, avoir la possibilité de se déplacer librement vers et depuis Gaza pourrait transformer la vie des Gazaouis en leur donnant la liberté, a-t-il estimé. Cela pourrait aussi relancer l’économie locale, isolée des marchés internationaux par le blocus.
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Il a déclaré qu’il comprenait ces négociations susceptibles de permettre aux Palestiniens de Gaza de « respirer » en assouplissant certaines des restrictions imposées par le blocus, mais a estimé qu’elles devraient être négociées conjointement par les factions palestiniennes.
Cela dit, il ne s’attend pas à ce qu’Israël tienne ses promesses, même si une trêve est convenue.
« Ce n’est qu’un rêve », a déclaré Thraya, qui est aussi le responsable local de Gaza Aid Association, une ONG financée par la Turquie. « Ils nous avaient dit il y a vingt ans que Gaza serait comme Singapour. Nous attendons toujours. »
Des discussions ratées de plus ?
Les négociations ont été déclenchées par une escalade militaire en août qui auraient pu provoquer une autre guerre, comme en 2014, où les violences avaient tué plus de 2 200 Palestiniens.
Les deux parties sont toutefois parvenues à débuter des discussions sur une trêve à long terme qui verrait le Hamas assurer le calme du côté de Gaza et Israël assouplir le blocus imposé il y a plus de dix ans, lorsque le Hamas a pris le contrôle de l’enclave.
Outre un port maritime, le Hamas exige l’ouverture permanente de la frontière avec l’Égypte et des solutions au manque d’eau potable et d’électricité à Gaza. Les Gazaouis ne reçoivent actuellement que quatre heures d’électricité par jour.
Le Hamas accuse cependant l’AP d’avoir ralenti les négociations. Ses rivaux cisjordaniens, ont déclaré les responsables du Hamas, ont lancé une campagne médiatique et diplomatique agressive contre les contacts indirects du Hamas avec Israël et ont convaincu l’Égypte que tout accord concernant Gaza devait être négocié par le gouvernement d’unité nationale que le Hamas et le Fatah se sont engagés une fois de plus à former – mais qui ne s’est toujours pas concrétisé.
« L’Autorité palestinienne ne veut pas la paix pour Gaza… elle veut juste accroître ses souffrances », a déclaré Qassem, accusant le président de l’AP Mahmoud Abbas de vouloir contrôler totalement les négociations politiques.
Les hauts responsables du bureau politique du Hamas ont multiplié leurs messages au sujet de l’accord au cours des dernières semaines, le qualifiant généralement de processus pour « briser le siège » plutôt que de mentionner spécifiquement les négociations.
Mukhaima Abu Saada, professeur de sciences politiques à l’Université al-Azhar de Gaza, qui faisait partie d’un groupe d’analystes et de journalistes invités à un briefing de Yahya Sinwar concernant l’accord fin août, a déclaré que le dirigeant du Hamas était convaincu que l’accord était sur le point d’être achevé.
Le fait que ses perspectives s’atténuent ne s’est manifesté qu’une dizaine de jours plus tard, spéculant qu’Abbas aurait réussi à contrecarrer l’accord, en menaçant de suspendre la coordination de la sécurité de l’Autorité palestinienne avec Israël en Cisjordanie.
« Le peuple palestinien est généralement pessimiste quant à ce qui se passe et c’est un sentiment justifié parce que nous, Palestiniens, ne sommes pas capables de nous entendre »
- Hazem Qassem, chef du service de presse du Hamas
Selon le dernier sondage du Palestinian Center for Policy and Survey Research, le Fatah et le Hamas ont tous deux perdu leur popularité auprès des Palestiniens. Publiées en septembre, ces données révèlent un public irrité par l’absence de progrès dans les négociations de réconciliation intra-palestiniennes et par « une querelle inutile » concernant le droit de négocier une trêve pour Gaza.
Selon ce même sondage, alors que près des deux tiers des habitants de Gaza soutiennent les négociations, de nombreux Palestiniens craignent toutefois que cela ne mène à une séparation permanente entre Gaza et la Cisjordanie occupée.
Hazem Qassem a déclaré que le Hamas reconnaissait que pour les habitants de Gaza, les promesses offertes par les négociations n’inspiraient plus beaucoup d’enthousiasme.
« Le peuple palestinien est généralement pessimiste quant à ce qui se passe et c’est un sentiment justifié parce que nous, Palestiniens, ne sommes pas capables de nous entendre », a-t-il estimé, insistant sur le fait que le Hamas n’avait néanmoins pas perdu espoir.
« Le peuple palestinien a entendu des dizaines de fois que nous discutions de réconciliation et de trêve. Malheureusement, malgré toutes ces tentatives, nous sommes revenus sans rien. »
Abu Saada a déclaré qu’il y avait encore de l’espoir pour un accord, malgré les problèmes rencontrés, car Sinwar semblait déterminé à mettre fin au blocus.
« J’avais l’impression que Sinwar et les dirigeants du Hamas avaient pris la décision de lever le blocus et le siège israéliens contre Gaza de toute façon », a-t-il déclaré, soulignant que ces dernières semaines, le Hamas a intensifié la pression en appelant à davantage de manifestations contre Israël.
« Ce n’est pas une fin, mais l’accord de trêve entre le Hamas et Israël rencontre un grave problème. »
Sans vie
La guerre et le blocus ont peut-être terni la vie autour du parc populaire du Soldat anonyme, situé au centre du quartier commerçant de la ville de Gaza, mais ils n’ont jamais réussi à l’arrêter complètement.
De nouveaux centres commerciaux construits après la guerre de 2014 attirent des foules dans des boutiques et des aires de restauration raffinées, rivalisant avec certains des établissements les plus célèbres de Gaza en matière de crèmes glacées et de bonbons traditionnels. Les familles se rassemblent dans le parc la nuit pour l’une des rares sources de divertissement pour enfants restantes : une balade en petits pousse-pousse tirés par des adolescents sur un fond de musique pop arabe et de guirlandes colorées.
Mais plus d’un an de sanctions de l’AP visant à faire pression sur le Hamas pour qu’il cède le contrôle de la bande ont fait des ravages au cours de l’année écoulée, notamment des coupures d’électricité, des interruptions de fournitures médicales et une réduction des salaires de ses propres fonctionnaires pour s’assurer qu’ils ne travaillent pas pour le Hamas.
« Si le nombre de pêcheurs était auparavant de 10 % ici, désormais il y en a 200 % »
- Salem Abu Riyal, pêcheur
Les files à l’extérieur des banques les jours où les salaires de l’AP sont versés sont tronquées, ce qui signifie que moins d’argent est dépensé. Les Gazaouis continuent à se promener dans le centre-ville, à faire du lèche-vitrines, mais peu achètent.
La nuit, des taxis informels partagés, conduits par des particuliers qui utilisent leurs propres véhicules, descendent les principales artères de Gaza, mais rares sont ceux qui transportent des passagers.
Un nouveau rapport de la Banque mondiale publié mardi denier avertit que l’économie de Gaza est entrée en « chute libre », soulignant que le quart des familles de Gaza luttent contre des problèmes de liquidités à cause des réductions de salaire de l’AP et de l’incapacité du Hamas à rémunérer beaucoup de ses propres employés.
Les taux de chômage ont continué à atteindre de nouveaux sommets, jusqu’à 53,7 % au deuxième trimestre 2018 selon le Bureau palestinien des statistiques, encourageant de nombreuses personnes à s’engager dans le travail informel.
Salem Abu Riyal, qui a onze enfants et se décrit comme le « parrain de la pêche » dans le camp de réfugiés de Shati à Gaza, a déclaré avoir vu le secteur transformé par le blocus.
Là où il possédait autrefois une flotte de bateaux pouvant aller en eaux profondes, il travaille désormais avec un seul bateau. Trouver du poisson est une tâche plus difficile dans les trois milles surexploités qu’Israël leur limite pendant la plus grande partie de l’année. En revanche, trouver des personnes désireuses de travailler pour lui est beaucoup plus facile.
« Que voulez-vous que je trouve à seulement trois milles ? », demande Abu Riyal. « Aujourd’hui, si je cherche des travailleurs ici, j’en trouverai des milliers. Si le nombre de pêcheurs était auparavant de 10 % ici, désormais il y en a 200 %. »
Les pêcheurs du camp de Shati se plaignent généralement de ces changements, en particulier du nombre croissant de Gazaouis sans emploi qui se sont tournés vers la mer pour travailler, espérant attraper quelque chose avec des filets rudimentaires ou apportant simplement des cannes à pêche sur la côte pour pêcher leurs propres poissons.
Ils estiment que les pêcheurs inexpérimentés utilisent des filets qui attrapent même les jeunes poissons qui devraient être rejetés, épuisant les stocks halieutiques.
Abu Riyal et d’autres vendent leurs prises sur la route principale située entre les maisons du camp de Shati et la mer, mais les problèmes financiers de la bande côtière signifient que peu de Gazaouis peuvent se permettre les caisses de crabe qu’ils ont à leur disposition, laissant les pêcheurs les poches vides.
« Lorsque j’ai commencé à pêcher, je ne souffrais d’aucun problème financier jusqu’à ces dernières années, lorsque le blocus a débuté », a déclaré Abu Riyal. « Maintenant, quand mes enfants demandent ne serait-ce qu’un shekel comme argent de poche, je ne peux pas me le permettre. »
Traduit de l’anglais (original).
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