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Champions en béquilles : des Palestiniens forment la première équipe de foot pour amputés de Gaza

« Alors que l’occupation dépeint généralement les Palestiniens comme des partisans de la violence et de la mort, cette initiative vient refléter notre désir de vivre plutôt que de nous faire tuer »
Les membres de l’« Équipe des champions » créée par la Fédération de Palestine de football pour amputés à l’entraînement (MEE/Mohammed Asaad)

BANDE DE GAZA, territoires palestiniens – Alors qu’il n’avait que 9 ans, Ibrahim Khattab a perdu sa jambe gauche lors de l’opération militaire « Bordure protectrice » lancée en 2014 par Israël contre Gaza. L’offensive de 50 jours a fait plus de 2 100 morts du côté palestinien, dont la plupart étaient des civils.

Aujourd’hui âgé de 13 ans, Khattab est le plus jeune membre de la première équipe gazaouie de football pour amputés, créée en mars dernier. 

« Les quatre dernières années ont été difficiles. Ce n’était pas facile pour moi de faire face à mon nouveau corps, mais maintenant, je suis fier de jouer avec tous ces hommes qui sont beaucoup plus âgés que moi », a-t-il déclaré. 

Ibrahim Khattab, 13 ans, est le plus jeune membre de la première équipe gazaouie de football pour amputés (MEE/Mohammed Asaad)
Khattab à MEE a confié que ce qu’il a traversé à la suite de l’attaque israélienne a été « insupportable ».

« J’avais peur que mes amis ne m’acceptent plus »

– Ibrahim Khattab, footballeur

Il jouait au football avec ses amis devant sa maison dans le camp de réfugiés de Deir al-Balah, dans le sud de la bande de Gaza, lorsqu’il a été touché par un drone israélien. Il s’est évanoui immédiatement et a été transféré à l’hôpital le plus proche. À son réveil, quelques heures plus tard, il a découvert qu’il avait perdu sa jambe gauche.  

« L’explosion était massive et je n’ai pas eu le temps de courir, se souvient-il. Je ne me suis pas rendu compte de ce qui se passait, je me souviens juste d’avoir vu ma jambe en sang avant de m’endormir, puis je me suis réveillé à l’hôpital quelques heures plus tard. »

Au début, Ibrahim était nerveux à l’idée de retourner à l’école. « J’avais peur que mes amis ne m’acceptent plus, a-t-il expliqué. Avant, je courais et je jouais dans la rue toute la journée. Maintenant, mes parents ont toujours peur qu’il m’arrive quelque chose si je cours ou si je sors seul. »

Mais Ibrahim a parcouru un long chemin depuis lors. Le lundi, le jour où l’équipe se réunit pour s’entraîner, est devenu son jour préféré de la semaine.

« Je retrouve mes nouveaux amis ici. Rejoindre l’équipe m’a redonné confiance en mon corps et mes capacités. J’aime le soutien que je reçois de mon entraîneur et de mes amis. »

Ibrahim Khattab s’entraîne avec ses coéquipiers (MEE/Mohammed Asaad)

Il rêve de voyager pour représenter la Palestine dans des rencontres internationales.

« Rejoindre l’équipe m’a redonné confiance en mon corps et mes capacités »

– Ibrahim Khattab, footballeur

L’équipe composée de treize footballeurs amputés, surnommée l’« Équipe des champions », se réunit une fois par semaine pour une séance d’entraînement de trois heures.

Leur objectif est de concourir dans des championnats internationaux en remettant en cause leur situation actuelle et en brisant les stéréotypes courants sur les personnes handicapées.

Dix des treize membres de l’équipe ont fait l’objet d’une amputation à la suite de blessures subies lors des trois opérations militaires israéliennes qui ont visé la bande de Gaza entre 2008 et 2014. D’autres ont été victimes des bombardements sporadiques qui ont frappé le territoire depuis le début du blocus imposé par Israël en 2007.

Pour Noaman Abushamla, le directeur de la fédération, l’initiative est un outil de résistance qui permet aux Palestiniens de défier l’occupation (MEE/Mohammed Asaad)

À la suite de la seule opération « Bordure protectrice », lancée par Israël à l’été 2014, 1 100 personnes ont été atteintes d’une invalidité permanente ; 100 amputations ont notamment été effectuées.

Plus récemment, depuis le début des protestations de la Grande marche du retour, les médecins de Gaza ont procédé à 32 amputations, dont 27 des membres inférieurs, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Les tensions ont flambé à Gaza depuis le 30 mars, Israël ayant répondu aux protestations de masse en grande partie pacifiques près de la barrière qui sépare Israël de Gaza en faisant usage d’une force mortelle, pour un bilan d’au moins 133 Palestiniens tués. Il n’y a pas eu de victimes israéliennes.

La bande de Gaza souffre d’une crise humanitaire à la suite du blocus imposé par Israël. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 1,2 million de personnes n’ont pas d’accès suffisant aux soins de santé.   

Des objectifs communs

Wahid Rabah, le membre le plus âgé de l’équipe, a perdu sa jambe droite lors d’une opération militaire, baptisée « Pluies d’été », lancée en 2006 par Israël suite à la capture de l’un de ses soldats. L’attaque a fait plus de 240 morts palestiniens, dont 48 enfants.

Au fil des ans, l’homme de 42 ans a recherché différentes façons de faire face à son handicap, avant de recevoir en mars un appel du fondateur de la Fédération de Palestine de football pour amputés – fondée le même mois –, qui lui a demandé s’il serait intéressé à l’idée de rejoindre la première équipe gazaouie de football pour amputés.

« J’ai été touché et je gisais au sol. Quand mon collègue a enlevé sa chemise et l’a attachée autour de ma jambe, j’ai su à ce moment-là que j’allais la perdre à jamais »

– Wahid Rabah, footballeur

« Il m’a fallu trois ans pour commencer à m’adapter en m’inscrivant dans des clubs sportifs locaux et en pratiquant différents sports, comme le volley-ball assis et le football. Puis le fondateur de cette fédération m’a appelé et m’a suggéré de rejoindre l’équipe et j’ai dit “Pourquoi pas ?” », a-t-il raconté.

En juillet 2006, Rabah, alors agent des services de sécurité nationale, a été frappé par un drone israélien alors qu’il était en service dans le camp de réfugiés d’al-Bureij, a-t-il expliqué.

« Je n’oublierai jamais ce jour du 19 juillet. J’ai été touché et je gisais au sol. Quand mon collègue a enlevé sa chemise et l’a attachée autour de ma jambe, j’ai su à ce moment-là que j’allais la perdre à jamais », s’est-il souvenu.

Islam Amoun n’a pas laissé la perte de son bras l’empêcher de jouer au football (MEE/Mohammed Asaad)

La jambe droite de Rabah a été amputée en raison de graves dommages subis au niveau des os et des tissus. S’il utilise habituellement une prothèse, il doit s’en passer sur le terrain de football pour respecter les règles de la fédération, qui n’autorisent les joueurs qu’à utiliser des béquilles, dans la mesure où tous les joueurs amputés n’ont pas de prothèse de jambe. Entre autres règles, le gardien de but doit être handicapé des membres supérieurs, tandis que les autres joueurs doivent être handicapés au niveau des membres inférieurs.

Rabah estime que sa décision de rejoindre l’équipe l’a aidé à prendre conscience que d’autres personnes souffrent d’un handicap similaire au sien et qu’il n’est pas si différent.

« Perdre une partie de son corps n’est pas facile, a-t-il affirmé. Mais faire connaissance avec des personnes dont le cas est similaire au sien est une expérience très encourageante. C’est pour cela que j’ai décidé de rester avec cette équipe. »

Sur un pied d’égalité

Fouad Abu Ghalioun, fondateur et président de la fédération, est un personnage familier du bord du terrain qui supervise l’entraînement hebdomadaire de l’équipe.

Il a décidé de créer une équipe de football pour amputés à Gaza après avoir été inspiré par l’esprit affiché par les joueurs qui ont participé à la Coupe d’Europe de football pour amputés en octobre 2017, a-t-il expliqué.

« [Je] me suis dit : si l’idée est appliquée en Europe, où les personnes amputées ont accès à un traitement médical approprié et jouissent de tous leurs droits, alors il est indispensable de la lancer à Gaza, où les victimes des attaques israéliennes sont oubliées et abandonnées au désespoir », a-t-il déclaré à MEE.

« Les entraîneurs nous apprennent à courir aussi vite que possible alors que nous avions même peur de marcher seuls »

– Naji Naji, footballeur

« J’ai immédiatement appelé des amis pour leur proposer cette idée. Ils ont soutenu l’initiative et commencé à recueillir des informations quant à savoir ce qu’il fallait pour former ce genre d’équipe, qui pouvait la rejoindre et quel type de béquilles les joueurs utilisaient. »

Abu Ghalioun, qui souligne qu’il est toujours difficile de lancer de tels projets à Gaza, a passé cinq mois à donner vie à cette idée. 

Le premier obstacle a été le manque de ressources nécessaires pour financer le projet, notamment l’obtention d’un terrain de football et l’achat de béquilles spéciales pour les joueurs.

Même s’ils manquent encore de ressources et d’équipements, les joueurs se réunissent chaque semaine pour s’entraîner (MEE/Mohammed Asaad)

« Il a également été difficile de convaincre les amputés, dont la majorité n’ont pas accepté leur nouveau corps, [d’accepter] leur handicap et de jouer au football avec une seule jambe », a-t-il déclaré. 

La municipalité de Deir al-Balah ouvre son terrain à l’équipe pour qu’elle puisse s’entraîner une fois par semaine. Cependant, les joueurs devraient s’entraîner au moins deux fois par semaine sur un terrain de football entièrement équipé, qui doit comprendre des gradins, des vestiaires et des toilettes.

Selon Abu Ghalioun, les joueurs ont besoin de béquilles robustes spéciales dont le coût s’élève à au moins 100 dollars chacune. D’autres frais interviennent également, tels que la location d’un terrain de football et le transport des joueurs qui viennent de différentes régions de Gaza jusqu’au terrain, situé dans le centre de l’enclave. Le montant total estimé des dépenses courantes du club s’élève à 10 000 dollars par an. 

De grands rêves

Les treize joueurs espèrent pouvoir participer un jour aux Jeux paralympiques.

Naji Naji a perdu sa jambe à l’âge de 15 ans après avoir marché sur un engin explosif dans le camp de réfugiés de Deir al-Balah (MEE/Mohammed Asaad)

« Ce serait la concrétisation d’un rêve, non seulement pour l’équipe, mais aussi pour toutes les personnes handicapées à Gaza, si nous parvenions à représenter notre pays dans des matches internationaux », a déclaré Naji Naji, 26 ans, lors d’une pause au cours de l’entraînement. Il a perdu sa jambe à l’âge de 15 ans après avoir marché sur un engin explosif dans le camp de réfugiés de Deir al-Balah.

« Je marchais dans la rue quand une explosion a retenti d’un coup. Je suis tout de suite tombé par terre et ma jambe gauche était partie », s’est-il souvenu.

« Les initiatives de ce genre sont des outils de résistance qui permettent aux Palestiniens vivant dans l’enclave de défier l’occupation et [de] prouver qu’ils existent toujours malgré tous les efforts déployés dans le but de les marginaliser »

– Noaman Abushamla, directeur de la Fédération de Palestine de football pour amputés

« On voit bien que ces béquilles que nous utilisons ne sont pas faites pour le sport. Elles se plient et se cassent la plupart du temps. Nous n’avons pas assez de ressources et d’équipements pour nous entraîner, mais nous sommes convaincus que nous pouvons réussir malgré tout. »

En dépit du manque de ressources, Naji aurait aimé voir ce projet être initié bien avant.

« Les entraîneurs nous apprennent à courir aussi vite que possible alors que nous avions même peur de marcher seuls, a-t-il confié. J’espère que nous pourrons nous entraîner tous les jours. Ça me donne le sentiment d’être vivant. »

Abu Ghalioun espère former quatre autres équipes d’amputés provenant de différents gouvernorats de la bande de Gaza dans les prochains mois afin que les joueurs puissent s’affronter les uns les autres. De cette manière, ils pourront former une équipe nationale qui sera en mesure de concourir au niveau international. Il vise également à inclure dans ces équipes des joueurs qui ont également perdu un membre en participant à la Grande marche du retour.

« Nous avons déjà deux équipes qui vont commencer à s’entraîner dans les deux prochaines semaines, dont une équipe d’enfants handicapés baptisée ‘’Espoir et Avenir’’ qui recevra un entraînement spécial pour aider les enfants à faire face à leur nouveau corps », a-t-il déclaré. 

Des outils de résistance

Mahmoud al-Naouq, le responsable administratif de la fédération, a perdu ses deux jambes lors de deux incidents différents durant l’attaque menée en 2014 par Israël contre Gaza.

Après qu’un avion de guerre israélien a ciblé sa maison à Deir al-Balah, al-Naouq a été immédiatement transféré à l’hôpital Shuhada al-Aqsa près de chez lui, où les médecins ont dû lui amputer la jambe gauche, dont les os ont été complètement abimés par des éclats d’obus, a-t-il raconté. Quelques jours plus tard, al-Naouq a perdu son autre jambe après que des avions de guerre israéliens ont ciblé l’hôpital où il récupérait.

Comme l’a expliqué al-Naouq, la première séance d’entraînement a eu lieu pendant la Journée de la Terre, jour de lancement des protestations de la Grande marche du retour, le 30 mars dernier. La Journée de la Terre commémore le jour où les forces israéliennes ont tué six Palestiniens lors de protestations contre la confiscation des terres en 1976.

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« Alors que l’occupation dépeint généralement les Palestiniens comme des partisans de la violence et de la mort, cette initiative vient refléter notre désir de vivre plutôt que de nous faire tuer », a observé al-Naouq.

« L’équipe de football pour amputés a donné aux joueurs une nouvelle chance de se sentir à nouveau normaux, a-t-il poursuivi. Après s’être sentis exclus pendant des années, cette initiative leur apprend à jouer au football avec une seule jambe, mais les aide également à vivre avec leur handicap. »

Pour Noaman Abushamla, le directeur de la fédération, « les initiatives de ce genre sont des outils de résistance qui permettent aux Palestiniens vivant dans l’enclave de défier l’occupation et [de] prouver qu’ils existent toujours malgré tous les efforts déployés dans le but de les marginaliser ».

« Notre message consiste à exprimer les revendications de ces victimes, a-t-il conclu. Vous voyez, ils s’accrochent à la vie et il est de notre devoir de montrer au monde ce qu’ils sont capables de faire au lieu de ce qu’ils ne peuvent pas faire. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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