Rencontre avec Husam, un amputé syrien avec une histoire incroyable
REYHANLI, Turquie – Dans la ville turque frontalière de Reyhanlı, Husam al-Zeno s’occupe de son jardin, où il cultive des pommes de terre, des haricots et des tomates dans son potager. « Les tomates sont les plus faibles », a-t-il ri.
« Elles meurent au moindre froid », a-t-il ajouté.
Lors d’une journée de janvier ensoleillée dans la ville, à moins de 10 km de la frontière syrienne, il s’est rendu en scooter électrique de sa maison à un bâtiment blanc carré abritant une clinique de prothèses et un atelier pour les réfugiés.
Avant qu’il ne remonte le bas de son survêtement pour révéler ses prothèses, il est difficile de voir que Husam a été blessé.
« Je cuisine et fait la vaisselle, nettoie le sol, nettoie la voiture et remplis d’autres tâches »
« Les gens qui passent beaucoup de temps avec moi savent que j’ai été blessé, mais la plupart des gens ne le savent pas », a-t-il expliqué, assis dans la salle d’attente. « Je travaille normalement et personne ne se rend compte de ma blessure. Je cuisine et fait la vaisselle, nettoie le sol, nettoie la voiture et remplis d’autres tâches. »
« Mon cœur s’est arrêté deux fois à cause de la peur »
L’histoire de Husam a débuté il y a plus de quatre ans, quand, le 12 février 2013, il a marché sur ses deux pieds pour la dernière fois.
Tandis qu’il rendait visite à un ami dans la région de la Ghouta, dans la campagne de Damas, des éclats de projectiles ont déchiré son corps.
« Je ne suis pas sûr du type de munition, mais je pense qu’elle provenait d’un char. J’ai perdu mes pieds tout de suite. J’ai essayé de me lever, mais je ne pouvais pas », a-t-il raconté.
À ce jour, Husam ne sait toujours pas qui est responsable, mais les médecins l’ont amputé de ses deux jambes à l’hôpital le plus proche.
« Un médecin m’a dit que mon cœur s’était arrêté deux fois à cause de la peur », a ajouté le jeune homme de 30 ans.
Pendant six mois après sa blessure, Husam a rampé sur le sol. « Pendant un mois, mes amis m’ont aidé pour tout : aller aux toilettes, à la salle de bains. Puis j’ai appris à ramper sur mes genoux. C’était pénible parce que tout mon poids pesait sur eux », a-t-il poursuivi.
Pourtant, il refusait de se laisser envahir par le désespoir. « Je détestais rester à la maison. Je ne ferais pas ça. Je suis allé chez mes amis, au supermarché, au cybercafé. »
Husam a ensuite obtenu des prothèses mal ajustées, fabriquées localement, et qui, selon lui, avaient été conçues pour une jeune fille. Elles étaient sa seule option s’il voulait marcher plus facilement. « Je pense qu’elles avaient été conçues pour une fille, pas pour un homme », a-t-il expliqué. « Elles étaient en fer. Je les ai utilisées pendant neuf mois. C’était très douloureux parce qu’elles étaient très molles, mais je voulais marcher. »
La fuite à Idleb
Quand sa ville de Kafra Batna a été assiégée par les forces gouvernementales syriennes au début de l’année 2013, il a décidé de fuir la région de la Ghouta orientale.
La seule issue était de négocier avec les shabiha – des voyous parrainés par l’État – avec l’objectif de traverser le territoire sous le contrôle du gouvernement pour rejoindre la province rebelle d’Idleb. La milice lui avait dit que s’il faisait le voyage sans prothèses, il devrait payer un supplément de 2 000 dollars, car il les ralentirait. Ces jambes qui lui allaient mal le feraient souffrir s’il les portait, mais cela signifierait moins de tracas pour les voyous et il ne devrait leur payer que 1 000 dollars. Il a choisi cette dernière option et s’est rendu à Idleb en voiture avec les shabiha.
« Dès qu’un bombardement nous visait, ma famille courrait toujours pour me sauver »
Après deux mois dans cette province du nord de la Syrie, il a obtenu des prothèses plus confortables et mieux ajustées auprès d’une clinique locale. Cependant, rester en Syrie devenait délicat. Idleb subissait des frappes aériennes régulières des avions de guerre du gouvernement et Husam ne pouvait pas se déplacer rapidement pour échapper aux bombardements.
« Dès qu’un bombardement nous visait, ma famille courrait toujours pour me sauver. Ils auraient tout fait pour me sauver et je ne voulais plus me retrouver dans cette situation », a-t-il déclaré. En fin de compte, Husam a réussi à passer d’Idleb à la Turquie en tant que Syrien nécessitant un traitement médical.
Le sort des amputés de la Syrie
La semaine dernière, l’attention du monde a été attirée sur le sort des amputés de Syrie, quand les images d’un garçon dont les jambes avaient été soufflées dans une attaque à la bombe-baril ont été largement partagées sur Internet. La victime âgée de dix ans, Abdel Basset, a été filmée s’écriant : « Papa, porte-moi ! Porte-moi ! » tandis qu’il se débattait désespérément sur le sol. Le garçon a survécu et reçoit maintenant un traitement en Turquie.
Husam et Abdel comptent parmi les plus de 30 000 Syriens qui ont perdu des membres dans le conflit qui fait rage depuis près de six ans, selon les statistiques. Ces chiffres sont prudents et ont presque certainement augmenté.
Selon les travailleurs humanitaires, il est difficile de déterminer avec précision le nombre d’amputés parce que beaucoup de gens restent enfermés dans leurs maisons après leurs blessures.
Le bombardement généralisé des zones urbaines bâties en Syrie rend toutes les tranches d’âge et les deux sexes vulnérables aux blessures nécessitant une amputation. Les bâtiments qui s’écroulent à cause des obus de mortier et des frappes aériennes, les coups de feu et les bombes à fragmentation signifient que les civils subissent généralement des blessures douloureuses et compliquées.
Le manque d’accès à des antiseptiques et à des hôpitaux qui fonctionnent pleinement a également accru le nombre d’amputations puisque les médecins ne sont pas en mesure de sauver les membres blessés des victimes.
Selon l’organisation Physicians for Human Rights, qui documente les attaques contre les services de santé en Syrie, 400 attaques ont été perpétrées contre 276 établissements distincts entre mars 2011 et juillet 2016.
Un effort collectif
La vie n’est pas facile pour Husam qui souffre de douleurs névralgiques tous les jours et la marche exige de lui encore un effort énorme.
« Il y a la douleur, bien sûr – des douleurs neurologiques, et la sensibilité de ma peau en raison des frictions avec les prothèses. Et la fatigue – il faut beaucoup d’efforts pour marcher, et c’est vraiment fatigant », a-t-il confié.
Il a montré à MEE l’ensemble élaboré de bandages et de chaussettes serrées qu’il utilise pour attacher ses moignons aux prothèses, auxquelles il s’est rapidement adapté.
« Celles-ci [les prothèses] étaient meilleures que les dernières », a-t-il sourit.
N’ayant pas vu ses parents ou sa sœur depuis deux ans, il voudrait retourner en Syrie un jour. Mais pour l’instant il a l’impression que sa vie est plus remplie en Turquie, où il gère un centre de distribution d’aide à Reyhanlı.
« Je peux être plus utile en Turquie qu’en Syrie. Il y a beaucoup de Syriens ici aujourd’hui. Ils ont des rues et des écoles et des zones. L’intégration s’accomplit : nous pouvons le faire sans quitter nos traditions syriennes. Nous pouvons nous intégrer par la langue, l’éducation et le commerce, parce que nous avons besoin de vivre. »
Les prothèses de Zeno ont été adaptées par le National Syrian Project for Prosthetic Limbs (NSPPL), opérant de l’installation de Reyhanlı avec le soutien de Syria Relief, une organisation caritative britannique.
La clinique a ouvert ses portes en mars 2013. Depuis, l’équipe syrienne composée de 45 techniciens et médecins a réalisé et ajusté 4 000 prothèses pour 3 000 patients.
« Je ne suis pas attristé par ma blessure. Peu importe si nous avons perdu des jambes, des pères, des mères ou des enfants. Il est question d’une Syrie libre »
Le directeur Raed al-Masri a déclaré que presque toutes les blessures observées à la clinique sont liées à la guerre, plus de 80 % causées par des mines ou des bombardements aériens et des obus de mortier sur des zones civiles comme les marchés, les maisons et les écoles. Environ 20 % des patients sont des enfants.
« Les causes sont toujours différentes : des bombardements, des mines ou d’autres causes encore », a-t-il expliqué depuis son bureau à l’étage supérieur de la clinique de Reyhanlı. « Mais la plupart d’entre elles résultent de la guerre. »
La plupart du travail concerne les prothèses des membres inférieurs, mais ils font aussi des attelles pour les victimes de brûlure et des supports pour les patients avec paralysie du dos. Un modèle dans l’atelier montre un corset orthopédique. Vu la taille, la patiente n’aurait pas plus de 10 ans.
Depuis que la frontière turque a été effectivement fermée à tous les Syriens sauf les plus gravement blessés au début de 2015, l’équipe du NSPPL a vu le nombre de patients décliner à la clinique de Reyhanlı. Cependant, le nombre de personnes qui cherchent de l’aide a augmenté dans ses deux services situés dans la province syrienne d’Idleb. Jusqu’à présent, aucun n’a été bombardé, bien qu’ils aient dû fermer temporairement lorsque des frappes aériennes ont touché les environs.
Un défi majeur
L’obtention de prothèses est un défi majeur pour les populations déplacées de Syrie : dans les pays voisins, jusqu’à 90 % des réfugiés vivent en dessous du seuil de pauvreté, selon les chiffres de l’ONU.
Une prothèse de jambe basique coûte environ 500 euros. Les modèles plus coûteux, comme les prothèses myoélectriques, peuvent coûter jusqu’à près de 2 000 euros. Beaucoup d’amputés, pour la plupart incapables de travailler en raison de leurs blessures, ne peuvent pas se permettre ces coûts.
Même lorsque les Syriens obtiennent des prothèses gratuites et un soutien par le biais d’ONG telles que le NSPPL, la demande l’emporte sur l’offre. L’organisation dispose actuellement d’une liste d’attente de huit mois.
« Ces amputés ne récupéreront pas leurs membres. Ils auront besoin de nous jusqu’à la fin de leur vie », a déclaré Raed al-Masri. « Ils ont besoin de remplacer les pièces chaque année, et même si la guerre a pris fin, ils viendront encore. Peut-être nous occuperons-nous d’eux pendant 20, 30 ou 40 ans, personne ne le sait. »
Les amputés risquent la stigmatisation et le rejet de la part de leurs familles et de leurs communautés, lesquelles peuvent croire qu’ils sont « brisés » et ne sont plus des êtres humains normaux. Toutefois, Husam parvient à conserver une attitude positive.
« Je ne suis pas attristé par ma blessure. Peu importe si nous avons perdu des jambes, des pères, des mères ou des enfants. Il est question d’une Syrie libre. C’est ce que nous ne voulons pas perdre. »
Plus tard, il a envoyé un message WhatsApp sur l’état de son jardin.
« Il est encore trop tôt pour cueillir les fruits, le sol est encore au stade de la culture. Le temps viendra. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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