Colère à Jérusalem après la mort d’un adolescent
Il était environ minuit dans la nuit de vendredi à samedi quand Ali Abu Ghanam, un adolescent de 17 ans, s’est avancé vers le poste de contrôle d’al-Zayyim à Jérusalem-Est.
Deux heures plus tôt, il avait quitté le domicile familial en disant à sa mère qu’il se rendait à une fête et qu’il veillerait à ne pas rentrer tard. Il avait mis ses plus beaux habits et passé une heure ou deux avec ses amis. Mais il n’est pas rentré chez lui comme promis. Au lieu de cela, selon les déclarations des soldats israéliens, il s’est approché du poste de contrôle « brandissant un grand couteau » et a commencé à courir. Une confrontation s’en est suivie, se terminant lorsque la police des frontières du check point a abattu l’adolescent.
La mère d’Abu Ghanam, Nusreen, était à la maison attendant son fils quand elle a appris la nouvelle. Après avoir essayé de lui téléphoner à plusieurs reprises, elle a reçu un appel d’un ami de la famille, qui lui a annoncé que quelqu’un avait été roué de coups à al-Zayyim. Quelques minutes plus tard, elle a vérifié une page Facebook d’informations locales et a vu une photo d’Ali, étendu sur le sol.
« J’ai vu des photos de mon fils Ali, mort, par terre. Sa chemise était ouverte, et il avait des trous de balles dans la poitrine » a-t-elle rapporté à Middle East Eye samedi. « J’ai reconnu le pantalon qu’il portait. Je suis allé vérifier l’armoire dans sa chambre pour voir si les vêtements de la photo y étaient. Alors j’ai dit ‘’c’est Ali’’. Je pouvais même distinguer la même coupe de cheveux. »
La mort d’Abu Ghanam n’est pas la seule confrontation mortelle à avoir eu lieu ce week-end. Moins de 24 heures après sa mort, un jeune homme a poignardé un soldat près de la mosquée Ibrahimi à Hébron et a également été abattu.
Yousef Natsheh, un membre des Christian Peacemaker Teams (des observateurs internationaux présents à Hébron), a déclaré à Middle East Eye que le mort avait été identifié comme étant Mahmoud Abu Juheisheh, un jeune homme d’une vingtaine d’années originaire de la région d’Idna, près d’Hébron. Sa famille était en pèlerinage en Arabie saoudite au moment de la mort de leur fils, a-t-il rapporté, et ils ont appris la nouvelle via Facebook. Ils sont en train de rentrer en Palestine.
La mort des deux hommes est susceptible d’exacerber les tensions entre Palestiniens et soldats israéliens à Jérusalem et en Cisjordanie, après une période de calme relatif pendant l’hiver. Elle marque également les derniers épisodes d’une série d’attaques menées par des Palestiniens contre des soldats et des civils israéliens, qui pour nombre d’entre elles ont entraîné la mort des assaillants.
Début avril, un soldat israélien a été poignardé dans le cou et un second s’en est sorti avec des blessures superficielles ; l’agresseur palestinien a été abattu. En février, un adolescent de Cisjordanie a poignardé un soldat lors de sa fouille à un point de passage vers Israël et a été « maîtrisé » sans recours à la force létale. Plus tôt, en décembre dernier, un adolescent a été blessé à la jambe par un garde de sécurité en repos après avoir tenté de poignarder des Israéliens au supermarché Rami Levy à Mishor Adumim.
Les événements comme ceux-ci – des Palestiniens tués au cours d’attaques contre des soldats israéliens – ont tendance à être salués par les autorités israéliennes qui affirment que la police réagit avec la force appropriée face à un danger inacceptable. Après que deux soldats ont été poignardés début avril, le ministre de l’Economie sortant, Naftali Bennett, a déclaré que les incidents « graves doivent cesser » avec la mort de l’agresseur, « non avec des rêves de libération de prison. »
« Nos ennemis n’ont qu’un but : blesser autant de juifs qu’ils le peuvent. Je félicite les forces de sécurité qui ont tué le terroriste Ce doit être le sort de tous ceux qui blessent des juifs innocents », a-t-il déclaré.
Dans un entretien à Middle East Eye dimanche, le porte-parole de la police israélienne, Micky Rosenfeld, a justifié la mort d’Abu Ghanam et d’Abu Juheisheh. « Nous savons qu’il [Abu Ghanam] a tenté d’approcher les agents frontaliers avec une arme, nous parlons d’une lame très acérée, une grave menace pour la vie et la sécurité des agents. Dans ce cas, ils n’ont heureusement pas été blessés. Dans le second cas, cependant, le policier a été poignardé dans le cou et, évidemment, il n’avait alors pas d’autre choix que de décharger son arme », a-t-il indiqué.
« Normalement, lors d’émeutes à Jérusalem-Est, nous utilisons uniquement la force non létale. Cependant, si un agent se trouve dans une situation qui met sa vie en danger, il doit prendre les mesures nécessaires pour se protéger : voilà la politique et la procédure standard. Les agents de police doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour se protéger eux-mêmes et les gens autour. »
Les Palestiniens et certaines organisations israéliennes ont toutefois critiqué ces décès. Dans un communiqué paru dans le Jerusalem Post, l’Autorité palestinienne a démenti qu’Abu Ghanam avait tenté de poignarder des soldats et a fait valoir que son assassinat démontrait « la cruauté et la criminalité de l’occupation contre le peuple palestinien sans défense ».
Dalia Kerstein, directrice de l’ONG de défense des droits de l’homme HaMoked, a déclaré que des événements semblables à ceux de ce week-end se sont déjà produits plusieurs fois par le passé, y compris notamment le meurtre de Kheir Hamdan, un Arabe israélien. Le jeune homme, âgé de 22 ans, a été abattu à bout portant par un agent de police l’année dernière après avoir cogné la fenêtre d’un véhicule de police avec un couteau.
« Pour moi, il s’agit d’une violation des droits de l’homme. Même si sa vie est en danger, cela ne signifie pas que la personne en face doit être tuée », a-t-elle expliqué, ajoutant que ces décès n’ont fait qu’alimenter davantage le cycle de violence entre Israël et la Palestine. « Plusieurs ministres clament souvent que quiconque tente de commettre un acte de terrorisme devrait être tué. Je pense qu’il est temps que quelqu’un se dresse et agisse contre l’environnement général, pour arrêter la poursuite de l’effusion de sang », a-t-elle affirmé.
A Jérusalem-Est, hier, il était clair que ces décès et les événements qui les ont suivis enflammaient déjà une situation très volatile. Au domicile familial d’Abu Ghanam, des parentes ont raconté à Middle East Eye que la maison avait fait l’objet d’une descente des forces armées aux premières heures samedi matin, pendant laquelle des soldats ont tiré des gaz lacrymogènes et ont battu les hommes de la famille. Dans la chambre de l’adolescent mort, où une image de personnage de bande dessinée était encore parfaitement étalée sur le lit, les meubles avaient été brisés et le disque dur d’un ordinateur emporté.
Les membres de la famille ont ajouté que l’année dernière, Abu Ghanam avait été arrêté au cours de sa dernière année d’études et n’avait pas repris les cours après sa courte peine de prison.
« Il était drôle, il prenait soin de lui-même et de ses sœurs. Il avait beaucoup d’amis », a déclaré sa mère. « Il disait qu’il soutiendrait ses sœurs dans l’avenir ; que lorsqu’elles se marieraient il leur ferait un cadeau dont tout le monde dans le quartier parlerait. C’étaient ses rêves – mais il ne rêvera plus. »
Dans al-Tur, un quartier à majorité arabe à l’est de la Vieille Ville de Jérusalem, des bannières et des affiches à l’effigie d’Abu Ghanam avaient été accrochées sur les maisons et collées aux fenêtres des voitures. Les affrontements se sont poursuivis toute la journée de samedi, tandis que des jeunes hommes, le visage souvent couvert par des drapeaux jaunes du Fatah, ont jeté des pierres et des cocktails Molotov sur la police, qui a riposté avec des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes. Des blessés ont été signalés parmi les Palestiniens et les forces israéliennes, l’un des soldats a été frappé au visage avec une pierre.
Dans la rue étroite qui mène à l’endroit où se déroulaient les affrontements, Jamila, 36 ans, a regardé les adolescents courir vers la confrontation, certains enfants plus jeunes brisaient les pierres en petits morceaux. Plus en amont, la rue était jonchée de pavés brisés et de tas d’ordures.
« C’était déjà comme cela dans le passé, les jeunes qui sortent dans la rue pour protester, les gaz lacrymogènes et les jets de pierres », a-t-elle expliqué. « Il semble que ça recommence. Cela va continuer toute la journée et dans la nuit, en raison du chahid [le martyr Abu Ali Ghanam].
« Vous pouvez voir les affrontements ici, ils sont évidemment très dangereux, très violents. Mais les difficultés sont présentes chaque jour et chaque nuit : les soldats entrent dans nos maisons, effectuent des descentes et des fouilles et arrêtent les enfants et les jeunes hommes. »
Dans la ville d’Hébron en Cisjordanie, à 30 km au sud de Jérusalem, le week-end a été plus calme : dimanche après-midi, Natsheh a confié à Middle East Eye que la situation dans et aux alentours de la vieille ville d’Hébron est restée relativement stable, mais que davantage de soldats étaient présents autour de la mosquée Ibrahimi. « Ça devient normal pour les gens de voir des personnes se faire tirer dessus par l’armée israélienne. Ce qui leur importe surtout c’est de gagner de l’argent pour leurs enfants, juste pour survivre au jour le jour », a-t-il expliqué. « Je pense que le fait que le jeune homme ne soit pas de la vieille ville elle-même fait aussi la différence. »
Micky Rosenfeld, cependant, a nié que les troubles du weekend pourraient suggérer une nouvelle escalade des tensions et de la violence à Jérusalem. « Les derniers événements sont des incidents ponctuels, qui sont traités de manière adéquate au cas par cas », a-t-il déclaré à Middle East Eye.
Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.
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