Colis de nourriture et argent en échange d’un oui : le référendum constitutionnel en cours en Égypte
Préoccupées par la possibilité d’un faible taux de participation au référendum constitutionnel qui a lieu actuellement en Égypte, les autorités ont distribué des colis de nourriture aux électeurs s’exprimant en faveur des amendements proposés, selon des témoins.
Dans la capitale égyptienne, Middle East Eye a vu des dizaines de personnes transportées par bus par les autorités jusqu’aux bureaux de vote et se faire remettre des colis de nourriture en échange d’un vote favorable aux amendements.
De nombreux produits alimentaires de base sont devenus rares et onéreux en Égypte depuis que le président Abdel Fattah al-Sissi a introduit des mesures d’austérité particulièrement sévères en 2016.
Traduction : « Un litre d’huile, un sac de sucre, des pâtes, voire du beurre clarifié si vous avez de la chance et recevez une bonne boîte.
Depuis que l’Égypte tient des élections, voici comment elles se déroulent.
Les colis sont étiquetés par un ‘’parti’’ fidèle au gouvernement, une entreprise privée ou le gouvernement lui-même.
Vous avez remarqué le soldat en uniforme sur la première photo ? »
Si, comme prévu, les amendements sont approuvés par les Égyptiens, ils prolongeront le mandat actuel de Sissi et lui permettront de se présenter pour un nouveau mandat de six ans en 2024, tout en lui donnant davantage de pouvoir sur le système judiciaire et en octroyant à l’armée un plus grand rôle dans la vie politique du pays.
À l’extérieur du bureau de vote de l’école al-Matarawi, dans le quartier cairote populaire de Mataryia, MEE a pu voir des électeurs de toute la zone descendre de minibus pour aller voter.
Un des chauffeurs, Ahmed, âgé de 34 ans, a déclaré à MEE que des policiers avaient pris les permis de conduire de tous les chauffeurs et leur avaient ordonné de rassembler et transporter les personnes jusqu’au bureau de vote.
En retour, les chauffeurs ont été informés qu’ils recevraient 300 livres égyptiennes (17 dollars) chacun et que les électeurs recevraient pour leur part 150 livres égyptiennes. « Ils nous ont menacés de nous arrêter pour infractions si nous n’obéissions pas », a ajouté Ahmed.
Un électeur publie sur Twitter le contenu des photos des colis de nourriture qui lui ont été remis, contenant notamment des pâtes, du sucre et du thé.
Ahmed a déclaré avoir transporté quatorze passagers, principalement des femmes, depuis la banlieue du Caire. « Ce sont des gens pauvres, dans le besoin. Dès qu’ils ont entendu dire qu’ils obtiendraient de l’argent, ils ont sauté dans le bus », a-t-il décrit.
Ahmed refuse d’aller voter. « Je suis une personne fière et je ne me vendrai pas pour de la nourriture. Mais je ne critique pas ceux qui le font. »
« Autant en profiter »
Mercredi dernier, la commission électorale égyptienne a annoncé que toutes les personnes en droit de voter pouvaient le faire dans un lieu différent de celui où elles étaient inscrites à condition d’avoir une pièce d’identité valide.
« Quoi qu’il en soit, il [Sissi] gagnera le référendum, avec ou sans nous. Alors autant en profiter », a déclaré à MEE une Égyptienne qui attendait dans un minibus pendant que d’autres personnes finissaient de voter.
À l’intérieur des bureaux de vote, des membres du Futur de la nation, le parti pro-Sissi, et de la campagne « Coche la case » étaient assis avec un ordinateur à l’endroit où les électeurs remettaient leur carte d’identité pour recevoir leur numéro électoral.
« Ce sont des gens pauvres, dans le besoin. Dès qu’ils ont entendu dire qu’ils obtiendraient de l’argent, ils ont sauté dans le bus »
- Ahmed, chauffeur de bus
Après le vote, le personnel électoral rendait aux électeurs leurs cartes d’identité ainsi qu’une carte à tamponner à échanger ensuite contre un colis alimentaire.
Shahria, une femme de ménage de 43 ans, a confié à MEE qu’elle avait reçu une carte tamponnée après son vote.
« Je suis ensuite allée chez un commerçant et il m’a remis un sac contenant du sucre, du riz, de l’huile de cuisson, des pâtes et un paquet de sel », a-t-elle indiqué, ajoutant qu’elle était accompagnée de six autres femmes qui avaient reçu la même chose.
« Nous n’avons rien lu et ne savions rien sur les élections. On nous a dit que nous allions recevoir de la nourriture, alors nous y sommes allées », a déclaré Shahria.
Dans le district de Shubra, des dizaines d’employés du ministère de l’Électricité ont été escortés au bureau de vote de l’école al-Tawfiqia dans des bus appartenant au gouvernement.
« Notre responsable nous a dit que l’émargement de notre présence se ferait au bureau de vote et que nous devions rester devant l’école toute la journée pour applaudir les amendements », a déclaré Hafsa, l’une des employés. Elle et ses collègues ont été informés que ceux qui ne s’y rendraient pas perdraient une journée de congés payés, a-t-elle ajouté.
MEE a pu voir qu’un magasin vendant de la nourriture subventionnée juste à côté du bureau de vote distribuait des colis depuis le samedi après-midi.
Un homme travaillant dans cette épicerie a déclaré sous le couvert de l’anonymat que quelques semaines avant le référendum, des policiers et responsables du gouvernorat du Caire avaient demandé au propriétaire du magasin de fournir 500 rations alimentaires à distribuer aux personnes votant en faveur des amendements à la Constitution.
« C’est comme une forme de pot-de-vin silencieux »
- Un employé dans une épicerie
« C’est comme une forme de pot-de-vin silencieux. Et le propriétaire du magasin veut éviter tout problème avec la police », a déclaré l’homme, ajoutant que « d’autres commerçants et grands hommes d’affaires s’étaient portés volontaires pour faire don des colis à distribuer ».
Il a indiqué que les gens se disputaient fréquemment les colis et que des policiers et employés électoraux s’étaient eux aussi mis à en prendre, causant de nombreuses disputes dans le magasin.
MEE a été témoin d’une altercation devant un autre point de vente de nourriture, dans un centre de jeunesse appartenant au gouvernement à Shubra. L’épicerie était gardée par des soldats armés qui criaient et insultaient la foule qui s’était rassemblée à l’extérieur pour recevoir les colis qui leur avaient été promis.
« Quelques semaines avant les élections, ils nous ont dit de nous rendre au Caire pour voter et nous avons reçu notre boîte », a déclaré Safyia, une mère de famille de 34 ans qui avait fait le trajet avec son nouveau-né depuis le gouvernorat de Sharqyia, dans le delta du Nil, pour voter.
« Et maintenant, ils nous crient dessus et nous insultent comme si nous faisions la manche. »
Dans le district de Talbyia, à Gizeh, MEE s’est entretenu avec un trafiquant de drogue qui a déclaré que son fournisseur était connu des services de police mais travaillait comme informateur pour les autorités.
« Ils lui ont dit qu’ils cesseraient de le harceler s’il achetait 300 colis alimentaires et les remettait aux points de vente subventionnés par le gouvernement afin que les gens du Futur de la nation puisse les distribuer », a-t-il affirmé sous le couvert de l’anonymat.
MEE a contacté le service d’information de l’État pour lui demander de commenter les achats de voix ainsi signalés, mais un porte-parole a refusé de répondre.
Une vaste campagne
À l’approche du référendum, MEE s’est également entretenu avec des commerçants qui ont déclaré que la police avait fait pression sur eux pour qu’ils accrochent des banderoles incitant les gens à voter.
Le propriétaire d’un magasin de jus de fruits a déclaré à MEE que des fonctionnaires étaient venus le trouver et lui avaient ordonné de « louer un DJ et d’amener 50 personnes au bureau de vote le plus proche ».
« Ils ont dit que ces 50 personnes devraient applaudir et scander des slogans en faveur de la Constitution pendant trois jours et qu’ils [devaient] rester là lorsque les chaînes de télévision film[ai]ent », a déclaré le commerçant, ajoutant qu’il voterait pour sa part contre les amendements.
L’État a bloqué plus de 34 000 sites internet dans le but d’étouffer une campagne menée par l’opposition afin de rallier les Égyptiens contre les amendements. Selon des activistes et groupes de défense des droits de l’homme, ceux-ci ne feront que consacrer davantage le régime militaire dans le pays.
Traduction : « Sortez et votez ‘’non’’ si vous ne voulez pas :
• que le président actuel reste en fonction jusqu’en 2030
• une implication militaire grossière en politique
• une plus grande érosion de l’indépendance du pouvoir judiciaire
J’ai voté dans un bureau de vote complètement vide où il n’y avait aucune confidentialité. Le responsable du lieu regardait par-dessus mon épaule et pouvait clairement voir pour quoi je votais. »
Environ 55 des quelque 100 millions d’habitants que compte l’Égypte ont le droit de voter lors de ce référendum, qui se déroule sur trois jours et se termine ce lundi. Le résultat est attendu dans les jours qui viennent.
Les amendements constitutionnels ont déjà été approuvés par le Parlement égyptien, ce qui, selon Amnesty International, montre « le mépris du gouvernement égyptien envers les droits de tous les citoyens égyptiens ».
« Ces amendements visent à étendre l’usage de procès militaires pour les civils, saper l’indépendance du pouvoir judiciaire et renforcer l’impunité pour les violations des droits de l’homme commises par les membres des forces de sécurité, renforçant le climat de répression qui existe déjà dans le pays », a déclaré dans un communiqué la vice-directrice pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord d’Amnesty International, Magdalena Mughrabi.
Traduit de l’anglais (original).
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