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Comment la guerre du Yémen s’est transformée en bagarre générale

La coalition sous commandement saoudien est entrée au Yémen pour vaincre les Houthis. Mais, un an plus tard, la guerre a évolué, et al-Qaïda est maintenant l’ennemi numéro un
La coalition saoudienne est entrée en guerre au Yémen pour combattre les Houthis, représentés ci-dessus. Aujourd’hui, les différentes parties au conflit sont confrontées à la menace grandissante d’AQPA et de Daech (AFP)

TA’IZZ, Yémen – La guerre du Yémen s’est métamorphosée en à peine plus d’un an, évoluant d’un conflit qui opposait le mouvement houthi aux partisans du président Abd Rabbo Mansour Hadi soutenus par l’Arabie saoudite, vers une bataille où d’anciens alliés se retournent les uns contre les autres tandis que ceux qui étaient ennemis engagent des négociations.

Les événements survenus à Ta’izz depuis le mois de mars mettent en évidence l’ampleur de cette transformation.

Mi-mars, les forces de la « Résistance populaire » ont percé les lignes houthies pour lever le siège qui pesait sur la ville depuis huit mois, puis ont attendu l’arrivée de troupes des Émirats arabes unis (EAU), rattachées à la coalition dirigée par les Saoudiens, pour conforter cette emprise nouvelle.

Or, pour les jeunes recrues de la brigade Saalik, cette aide n’est jamais arrivée. Les forces des EAU sont restées bloquées dans la province voisine de Lahij, où elles combattaient la menace grandissante incarnée par al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA).

Seulement quelques jours auparavant, des militants de ce groupe auraient abattu un avion émirati au-dessus d’Aden, tuant deux pilotes, à l’aide d’un missile apparemment fourni par leurs anciens alliés de la coalition saoudienne.

Nabil al-Adimi, un commandant de la brigade Saalik, une milice civile, a déclaré que ses troupes avaient finalement dû se retirer par manque de soutien.

« Les combattants de la Résistance populaire sont des civils, et la majorité de l’armée yéménite de Ta’izz soutient les Houthis, donc il nous est difficile de libérer la ville tout seuls, a-t-il expliqué à Middle East Eye.

« Il nous fallait le soutien des troupes coalisées, de leurs véhicules blindés et de leurs chars.

« Seuls quelques missiles, kalachnikovs et munitions sont parvenus jusqu’à la ville, mais les forces émiraties ne nous ont pas soutenus. En conséquence, les Houthis ont rétabli le siège au bout d’une semaine.

« Ceci nous a appris que personne ne se préoccupe de Ta’izz, et que nous devons nous débrouiller seuls pour libérer notre ville. Nous sommes des civils, et cela va nous coûter énormément, mais c’est la seule solution, car on ne va pas se rendre aux Houthis. »

Selon l’administration d’Aden, les forces des Émirats ont reporté leur attention des Houthis vers AQPA, et par extension vers le groupe État islamique, à la suite d’une série d’attaques qui ont visé les forces de la coalition.

Un cessez-le-feu entre les Houthis et la coalition doit débuter le 10 avril, et des négociations de paix sont prévues pour le 18 avril à Riyad.

Voilà un contraste remarquable avec les événements de l’an dernier.

Les membres d’AQPA se battaient alors aux côtés des milices de la Résistance populaire et de la coalition pour s’opposer aux Houthis dans le sud du Yémen.

Cependant, cette alliance fragile s’est vite effondrée, et AQPA s’est retourné contre ses alliés après la libération d’Aden et de ses environs.

Depuis lors, une vague d’attaques a ébranlé la coalition ainsi que les loyalistes rangés aux côtés du président Hadi.

En septembre, 45 soldats émiratis ont été tués à Ma’rib lors d’une « explosion accidentelle », selon la description de la coalition. Trois mois plus tard, Daech a assassiné le gouverneur d’Aden, Jaafar Saad, puis lancé des attaques contre les troupes militaires émiraties et yéménites.

Les civils constituent une grande partie des unités de la Résistance populaire à Ta’izz (AFP)

Puis, le mois dernier, un Mirage émirati a apparemment été abattu à al-Boraiqa, un district d’Aden.

Cette catastrophe aérienne a alors été décrite comme une « défaillance technique » par l’agence nationale de presse saoudienne SPA.

Cependant, une source issue du commissariat de police d’Aden a affirmé que c’était AQPA qui avait abattu l’avion lors d’un combat contre la Résistance populaire à Aden, grâce à un missile fourni par la coalition.

 « Nous avons mené l’enquête et avons découvert qu’AQPA avait abattu l’avion après avoir pris pour cibles ses adversaires dans le district d’al-Mansoura », a précisé cette source à MEE.

Trois autres avions de chasse ont été détruits depuis que la coalition a entamé sa campagne en mars 2015 ; l’un d’entre eux appartenait à l’aviation saoudienne, le second à l’armée marocaine et le troisième venait du Bahreïn.

Notre source policière a ajouté que l’armée yéménite, aidée par les forces émiraties, avait débuté une campagne contre AQPA à Aden et qu’elle avait réussi à reprendre le contrôle du district d’al-Mansoura la semaine dernière.

« Nous mettons en œuvre à Aden des projets conçus par les forces émiraties, a expliqué à MEE le brigadier Chalal Chaei, chef de la police d’Aden. Ces projets visent à libérer Aden et Lahij des groupes extrémistes qui s’en prennent aussi bien aux forces coalisées qu’aux responsables yéménites. »

Cependant, les EAU ont en conséquence suspendu la lutte contre les Houthis, et ne fournissent plus aux combattants de la résistance que des plans militaires, un entraînement et des véhicules militaires.

Pendant ce temps, les frappes aériennes sous commandement saoudien ont commencé à se focaliser sur AQPA dans les régions d’Aden, Lahij, Abyan et de l’Hadramaout.

Fadhl al-Rabei, analyste politique et responsable du Centre d’études stratégiques Madar, basé à Aden, a affirmé que les force de la coalition ne pourraient avancer vers la ville de Ta’izz qu’après avoir éloigné les combattants d’AQPA et de Daech présents à Aden et dans les autres provinces du sud du pays.

« Si les troupes de la coalition se dirigent vers Ta’izz, les combattants d’AQPA s’attaqueront à Aden et Lahij, ce qui favorisera le retour des Houthis ; il leur faut rester présentes dans ces villes », a expliqué Fadhl al-Rabei.

Il a ensuite déclaré que cela était difficile dans la mesure où la coalition était confrontée à une tâche impressionnante : les combattants d’AQPA sont originaires des provinces du Sud, et ils sont donc sur leur territoire.

Selon Fadhl al-Rabei, cette situation implique que le Yémen est maintenant divisé en trois sphères d’influence : le Nord sous contrôle houthi, les régions du Sud contrôlées par les soutiens du président Hadi et par la coalition, et enfin les districts dominés par AQPA, parmi lesquels al-Mukalla dans l’Hadramaout, Azzan dans le gouvernorat de Shabwah, Zinjibar dans la région d’Abyan, et al-Hawta dans la province de Lahij.

L’armée des EAU et la coalition saoudienne n’ont pas donné suite aux demandes réitérées de commentaires formulées par MEE au sujet de la guerre au Yémen.

Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.

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