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Coupe du monde au Qatar : la FIFA fustigée pour la poursuite du « travail forcé »

Amnesty affirme que tous les travailleurs qu’elle a interrogés ont rapporté des abus, mais l’instance dirigeante du football mondial et l’État du Golfe soulignent que des progrès sont en train d’être faits
Des travailleurs étrangers sur le chantier du stade de football d’al-Wakrah, en mai 2015 (AFP)

Les travailleurs migrants employés sur les projets de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar continuent de faire face à des abus, notamment à du travail forcé et à des conditions de vie déplorables, malgré les promesses faites par les organisateurs et par l’État pour améliorer leurs conditions de vie et de travail, d’après le groupe de défense des droits de l’homme Amnesty International.

Dans un rapport publié ce jeudi, Amnesty a enregistré une liste d’abus, parmi lesquels figurent la retenue des passeports, le recours régulier à des emprunts de « recrutement » avec intérêts, la tromperie quant à la rémunération ou au type de travail entrepris, le refus du droit au retour au pays, mais aussi des violences physiques et verbales pratiquées par les responsables. Cela équivaut à du travail forcé en vertu du droit international, selon Amnesty.

Des travailleurs népalais ont indiqué aux enquêteurs qu’ils s’étaient vu refuser la permission de rentrer chez eux pour aider leur famille à la suite des tremblements de terre dévastateurs d’avril dernier.

Le rapport est fondé sur des entretiens réalisés entre février et mai 2015 auprès de 132 travailleurs migrants qui contribuent à la reconstruction du stade Khalifa en vue de son utilisation au cours du tournoi prévu en 2022.

Chacun des travailleurs a fait état d’une forme d’abus, a affirmé l’ONG. À l’époque, les autorités qataries avaient introduit une nouvelle version de leurs « normes relatives au bien-être des travailleurs », qui abordait des questions telles que le travail forcé, le temps de travail, les frais de recrutement et les droits de déplacement.

« Je vis ici comme dans une prison, a confié un népalais à Amnesty. Le travail est difficile, on a travaillé de nombreuses heures sous un soleil de plomb. Lorsque je me suis plaint, le responsable m’a dit : "Cela aura des conséquences. Si tu veux rester au Qatar, reste tranquille et continue de travailler". »

Un autre travailleur au stade Khalifa a déclaré à Amnesty qu’il devait souvent attendre plusieurs mois pour être payé. « Au début de l’année 2014, il n’y avait pas de problème, je recevais mon salaire mensuel et je renvoyais l’argent à mon épouse pour couvrir mon emprunt de recrutement et le loyer de notre maison. »

Suite aux retards de salaires, sa famille a perdu son toit. « Ma famille est désormais sans abri et deux de mes plus jeunes enfants ont été retirés de l’école. Chaque jour, je suis sous tension, je n’arrive pas à dormir la nuit. C’est une torture pour moi. »

Amnesty a indiqué que le comité suprême de la Coupe du monde au Qatar « s’efforçait » de faire respecter les normes qu’il avait introduites en 2014, suite au tollé international au sujet de la mort de dizaines d’ouvriers dans le pays et aux rapports ayant fait état de conditions de vie déplorables.

Le rapport a souligné que l’instance dirigeante du football mondial, la FIFA, est restée « indifférente » aux conditions endurées par les travailleurs et que celle-ci devait être encouragée par les sponsors et les groupes internationaux à pousser le Qatar vers un plan de réforme global avant que les constructions en vue de la Coupe du monde n’atteignent leur pic, prévu mi-2017.

« Il est notamment essentiel de retirer aux employeurs le pouvoir d’empêcher les travailleurs étrangers de changer de travail ou de quitter le pays ; de mener des enquêtes sérieuses sur les conditions de travail des ouvriers ; d’infliger des sanctions plus sévères aux entreprises qui commettent des abus », a soutenu Amnesty.

« La FIFA devrait elle-même mener de manière régulière et indépendante ses propres inspections des conditions de travail au Qatar, et en rendre publics les résultats. »

« Le fait d’accueillir la Coupe du monde de football a permis au Qatar de se présenter comme une destination privilégiée pour certains des plus grands clubs du monde. Mais le football mondial ne peut pas fermer les yeux sur les abus commis dans les infrastructures et les stades où se joueront les rencontres », a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty.

« Si la nouvelle direction de la FIFA veut réellement tourner une page de son histoire, elle ne peut pas laisser un événement de cette ampleur se dérouler dans des stades construits par des travailleurs migrants soumis à des abus. »

« Les abus dont sont victimes les travailleurs migrants entachent la conscience du football mondial. Pour les joueurs et les fans de football, un stade de coupe du monde est un lieu qui fait rêver. Mais pour certains des ouvriers qui se sont entretenus avec nous, c’est un cauchemar. »

« Après avoir fait des promesses durant cinq ans, la FIFA a en grande partie manqué à son devoir d’empêcher que la Coupe du monde ne soit bâtie sur un socle d’atteintes aux droits humains. »

« Ces ouvriers ne veulent qu’une chose, que leurs droits soient respectés : recevoir leur salaire en temps voulu, pouvoir quitter le pays si nécessaire et être traités avec dignité et respect. »

Amnesty International a constaté lors d’une nouvelle visite au Qatar en février 2016 que certains ouvriers avaient été relogés dans de meilleures conditions et s’étaient vu rendre leur passeport par des entreprises ayant réagi aux conclusions du groupe, même si d’autres abus n’avaient pas été réglés.

Le stade Khalifa est l’un des projets phares du Qatar pour la Coupe du monde 2022 (AFP)
Le stade Khalifa est l’un des projets phares du Qatar pour la Coupe du monde 2022 (AFP)

En réponse au rapport d’Amnesty, la FIFA a indiqué qu’elle s’efforçait avec le comité suprême du Qatar d’assurer une « amélioration continue » du traitement des ouvriers travaillant sur les projets de la Coupe du monde.

« Les normes relatives au bien-être des travailleurs en vigueur depuis février 2014 ont été décrites par Amnesty comme des "protections essentielles" », a affirmé dans une lettre Federico Addiechi, porte-parole de l’instance. « La seconde version de ces normes, finalisée en février 2016, a été améliorée avec l’appui de divers experts et ONG. »

« Parmi les nombreuses améliorations qui ont été intégrées à la seconde édition figure l’obligation pour tous les travailleurs d’être en possession de leurs documents personnels tels que leur passeport et de disposer d’un coffre-fort personnel pour stocker leurs affaires. »

« Bien que les critiques constructives soient nécessaires, [...] il est également important de reconnaître les progrès et les améliorations. »

« Nous exprimons notre désaccord face au fait que votre lettre indique que "la FIFA n’a pris aucune mesure claire et concrète pour prévenir les atteintes aux droits humains commises contre les travailleurs". La FIFA a intégré les composantes de respect des droits de l’homme dans différents aspects de son travail, en particulier à travers les stratégies de développement durable appliquées pour les coupes du monde 2014 et 2018. »

« Bien que la FIFA ne puisse endosser ni n’endosse la responsabilité de la résolution de tous les problèmes sociétaux rencontrés par les pays hôtes, la FIFA a pris des "mesures concrètes" et s’engage pleinement à faire tout son possible pour garantir le respect des droits de l’homme sur tous les sites et dans toutes les opérations liées à la Coupe du monde. »

La FIFA a affirmé que l’étude d’Amnesty a été réalisée au moment même où la deuxième version de la directive entrait en vigueur.

Le ministère qatari des Affaires étrangères a déclaré que la réforme du travail était une « question complexe », ajoutant qu’il œuvrait à limiter les heures de travail en été et à interdire la retenue des passeports par les employeurs (passible d’une amende de 25 000 riyals qataris, soit environ 6 000 euros), et signait également des accords bilatéraux avec les pays d’origine pour mettre fin à la pratique des recrutements.

Le ministère a indiqué que l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad al-Thani, a émis en octobre dernier des réformes « radicales » portant sur les exigences en matière d’entrée, de sortie et de résidence. Le ministère a cependant souligné que celles-ci n’avaient pas encore être adoptées.

« Notre gouvernement prend les questions du droit du travail et des droits de l’homme très au sérieux et est pleinement dévoué à la mise en œuvre d’une réforme continue et systématique. »

« De nouvelles lois ont été adoptées et d’importants efforts ont été fournis pour renforcer l’application de ces lois », a indiqué le ministère dans une lettre.

« Nous estimons que ces réformes démontrent que le Qatar s’évertue à améliorer la vie de ses travailleurs invités et que des progrès constants sont réalisés. »

« Nous sommes bien conscients que nos efforts sont un travail en cours, et nous apprécions les efforts déployés par Amnesty et les autres ONG pour nous aider à identifier les points à améliorer. »

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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