Qatar : malgré la déconvenue en Coupe du monde, les supporters placent leurs espoirs dans l’Aspire Academy
On pourrait croire les supporters qataris dépités après avoir vu leur sélection nationale devenir la première nation hôte de la Coupe du monde à perdre leurs trois matches de groupe.
Et pourtant, l’ambiance à Doha est tout sauf morose.
Dans le souk Waqif, poumon du Mondial qui s’est terminé il y a quelques semaines, de nombreux supporters locaux se disent heureux que le pays hôte n’ait pas encaissé un 10-0.
Lorsque l’équipe du Qatar est entrée sur le terrain pour son match d’ouverture contre l’Équateur, une défaite cuisante était attendue. Mais elle n’a perdu que 2-0 et a offert de rares fulgurances.
La sélection s’est ensuite inclinée 3-1 contre le Sénégal, avant de tomber sur le score de 2-0 face aux Pays-Bas, vice-champions du monde 2010, pour son dernier match.
Malgré les défaites, les supporters se sont rangés derrière l’équipe nationale et en particulier derrière le sélectionneur Félix Sánchez, finalement démis de ses fonctions en fin d’année et remplacé par le Portugais Bruno Pinheiro.
Beaucoup d’entre eux comptent sur une académie de football locale pour former de futurs talents, des superstars voire des candidats au Ballon d’Or.
Avant la Coupe du monde, il a beaucoup été question de l’héritage footballistique du Qatar et de la légitimité d’un pays n’ayant participé à aucun Mondial pour accueillir une édition.
Mais au vu de la trajectoire footballistique du Qatar, il est facile de comprendre pourquoi ce pays ne s’est jamais qualifié.
Une valse des entraîneurs
Lorsque l’Uruguay a accueilli la première Coupe du monde en 1930, le Qatar n’avait pas le temps de penser au football. Son commerce de perles s’était effondré et la Grande Dépression (crise économique des années 1930) ravageait les économies mondiales.
En parallèle, Bahreïn imposait un embargo dévastateur au Qatar après avoir perdu la ville d’al-Zubarah lors d’une médiation britannique.
L’intérêt des Qataris pour le ballon rond est né en 1948, lorsque des travailleurs de l’industrie pétrolière nouvellement arrivés ont commencé à jouer au football pour se divertir. L’al-Najah Sports Club a été créé en 1950 et, un an plus tard, la Qatar Oil Company a organisé le tournoi Ezz Eddin à Dukhan (sur la côte ouest).
Il a fallu attendre deux décennies pour voir le Qatar devenir une nation de football : les Bordeaux ont disputé leur premier match international en 1970, qui s’est soldé par une défaite 2-1 contre Bahreïn, le rival régional.
Lorsque les Qataris ont vu leurs voisins régionaux briller à la fin des années 1970 et dans les années 1980, ils ont fait ce qui s’imposait : engager des entraîneurs brésiliens pour les clubs locaux et l’équipe nationale. Il y a même eu une brève période où des entraîneurs européens venaient exercer dans le pays.
« Les Qataris ont vite compris qu’ils étaient physiquement inférieurs pour s’adapter au jeu physique et au kick-and-rush des Européens ; ils sont retournés vers les entraîneurs sud-américains et leur jeu basé sur la possession, avec des passes courtes et des constructions triangulaires », explique à Middle East Eye D. Ravi Kumar, un journaliste sportif établi à Doha ayant travaillé pour diverses publications sportives qataries au cours des trois dernières décennies.
Le Brésilien Evaristo était l’un d’entre eux. Sous la houlette de l’ancienne star du FC Barcelone, le Qatar a surpris la planète football en 1981 en allant jusqu’en finale de la Coupe du monde des moins de 20 ans en Australie.
Mais lorsque les choses n’évoluaient pas comme la Fédération du Qatar de football (QFA) l’avait imaginé, les entraîneurs étaient licenciés.
Un autre Brésilien, Carlos Alberto Parreira, qui a entraîné les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Koweït, s’est exprimé par le passé au sujet des équipes arabes en général : « Ils veulent des résultats très rapidement, mais il n’y a pas de continuité. Un jour, il y a un entraîneur brésilien, [puis] un entraîneur français, [...] espagnol, […] croate, […] néerlandais […]. Ils doivent se concentrer sur une seule école de football. »
Dans le but d’injecter un peu de créativité dans l’équipe, le Qatar a entrepris de naturaliser des joueurs nés à l’étranger qui impressionnaient dans le championnat qatari, malgré les objections répétées de la FIFA et des supporters
Le Qatar n’a pas fait exception : 41 sélectionneurs ont été engagés et licenciés entre 1969 et 2017.
Les années 1990 et 2000 ont été plutôt ternes, même si les Bordeaux ont remporté la Coupe du Golfe des nations en 1992 et 2004.
Ainsi, dans le but d’injecter un peu de créativité dans l’équipe, le Qatar a entrepris de naturaliser des joueurs nés à l’étranger qui impressionnaient dans le championnat qatari, malgré les objections répétées de la FIFA et des supporters.
Cependant, en arrière-plan, un rêve imaginé par l’ancien émir du Qatar Hamad ben Khalifa al-Thani commençait à prendre forme.
En 2004, il a fondé l’Aspire Academy, une école de formation sportive d’élite, dont le coût s’est élevé à 1,4 milliard de dollars. Présenté comme l’équivalent qatari de Clairefontaine, ce centre a reçu la visite de grands noms du football tels que Pelé et Diego Maradona.
« Le rêve est sur la bonne voie »
Chaque année, plus de 700 000 jeunes footballeurs sont passés au crible dans quatorze pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Ceux qui sont jugés prometteurs reçoivent une bourse.
Alors que la fédération nationale s’employait à naturaliser des joueurs nés à l’étranger tels que le Brésilien Rodrigo Tabata et l’Uruguayen Sebastián Soria, Félix Sánchez s’affairait à cultiver les talents locaux au sein de l’académie.
« Lorsque l’Aspire Academy a été créée, l’objectif était de produire des athlètes comme moi et des footballeurs comme le Brésilien Ronaldinho », a déclaré Hicham El Guerrouj, un coureur marocain spécialiste du demi-fond aujourd’hui à la retraite, lors de la première cérémonie de remise des diplômes d’Aspire en 2008.
« Le rêve est sur la bonne voie. Mais les responsables doivent savoir que les objectifs peuvent être atteints et que ce n’est pas difficile, il faut cependant faire preuve de patience. »
Les efforts déployés par l’académie ont commencé à porter leurs fruits lorsque la sélection qatarie des moins de 19 ans, dirigée par Félix Sánchez, a remporté le championnat d’Asie en 2014.
Cinq ans plus tard, l’entraîneur espagnol, à la tête de la sélection nationale du Qatar, a mené les Bordeaux jusqu’à leur premier titre en Coupe d’Asie des nations, à l’issue d’une victoire 3-1 en finale face au Japon. Plus des deux tiers des joueurs de l’équipe championne d’Asie ont été formés à Aspire.
« La vision du jeu souhaitée par Sánchez pour l’équipe a été transmise à tous les niveaux de l’académie et apporte au football qatari les clés du succès futur », explique à MEE Martin Lowe, auteur spécialiste du football asiatique.
Lorsque l’équipe U19 du Qatar est devenue championne continentale en 2014, Félix Sánchez a affirmé que plusieurs d’entre eux seraient présents dans l’équipe du Qatar en 2022 et qu’ils avaient encore le temps de s’améliorer.
« Aujourd’hui, sept ans plus tard, j’estime que l’académie a commencé à porter ses fruits dans toutes les itérations sportives. Son succès dans le football est incontestable », souligne Martin Lowe.
Selon Martin Lowe, la préparation de la sélection à la Coupe du monde et ses succès continentaux ont été construits sur les fondations établies par l’académie.
« Tant au niveau des joueurs sélectionnés que de l’approche tactique bâtie par leur entraîneur Félix. »
Aspire a également intégré des experts en tennis de table, en squash et en athlétisme, alors que l’académie cherche à former de futures stars dans d’autres sports
Plusieurs des joueurs stars de l’équipe sont nés au Qatar ou ont été naturalisés à un très jeune âge.
Certains sont nés à Doha de parents non qataris, comme l’ailier Akram Afif, tandis que quelques, dont l’attaquant vedette Almoez Ali, ont grandi au Qatar dès leur plus jeune âge. Seuls trois joueurs ont été naturalisés à l’âge adulte.
Plus récemment, Aspire a également intégré des experts en tennis de table, en squash et en athlétisme, alors que l’académie cherche à former de futures stars dans d’autres sports.
Thomas Ross Griffin, professeur à l’université du Qatar et auteur spécialiste de l’identité nationale au sein de l’équipe nationale qatarie, se dit frappé par la fierté manifeste affichée par chaque joueur portant le maillot du Qatar.
« Les notions de pays, de nation, d’équipe et de patrie étaient utilisées de manière interchangeable. Ils se sont tous identifiés comme qataris et le Qatar était le pays qu’ils représentaient », explique-t-il à MEE.
« Et maintenant ? », s’interroge Martin Lowe, le spécialiste du football asiatique. « L’académie aura-t-elle encore un héritage significatif maintenant que la Coupe du monde est passée ou les fonds et l’appétit des hauts dirigeants se disperseront-ils ? »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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